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café citoyen

Eloge de la désobéissance

Mercredi 8 octobre à 20h, au Remue-méninges

jeudi 2 octobre 2008, par Roger Dubien

Le café citoyen est une initiative des Réseaux citoyens de Saint-Etienne et du café lecture Le Remue-méninges. Il a lieu (sauf exception) le 1er mercredi de chaque mois, au café lecture, 59 rue Désiré Claude.

Ce mercredi 8 octobre, la rencontre aura lieu autour de deux livres :

“Eloge de la désobéissance”, de Rony Brauman et Eyal Sivan ; et “La chasse aux enfants”, de Miguel Benasayag et Angélique Del Rey avec RESF.
Cette soirée se poursuivra par une rencontre le mois suivant, mercredi 5 novembre, avec Xavier Renou, du collectif “Les désobéissants” (voir http://www.desobeir.net


“Eloge de la désobéissance”, de Rony Brauman et Eyal Sivan

C’est un travail gigantesque que Rony Brauman et Eyal Sivan ont fait avec le film “Un spécialiste”, à partir des archives vidéo du procès d’Eichmann en 1962 à Jérusalem (un film qui s’appuie sur les travaux de Hannah Arendt et notamment son livre “Eichmann à Jérusalem”). Et avec ce livre (édité en 2006), qui prolonge le film.
Dans la période présente, cette réflexion sur “la banalité du mal” et la soumission à l’autorité, est d’une grande actualité.
Ce livre est en 2 parties : 90 pages de réflexions, puis le script du film “Un spécialiste”, entièrement construit à partir des archives vidéo du procès...

L’histoire d’Eichmann, c’est l’ascension d’un employé modèle... “Notre homme est de ceux que tout pouvoir rêve d’avoir dans ses rangs. Certes, avec son allure passe-partout d’employé modèle (...) il ne paie pas de mine. Certes son comportement de bureaucrate méticuleux jusqu’à l’outrance évoque plus l’univers de Courteline que celui de Shakespeare. (...) Ce n’est décidément ni pour son charisme ni pour son esprit de synthèse qu’il fut embauché et se retrouva quelques années plus tard à un poste clé de l’organisation qu’il admirait tant. Mais cet homme avait de grandes qualités à offrir à ses employeurs (...) : organisateur méthodique, travailleur dévoué, il se consacra tout entier à son travail avec un zèle sans limites et une loyauté à toute épreuve (...) c’est ainsi que ce sans-grade progressa dans la hiérarchie et se trouva promu, à l’âge de 32 ans, à une fonction de direction logistique et opérationnelle à l’échelle européenne (...) il mit, tant qu’on lui le demanda, ses talents et compétences au service de l’objectif de production de l’entreprise. Il y fit preuve, jusqu’à la fin, d’une parfaite efficacité.
Durant six ans, du haut de sa bureaucratie, il avait organisé le rassemblement, le dépouillement, l’évacuation puis le transfert vers différentes destinations du matériel biologique qui lui avait été confié. (...) la stratégie de l’entreprise eut beau changer sensiblement au cours de sa carrière, il sut prendre le virage. Une fois livré, ce matériel avait été soumis à un “traitement spécial” qu’il n’approuvait pas. Mais cette partie de la chaîne de production n’était plus de sa compétence, ce dont il se réjouissait encore à la veille de sa mort, il estimait ne pas avoir à en juger. Cet ingénieur de ce qui était en réalité une industrie du massacre ne supportait pas la vue du sang et n’aimait rien tant que le travail bien fait, les formulaires et les statistiques.
Cet homme est le lieutenant colonel SS Adolf Eichmann, allemand (...) “spécialiste de la question juive”, il fut chargé de l’expulsion des juifs du Reich entre 1938 et 1941. Puis de 1941 à 1945, il organisa la déportation des juifs d’Europe, ainsi que des Polonais, des Slovènes et des Tziganes vers les camps de concentration et d’extermination...”

Le film “Un spécialiste” “est un essai politique sur l’obéissance et la responsabilité”, destiné à “illustrer la présence du “cas Eichmann” dans notre environnement familier, à montrer les ravages de l’obéissance”.
“Cet homme qui avait mis sa conscience en sommeil, qui refusait de confronter ses actes à la question de leur sens, qui ne voyait autour de lui que des problèmes et des solutions techniques, ne s’exprimait que par clichés. Autrement dit, il ne pensait pas. Son sentiment, complaisamment décrit, d’être un “instrument dans les mains de forces supérieures”, une “goutte d’eau dans l’océan”, est bien de notre monde. Comme sont bien de notre monde le vertige de l’impuissance et le sens de l’ordre des Judenrate (conseils juifs), ces institutions imposées par les nazis et composées de notables juifs, qui relayèrent son action.”

