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Le procès à faire, c’est celui de Lactalis et des multinationales de l’industrie agro-alimentaire, pas celui des paysans !

vendredi 3 juin 2011

Une journée forte, bien remplie, et qui fera date ! Ce mercredi 1er juin, malgré la pluie et la température plutôt froide, plus de 1000 personnes, peut-être pas loin de 1500, ont manifesté, discuté, réfléchi ensemble à St-Etienne à l’occasion du procès fait par la multinationale Lactalis à la Confédération Paysanne de la Loire et à Philippe Marquet pour faire condamner les actions de résistance et leur extorquer 14 000 euros.

Parmi les présents arrivés au fur et à mesure dès 10h vers le grand chapiteau installé sur la place Jean Jaurès, une majorité de paysans, bien sûr. Venus de tout le département de la Loire, et du Rhône, comme au plus fort des mobilisations de 2009 lors de la grève du lait. Mais aussi des délégations de paysans des autres départements de la région, et de plusieurs autres départements de France. A noter qu’au même moment une centaine de paysans du grand-Ouest manifestaient au siège de Lactalis à Laval, en Mayenne, preuve de l’importance donnée à ce procès...
Beaucoup des paysans présents sont membres de la Confédération Paysanne. Mais des paysans non syndiqués étaient là aussi, et plusieurs délégations départementales de l’APLI - association des producteurs de lait indépendants - dont l’un des militants a pris la parole l’après-midi sous le chapiteau à Jaurès.

Et puis il n’y avait pas que des paysans. Plusieurs centaines de personnes, citoyens, membres de nombreuses associations, sont venues elles aussi, à un moment ou à un autre de la journée, et surtout en fin d’après-midi et en soirée, apporter leur soutien, dans un chapiteau toujours plein, même quand beaucoup de paysans sont partis dans leurs fermes, après 17h, pour la traite. L’idée que celles et ceux qui produisent la nourriture doivent pouvoir vivre de leur travail a fait son chemin, ça se voit...

Des élus sont venus aussi, tout au long de la journée : des maires, des conseillers généraux et régionaux...

Tout cela a fait une journée intense, de 10h à 22h30, une journée riche de très nombreux témoignages qui ont aidé à comprendre à quoi on a affaire et permis de s’informer mutuellement de ce qui se construit en actions et en projets.

Avant de partir en direction du Palais de Justice, des prises de parole ont eu lieu sur la place, sous la pluie, puisque le grand chapiteau était trop petit : Laurent Pinatel et Marie Noëlle Orain pour la Confédération Paysanne, puis Jean-Claude Bertrand pour les élus de Gauche du Conseil Général (où une majorité de conseillers généraux a voté une motion de soutien), et Olivier Keller, conseiller régional, au nom de Jean-Jacques Queyranne, président du Conseil régional rhône-Alpes...





Puis la manifestation a démarré, derrière la banderole : “Debout !!! Résistons à la dictature des profits”, et autour du char sur lequel avait été construit un bulldozer symbolisant la multinationale Lactalis qui écrase les paysans.
Le cortège a emprunté la grand-rue et la rue Michel Rondet...








Arrivés à proximité du Palais de Justice, surprise : blocage par les CRS. Et le même déploiement pour la bataille de rue était mis en place en haut de la rue Georges Teyssier, de l’autre côté du Tribunal. Impossible de s’approcher du Palais de Justice et de faire les prises de paroles prévues devant le Palais. Pourtant c’était convenu. Protestations. Et rapidement : bombes et grenades lacrymogènes contre les paysans, autres citoyens et élus présents !







Avec un peu de recul - et en voyant comment le compte-rendu de la journée a été fait par ceux des médias qui sont un peu fainéants et pour qui c’est plus facile et moins “chaud” de parler d’“affrontements” que de mettre le nez un peu sérieusement dans les pratiques de Lactalis -, on se dit qu’on a eu affaire là à une volonté de dévoyer le sens de cette journée... (voir plus bas)

Dans ces conditions, la manifestation, au bout d’un moment, s’est partagée en deux, plusieurs centaines de personnes allant bloquer un moment la grand-rue puis s’installer de l’autre côté du Palais de Justice, rue Georges Teyssier.


