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Une interview d’Eyal Sivan

Les résultats des élections israéliennes, ou l’évacuation de la question palestinienne...

lundi 28 janvier 2013

Cette interview d’Eyal Sivan, réalisateur israélien, est en ligne sur le site de l’UJFP-Union Juive Française pour la Paix. Les propos d’Eyal Sivan ont été recueillis par Michèle Sibony. Sur ce site et dans cette même page, on peut lire également la traduction par Eyal Sivan d’un article de Gidéon Lévy dans le journal israélien Haaretz du 24 janvier 2013, après l’annonce des résultats définitifs : « Elections au conseil syndical »... Gidéon Lévy qui écrivait le 23 janvier : "Israël a dit hier d’une façon claire et sans ambiguïté ce qu’il veut : il ne veut Rien, juste qu’on le laisse tranquille..."

Eyal Sivan, le cinéaste et auteur israélien, co-auteur avec Eric Hazan de « un Etat Commun » et du film qui l’ accompagne : "Conversation Potentielle" (édition La Fabrique), a accepté de partager avec nous sa connaissance approfondie du système électoral israélien, et ses analyses du déroulement de la campagne et de ses résultats.

Le lecteur français n’a pas été très informé, c’est le moins qu’on puisse dire, sur les enjeux de la campagne électorale israélienne. Peux-tu décrire les principaux groupes politiques en présence et la teneur de leurs programmes ? 

Le système électoral israélien est celui d’une proportionnelle intégrale. Le seuil d’accès au parlement est de 2 % des voix. Pour pouvoir passer le seuil il faut environ 75 000 voix, mais pour faire entrer un député il faut 30 000 voix, il faut donc 2 élus minimum.
Dans un tel système il n’y a pas de majorité possible. Ainsi le plus grand parti vainqueur : Likoud- Beiteinou (Netanyahu -Liberman) se situe aujourd’hui à 26% des voix ce qui lui donne 31 députés sur 120. Il est obligé de trouver encore 25% du parlement pour constituer une majorité. Le deuxième parti n’a que 16 % des voix avec 19 députés sur 120. Cela produit qu’un parti à deux députés, obtient plus de poids décisionnaire pour monnayer sa participation qu’un parti de 30 députés. Du coup la véritable question est celle de la coalition qui sera constituée.

La carte politique de ces élections se définit en quatre grands composants :

La droite et l’extrême droite avec Likoud Beiteinou (notre maison) Netanyahu Liberman (25,8 % - 31 sièges)
et Habait Hayeoudi (le foyer juif) : conduit par Neftali Benett : c’est le renouveau du traditionnel parti national religieux (Mafdal) avec à l’intérieur de ces deux partis, le poids écrasant des colons et des mouvances d’extrême droite (10 % -12 sièges).

Les partis dits sectoriels : les partis religieux orthodoxes divisés entre ashkenaze Judaïsme de la Torah et sépharade Shass. Shass (9 % - 11 sièges), membre de la coalition sortante, se présente comme un parti de droite sur la question palestinienne et affaires étrangères, comme un parti social sur la défense des plus démunis.
Judaïsme de la Torah, lui aussi membre de la coalition sortante, ne se prononce pas sur les questions d’affaires étrangères. Historiquement ce dernier parti refuse les postes de ministres. Il négocie des postes de vice-ministres et des commissions parlementaires comme celle des finances.

Un troisième composant est constitué de partis se définissant eux mêmes comme « centristes » et non comme on les présente à l’étranger et dans la presse israélienne comme « centre-gauche ». Qualification que tous ont refusé en permanence pendant toute la campagne.
Yesh Atid, (Il y a un avenir) de Yair Lapid (15,8% des voix - 19 sièges),
Hatnua (Le mouvement) de Tsippi livni, composé des anciens de Kadimah parti dissident du Likoud établi par Ariel Sharon (5 % - 6 sièges),
Kadimah de Shaul Mofaz composé du reste de la scission et le plus grand parti du parlement sortant (2 députés).
Enfin le parti Havoda (travailliste) caractérisé dans cette campagne par le refus absolu de Shelly Yachimovich de se prononcer sur les questions palestiniennes et Affaires Etrangères, et qui a mené campagne sur une ligne social-démocrate autour des questions intérieures sociales et économiques (12,5% -15 sièges).