L’approche d’Hannah Arendt, que reprennent Rony Brauman et Eyal Sivan, a été violemment critiquée. Non pas bien sûr parce qu’elle remettrait en doute la culpabilité d’Eichmann et la gravité de ses crimes, mais parce qu’elle décortique - comme l’a fait aussi Raul Hilberg (dans les 3 tomes de “La destruction des Juifs d’Europe”) l’enchaînement des choses - “la logique d’appareils et de processus” - et ne renonce pas à penser ce qui s’est passé, ce que des humains ont fait. Et donc ce que d’autres pourraient faire à nouveau...
Ceci est en opposition avec la perception de cette période qui s’est développée en France au cours des années 60 quand la mise à mort industrielle a acquis peu à peu un statut sacré.
Tous ces travaux rapatrient la “planète Auschwitz” dans le monde des hommes, et réfutent l’idée de “radicale singularité de la Shoah”.

Eichman était un bureaucrate zélé, avant tout respectueux de la loi et de la hiérarchie. Comprendre cette banalité n’est pas banaliser le nazisme, mais comprendre comment on a pu en arriver là.
Harrendt, Brauman et Sivan prennent au sérieux les explications d’Eichmann au cours du procès. “Puisque ce travail était à faire, que cela plaise ou non, il fallait bien le faire et il fallait le faire bien car il en allait de la justification de son poste, de la suite de sa carrière comme du respect de son serment de loyauté et d’obéissance” (p21)
Le profil d’Eichmann qui se dessine au fil du procès n’est pas celui d’un pervers sadique, d’un serial killer antisémite. Ce qui en rend compte avec le plus d’acuité, sans doute, c’est l’expérience de psychologie sociale de Stanley Milgram qui a étudié les modalités de la soumission à une autorité reconnue comme légitime, en l’occurrence l’autorité scientifique. (p22). Dans cette expérience, les deux tiers des personnes ont coopéré jusqu’au bout à ce qui était des séances de tortures (simulées, mais sans qu’elles sachent que c’était une simulation).
“C’est peut-être là, écrit Milgram, l’enseignement essentiel de notre étude : des gens ordinaires, dépourvus de toute hostilité, peuvent, en s’acquittant simplement de leur tâche, devenir les agents d’un atroce processus de destruction”. (p23)

La description par Eichmann tout au long du procès du fonctionnement de l’industrie du crime nazi “est une authentification limpide de la représentation qu’en donne Raul Hilberg dans La Destruction des Juifs d’Europe : fonctionnaires, techniciens, scientifiques, employés, chacun à sa place faisait consciencieusement son travail, appliquait des procédures de routine, résolvait des problèmes pratiques. Les codes de langage - évacuation, transfert, réinstallation, procédure, traitement spécial, solution finale - camouflaient grossièrement la réalité pour permettre à tous de s’en abstraire. Et si la majorité d’entre eux ignoraient le programme d’extermination, ils s’accommodaient de la torture de masse, que nul ne pouvait méconnaître. Ce tourbillon de violences était mentalement neutralisé, comme absorbé dans une succession de gestes banals. L’horreur était enfouie sous l’accumulation d’affaires courantes dont il devenait aisé d’oublier la signification. Quand pensée et sensibilité se ferment l’une à l’autre, l’activisme destructeur peut se déployer sans frein et sans limites.” (p25)
(...) “il s’agit de ne pas éprouver pour ne pas penser, de ne pas penser pour ne pas éprouver” disait Arendt. “Le crime de bureau, dont les armes sont le stylo et le formulaire administratif, dont le mobile est la soumission à l’autorité et que rien d’apparent ne distingue d’un travail ordinaire, est la forme paroxystique de cette dissociation mentale”. (p26)
“Eichmann, coupable d’un crime extraordinaire, était un homme ordinaire, dont “la normalité est beaucoup plus terrifiante que toutes les atrocités réunies”, comme le souligne Hannah Arendt. Ce n’est pas le génocide, qui a des précédents dans l’histoire, mais le crime administratif et la mise à mort industrielle qui constituent le crime moderne par excellence” (p28)
“Les éléments à décharge mis en avant par Eichmann constituent précisément la charge de sa responsabilité dans ce massacre administratif, qui est le crime moderne par excellence” (p30)

La conclusion de tout ça n’est pas qu’au fond tout le monde est coupable, et que les hommes sont tous des criminels en puissance. Car “si tout le monde est criminel, plus personne ne l’est”, et c’est bien ce qu’Eichmann tentait de faire valoir. “Confondre cette culpabilité potentielle avec une faute ou un crime réels, c’est disqualifier la possibilité même de la justice.”
L’invitation, au contraire, est à juger chaque situation comme un événement nouveau, donc singulier, nous penser face aux conséquences de nos actes.
“Nous avons voulu montrer les enjeux d’un choix, d’une alternative : soumission à l’autorité ou affirmation du jugement personnel, renoncement à la responsabilité ou autonomie de la personne”.
Une invitation a être toujours en éveil, car comme l’écrivait Hannah Arendt avant de conclure, à l’adresse d’Eichmann, “vous devez être pendu” : “la politique et l’école maternelle ne sont pas la même chose : en politique, obéissance et soutien ne font qu’un”.