Et tout le monde est resté là - pendant plus de 2 heures, et avec une animation qui n’a jamais cessé - jusqu’à ce que Philippe Marquet et François Pitaval ressortent du Tribunal et s’adressent aux présents, des deux côtés de la Place...






Avant de partir, une botte de paille est enflammée devant les barrières. ça n’a pas grande conséquence, et ça soulage. Elle brûle normalement, tenue en joue par un CRS, jusqu’à ce qu’ils trouvent un extincteur...

Retour au chapiteau à Jaurès. Avec tout ça, la suite du programme a du être réalisée au pas de course !...
Porte-parole national de la Confédération Paysanne, Philippe Collin a rappelé que le procès qui était à faire n’était pas celui des paysans, mais celui des pratiques des grands groupes de l’industrie agro-alimentaire. Dans le même sens, François Pitaval : “nous ne laisserons pas les puissants de ce monde broyer des hommes et des femmes. Nous voulons juste vivre dignement de notre travail, il est inacceptable que le prix de vente de nos produits soit inférieur au coût de production”. Philippe Marquet a rappelé lui que sans les actions paysannes de 2009 pour lesquelles Lactalis veut faire condamner aujourd’hui des paysans, des “contrats” d’asservissement (censés remplacer les “quotas” régulant la production laitière) auraient été mis en place dès le 1er octobre 2009 ! Le problème aujourd’hui reste le même qu’en 2009 : refuser l’asservissement des paysans, et pour cela gagner d’autres contrats.

Et puis se sont déroulés les deux forums prévus, animés par Jean-Louis Cloye, vétérinaire des Monts du Lyonnais.





Le premier était consacré à la situation de la production laitière, avec Dominique Lebreton, de Loire-Atlantique, qui a refait l’historique de la ruine organisée des paysans producteurs de lait depuis 2003, quand la commission européenne et Mme Fisher-Bohl ont décidé que la politique européenne du lait devait devenir ultralibérale, en supprimant progressivement les quotas à partir de 2005 pour les faire disparaître totalement d’ici 2015. Ça s’appelle organiser de toutes pièces une crise de surproduction. Rien de mieux pour faire effondrer les prix, augmenter les profits de l’agro-industrie, concentrer les fermes en usines à lait, éliminer des dizaines de milliers de paysans. D’autant qu’ensuite, avec l’arrivée de la spéculation sur les produits alimentaires, les prix ont flambé pendant un temps, que pas mal de monde s’est mis à produire plus, jusqu’au retour de bâton : l’effondrement des prix !
Yves sauvaget a fait le point ensuite sur les “contrats”, en cours de mise en place en remplacement des quotas, alors même que le décret ministériel sur les “organisations de producteurs” (qui pourraient donner un peu de force aux paysans) n’est annoncé que pour la fin de l’année ! Important : la Conf’ a décidé de rédiger un contrat type, qui soit favorable aux paysans, et sur lequel chacun pourra s’appuyer dans les actions et négociations sur le sujet. Pour ce faire, la Confédération paysanne travaille notamment avec l’APLI, la Coordination Rurale, la FNAB...
Il y a aussi le projet de constituer une organisation de producteurs qui s’appellerait ”France milk board”, une sorte d’Office du lait, un projet sur lequel L’APLI a déjà beaucoup travaillé. Une sorte de CNIEL bis, non inféodé aux grands groupes industriels de l’agro-alimentaire.

Un des points forts de ce contrat type : “on ne laissera pas les industriels intervenir avant le transfert de propriété du lait. C’est à dire sur ce qui se passe dans les fermes avant le siphonage du tank à lait...”. Ça, ça regarde les paysans ! Non à l’intégration.
Jean-Luc Rouchouze, paysan du Pilat, a raconté comment ça se passe dans le nouveau bassin laitier créé pour la gestion des quotas (de ce qu’il en reste) dans le bassin sud-est. “On nous a dit : pas la peine de bloquer la production puisque dans 3 ans il n’y aura plus de quotas”. L’objectif du ministre Le Maire est clairement d’augmenter la production. Mais avec la perspective qu’en 20020-2024, il ne reste que 20 000 lieux de collecte du lait, c’est à dire 20 000 usines à lait, au lieu de presque 80 000 fermes aujourd’hui...