Le quatrième groupe se compose du seul parti sioniste se disant toujours de gauche Meretz qui a doublé son nombre de députés (5% - 6 sièges) et de 3 partis dits arabes : Hadash (front démocratique pour l’égalité), seul parti clairement juif arabe, Ram-Taal (Ahmad Tibi avec parti Islamiste), et Balad (front démocratique national) avec Jamal Zahalka et Hanin Zoabi. Balad est le seul parti qui propose une réforme intégrale de la structure politique israélienne, en revendiquant non pas un État juif mais un État de tous ses citoyens.

Une première conclusion à tirer de cette présentation qui a été aussi la caractéristique de toute la campagne : c’est un Centre qui a clairement refusé de se dire de gauche et la droite et l’extrême droite ont dominé toute la campagne. C’est entre eux que va se jouer la coalition. Ce centre là est né ou est le reflet de la révolte des tentes de l’été 2011 qui elle même s’est caractérisée par son refus d’être considérée comme une révolte de gauche, et son refus d’intégrer la question de l’occupation et la question palestinienne à ses revendications.

 Il y a dans cette campagne deux nouvelles figures celles de Naftali Benett et celle de Yaïr Lapid : peux tu nous les décrire ?   

Il faut d’abord leur rendre justice à tous les deux : ils sont l’auto représentation de la projection imaginaire du Nouvel Israélien .
Tous les deux sont quadragénaires, mâles, ashkenazes, millionnaires, néo-libéraux, des self made men, américanisés, ils vivent dans des quartiers de la haute classe moyenne israélienne des environs de Tel Aviv, ne viennent pas des appareils politiques, et donc avec « une autre politique » le slogan de Benett : « quelque chose de nouveau commence ». Avec celui de Yesh Atid : « nous sommes là pour le changement » s’affiche une volonté de rupture avec le passé. Un passé qui doit être qualifié : tous deux considèrent aujourd’hui que la question centrale israélienne est celle de la politique intérieure. Question économique et sociale. La question palestinienne est pour Lapid une question secondaire, pour Benett c’est une question non pertinente.

Lapid : 49 ans, fils de Tommy Lapid, journaliste important qui a dirigé un parti météorique antireligieux, Yaïr le fils a été chroniqueur de presse écrite, puis le présentateur star du journal télévisé de la 2e chaîne nationale et aussi de l’émission la plus écoutée en Israël : le magazine d’information du vendredi. Elu trois fois l’homme le plus sexy d’Israël, il habite Ramat Aviv, la campagne l’a montré sortant de chez lui serviette autour du cou allant faire son sport, jeep BMW, et grosse fortune personnelle.

Benett : 40 ans d’origine américaine, on l’appelle le « religieux light », il avait enlevé la kippa pendant son service militaire et l’a remise après l’assassinat de Rabin, il a vécu aux Etats-Unis où ses parents étaient en poste, et présente un profil très semblable à celui de Netanyahu. Il a grandi au bne akiba, mouvement de jeunesse des nationalistes religieux, habite Raanana, modèle de success story du high tech israélien, dans lequel il a fait fortune. Selon ses propres termes, son modèle depuis l’adolescence a toujours été Yoni Netanyahu, frère de Benyamin, commandant de l’unité commando d’élite de l’armée israélienne, Sayeret Matcal, il a dirigé l’opération d’Entebbe au cours de laquelle il a été tué. Benett est devenu lui-même officier de la Sayeret Matcal. Il cumule tout de même quelques expériences politiques après sa fortune dans le high tech comme directeur général du conseil général des colonies de Judée-Samarie, puis directeur de cabinet de Netanyaou pendant quelques mois.

Benett a d’abord hésité à monter son propre parti puis décidé de se présenter aux primaires du Mafdal (parti national religieux historique), il a gagné les primaires, et a ensuite fusionné avec un parti d’extrême droite représentant les colons : l’Union Nationale. Sur sa liste on trouve 3 députés entrants colons du noyau dur de Hébron, dans le reste une mouvance extrême droite pas uniquement religieuse, son numéro 2 par exemple est une femme laïque Ayelet Shaked ex-secrétaire de cabinet de Netanyahu.