Il y a bien d’autres choses dans ce livre exceptionnel.
Par exemple, dans le chapitre “les fonctionnaires de la mémoire” et dans le suivant, les réflexions sur “l’obsession mémorielle” et cette vérité de grande actualité aussi : à quel point et avec quelle facilité l’affichage d’un “devoir de mémoire” peut tenir lieu d’acte de mémoire véritable. (p51)
Et puis tout le chapitre “comme la corde soutient le pendu”, qui refuse la dépolitisation d’un événement - le génocide des Juifs “qui est désormais contemplé dans sa “radicale singularité”, son statut d’indépassable mystère, n’appelant que le silence et la méditation”.
Brauman et Sivan notent “le paradoxe de cet “indicible” dont on ne cesse de parler pour mieux dire que rien ne peut en être dit, ou de cet “inconcevable” qui, pourtant, a été conçu”(p61). On connaît la citation de Primo Lévi d’un SS répondant à la question d’un déporté : “Ici, il n’y a pas de pourquoi”, citation qui claque désormais comme un slogan pour justifier l’argument de “l’obscénité de comprendre”. Mais justement, Primo Lévi a récusé dans toute son oeuvre cet argument.
Le “transfert dans le registre du sacré arrache l’événement à sa gravité politique”. Il faut au contraire éclairer comment cela a pu se passer. Comment, au moment ou d’autres résistèrent, tant de gens - y compris parmi ceux qui en ont été les victimes ou étaient du côté des victimes - se sont résignés aux abattoirs nazis au point même d’y collaborer. “A quel point les nazis provoquèrent l’effondrement moral de la société européenne respectable” comme l’écrivait Hannah Arendt.
Regarder “cette zone grise, constante de l’histoire des peuples dans les situations de violence et d’oppression”.
Analysant le rôle des “conseils juifs” mis en place par les nazis, et leur participation à la machine d’extermination, ils font réfléchir à où conduit “l’acharnement à persévérer dans sa propre existence d’institution” (p78), à où mène l’idée que “l’ordre, n’importe quel ordre, vaut toujours mieux que le chaos” (p79), à comment “la politique du moindre mal devint une politique de camouflage du pire” (p83), au danger de “la Realpolitik, autre nom de la stratégie du moindre mal”. “l’esprit de Munich, c’est d’abord l’abolition de la politique par la Realpolitik” (p86)...

 Présentation de l’éditeur
Comment un homme ordinaire, Adolf Eichmann, est-il devenu le complice actif de la mise à mort de millions de personnes ? En mettant au-dessus de tout les valeurs de l’obéissance et du travail bien fait. Cet ouvrage prolonge la réflexion déjà à l’œuvre dans " Un spécialiste", film réalisé intégralement à partir des archives vidéo du procès d’Eichmann et inspiré du livre d’Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Une réflexion d’une étonnante modernité sur la banalité du mal et la soumission à l’autorité.

Biographie de l’auteur
Président de Médecins sans frontières de 1982 à 1994, Rony Brauman est l’auteur de plusieurs livres sur les questions éthiques et politiques soulevées par l’action humanitaire. Il est professeur associé à Sciences Po Paris. Eyal Sivan est cinéaste, réalisateur de films documentaires. Son travail a été couronné par plusieurs prix - dans des festivals internationaux.

le livre coûte 7 euros

La chasse aux enfants : L’effet miroir de l’expulsion des sans-papiers


La traque des sans papiers et leur expulsion... Pour découvrir ce livre et tout le travail qui le sous-tend, on peut regarder ces 5 petites vidéos réalisées lors de la présentation du livre au Théâtre de la Colline à Paris en avril 2008 :

- L’intro à la soirée par Miguel Benasayag et le slam de Julien Delmer :
http://www.dailymotion.com/related/x51xns/video/x51tdi_la-chasse-aux-enfants-01-intro-slam_webcam