Et ce qui s’annonce est une guerre entre les bassins de production, et ce au niveau européen. Un paysan du grand ouest a expliqué que c’est le langage qu’on leur tient : il faut par exemple “que la région grand-ouest crève les paysans hollandais”. Enthousiasmante perspective. Un beau monde, vraiment, que celui des capitalistes et des spéculateurs ! On est loin, dans ces milieux-là, de ce qui motive le travail et les luttes des paysans : gagner dignement sa vie en produisant la nourriture dont l’humanité a besoin...





Dans la foulée a eu lieu le deuxième forum avec des témoignages et échanges d’expériences sur les luttes et de résistances dans la société. On essaiera d’en reparler...

Et c’est par très grand repas amical que tout s’est terminé, sous le chapiteau toujours plein à bloc. Au cours de la journée et en soirée, le groupe Crêt de folk a joué à plusieurs reprises. Et puis la chorale “La barricade” a pris le relais jusque vers la fin du repas...


Rendu du jugement le 14 septembre.

Lactalis veut une condamnation et 14 000 euros de dommages et intérêts. L’avocate Me Jullien a défendu Philippe Marquet et la Confédération Paysanne. Elle a pu aborder dans sa plaidoirie le fond de l’affaire, ce qui n’est pas courant dans un jugement au civil. Preuve sans doute que les juges sont intéressés par le contexte dans lequel s’est déroulée l’action devant l’usine Lactalis en août 2009. Le jugement sera rendu public le 14 septembre...

Le choix de la violence : pour changer de sujet ?

Qui a décidé d’empêcher - au dernier moment - les paysans d’accéder à la Place du Palais de Justice et de les ”accueillir” avec une armée de CRS qui ont immédiatement utilisé des bombes et des grenades lacrymogènes et des matraques ? Pourtant il était connu - et convenu - que la manifestation accompagnerait Philippe Marquet et François Pitaval jusqu’aux marches du Palais de Justice où plusieurs prises de paroles, notamment de syndicalistes, devaient avoir lieu.
On imagine difficilement un commissaire de police, même particulièrement hargneux vis à vis des paysans, prendre sur lui d’agencer un tel traquenard. Est-il envisageable que le Préfet de la Loire - représentant ici du gouvernement - ne soit pas partie prenante de cette décision ?
Ce qui est clair en tous cas, c’est que ceux qui mènent ou couvrent une politique qui élimine les paysans ont tout intérêt à ce qu’on parle d’autre chose que du sujet.
Bien sûr, ils savent que cette violence gratuite va révolter les présents, et bien d’autres personnes qui connaissent des participants à la manifestation ou en entendront parler d’une façon ou d’une autre. Bien sûr, on n’oubliera pas, sans doute même y aura-t-il des plaintes, d’autant que des personnes ont été blessées. Mais c’est un moindre mal pour les Lactalis et cie. Le plus important pour eux est qu’on parle le moins possible du fond du problème : la situation des paysans, la destruction des éleveurs laitiers qui pratiquent une agriculture paysanne par les multinationales de l’agro-alimentaire et de la grande distribution qui effondrent les prix payés aux producteurs, augmentent ceux payés par les “consommateurs”, et font d’énormes profits...
C’est embêtant pour eux si la société se met à regarder tout ça de près. Il vaut encore mieux qu’on parle d’“affrontements”, de “heurts entre manifestants et force de l’ordre”...
Plutôt la photo d’une botte de paille qui s’enflamme, comme si St-Etienne brûlait, que celle du rouleau compresseur avec l’inscription “paysans écrasés - actionnaires engraissés”...
Bref, l’essentiel est de changer de sujet, pour ne pas parler du face à face essentiel : Lactalis et cie contre paysans+société.