- L’explication par Miguel Benasayag des raisons de la formation du groupe “Miroir”, au sein de RESF :
http://www.dailymotion.com/related/x51xns/video/x51vjv_la-chasse-aux-enfants-02-miguel-ben_news
“L’hypothèse qui surgit est qu’on est dans une société qui apparemment s’occupe beaucoup de notre santé : ils ne veulent pas qu’on fume, ils ne veulent pas qu’on mange gras, ils ne veulent pas qu’on pèse au-delà d’un certain poids... Mais cette même société de contrôle, cette société disciplinaire, cette société du bio-pouvoir... cette même société attaque le corps social en blessant les deux côtés attaqués. Parce que l’hypothèse du groupe miroir était celle-ci : ... il est absolument impossible que le corps social, ou la classe dont on va extraire un enfant, ou menacer un enfant, il est impossible que le seul qui subisse les conséquences ce soit le petit métèque menacé (...) on a trop l’habitude de penser comme ça, d’une pensée linéaire, simpliste, qui dit : la seule victime de cette brutalité institutionnelle est la victime directe (...) Est-ce que le corps social peut être amputé et rester intact ? On est parti de l’hypothèse que non... Et on a dit : on va tendre un miroir à la société française en disant : mais regardez vous qu’est-ce que vous devenez si vous les laissez partir. Qu’est-ce qui se passe avec les mômes ? qu’est-ce qui se passe avec les enseignants ? Qu’est-ce qui se passe avec les voisins ? (...) Quand le corps social est attaqué, il y a deux victimes (...) Il faut arrêter de penser que la France peut éternellement être la même en tolérant n’importe quelle canaillerie (...) on a lancé le groupe miroir là-dessus...

- La présentation des résultats de l’enquête du groupe Miroir par Angélique Del Rey :
http://www.dailymotion.com/related/x51vjv/video/x51xns_la-chasse-aux-enfants-03-angelique_news

- La contribution de Stéphane Hessel, ambassadeur de France, auteur de la Préface du livre :
http://www.dailymotion.com/related/x51tdi/video/x51yf1_la-chasse-aux-enfants-04-stephane-h_news
“Il y a des façons de traiter l’autre qui ne sont pas compatibles avec mes valeurs (...) vos valeurs (...) il faut faire attention que ces valeurs risquent d’être bafouées si vous laissez passer quelque chose qui peut vous paraître pas très important, pas concernant votre propre famille ou votre propre vie, mais qui en réalité si vous commencez à réfléchir à l’effet miroir, va droit sur chacun d’entre nous, chacun d’entre vous...”

- L’intervention de Pierre Cordelier, l’un des fondateurs du réseau RESF, lancé il y a 4 ans.
http://www.dailymotion.com/related/x51yf1/video/x51ywq_la-chasse-aux-enfants-05-pierre-cor_news

- L’intervention de François Gèze, éditeur (La Découverte), qui a publié le livre et qui explique sa perception du développement de la résistance en France.
http://www.dailymotion.com/related/x51ywq/video/x51z5p_la-chasseauxenfants-06-francois-gez_news

Présentation de l’éditeur
Cet ouvrage est un signal d’alarme lancé par les philosophes Miguel Benasayag et Angélique del Rey, et des membres du Réseau Éducation sans frontières (RESF), confrontés quotidiennement à la réalité de la traque des sans-papiers et de leurs enfants scolarisés en France. Il montre que la politique discriminatoire dont ces derniers sont l’objet a des conséquences beaucoup plus profondes qu’il n’y paraît, puisque c’est la société tout entière qui est traumatisée quand elle est amputée de certains de ses membres : les violences faites aux migrants étant des atteintes à ce qu’ils sont et non à ce qu’ils font, elles provoquent de profonds chocs psychologiques.
Cela vaut en particulier pour les camarades de classe des "enfants chassés", confrontés à d’insupportables contradictions quand les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité sont bafouées au nom d’une certaine conception de l’ordre et de la tranquillité sociale, quand des enseignants, des responsables d’établissement ou des parents doivent s’opposer ouvertement aux agents de la force publique qui procèdent aux arrestations ou aux expulsions, quand l’autorité scolaire ou parentale doit contredire une autorité censée assurer la sécurité de tous.
Nourri de nombreux témoignages sur les violences de la "chasse aux enfants" et l’engagement de militants de RESF, ce livre montre que cet engagement au nom de la solidarité active, maintenant pénalisée, relève, au-delà de la conscience morale, beaucoup plus fondamentalement de la possibilité réelle de vivre ensemble.

Biographie de l’auteur
Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste, est l’auteur de plusieurs ouvrages aux Éditions La Découverte, dont, avec Angélique del Rey, professeure de philosophie, Connaître est agir (2006) et Éloge du conflit (2007).

Le livre coûte 10 euros.

On peut trouver ces 2 livres à la Librairie Lune et l’autre, 19 rue Pierre Bérard - 42000 Saint-Étienne
Tél : 04 77 32 58 49 - Lune-et-l-autre@hotmail.fr
et au Remue-Méninges lors de la rencontre...