Sur la liste de Yesh Atid par contre, aucun député n’a d’expérience parlementaire, on ne trouve pas de figure connue, sauf peut-être l’ancien chef des services secrets israéliens Yaacov Peri en cinquième position.
Il faut noter une autre caractéristique commune et de l’israélien moderne, on ne trouve pas de figure militaire importante, c’est aussi le cas dans le Likoud.

Leurs programmes ont en commun une focalisation sur les questions économiques intérieures, la mise en avant de l’amélioration de la condition de la classe moyenne (et non pas pauvre, attention), baisse des prix et accès au logement, le partage des charges tel que Barak l’a d’ailleurs cyniquement défini : « En Israël il y a ceux qui se lèvent le matin pour aller travailler, ceux qui font le service militaire de réserve, et ceux qui payent des impôts : ce sont toujours les mêmes » cqfd, ni les arabes ni les religieux qui sont par ailleurs les deux groupes sociaux les plus défavorisés du pays. Les deux partis proposent l’enrôlement des religieux orthodoxes dans l’armée, le service national obligatoire pour les arabes.

Quels sont alors les points de divergences entre ces 2 partis ?  

Le seul point de divergence, entre Yesh Atid et Habait Hayehudi, non mis en avant dans les campagnes, mais visible dans leurs programmes est la question israélo-palestinienne.
Yaïr Lapid n’a fait qu’un seul discours de « politique étrangère » pendant sa campagne et il a choisi de le faire dans la colonie d’Ariel, dans l’université des colonies : dans son discours il dit qu’il est pour le principe de Deux Etats comme seul moyen de protéger la majorité juive en Israël et “pour lever la pression internationale” contre Israël, et sa qualification comme Etat d’Apartheid.
Il est néanmoins pour le maintien des blocs de colonies, et la continuation de leur développement, l’arrêt des constructions de nouvelles colonies et d’avant postes. Pour un rééquilibrage d’investissement entre les TOP et Israël (égaliser le traitement des subventions entre l’intérieur et les colonies) contre le partage de Jérusalem, contre les négociations avec le Hamas, contre le retour aux frontières de 67, et pour des raisons économiques, pour la réduction des budgets militaires.

 Ce dernier point n’est-il pas contradictoire avec le maintien et le développement des blocs de colonies ? 

Cela peut paraître contradictoire, mais son projet est d’aller vers une forme d’annexion civile en lieu et place de l’occupation militaire.

Benett lui s’oppose aux négociations avec les Palestiniens, s’oppose à un Etat supplémentaire entre la mer, et le Jourdain, il soutient l’annexion des blocs de colonies et de la zone C toute entière qui contient 60 % des colonies de Cisjordanie c’est à dire la plus grande partie des colonies n’appartenant pas aux blocs, mais aussi 150 000 palestiniens occupés qui recevraient la nationalité israélienne. C’est pour dit-il « lever l’accusation d’Apartheid » (le Plan d’apaisement de Neftali Benett février 2012). Les zones A et B resteraient elles sous autonomie palestinienne.
Il dit aussi ; « si je recevais l’ordre d’expulser un juif de sa maison, personnellement, en conscience, je ne pourrais pas le faire. D’ailleurs un arabe non plus, je n’en suis pas capable. »

 N’est-il pas étrange finalement que ces deux plateformes semblent se construire autour de l’accusation d’Apartheid comme si les deux étaient conscientes du danger de cette qualification par la communauté internationale ?   

A la différence de l’extrême droite et de Netanyahu qui se désintéressent complètement de la communauté internationale, ils ont ce souci et surtout ils sont conscients de la dépendance israélienne du soutien américain. Mais surtout les deux avec les autres partis du centre décrits plus haut, sont conscients à la différence des autres, que l’Etat juif dans sa forme actuelle de souveraineté (de la mer au Jourdain) perd sa majorité juive et donc son affirmation comme démocratie s’en trouve affaiblie au plan international. Pour y remédier : il faut le maintien d’un Etat juif à majorité juive.

 Comment se caractérise la prochaine coalition ? 

Netanyahu dans son discours des premiers résultats explique que les lignes majeures du nouveau gouvernement sont : l’abaissement du coût de la vie et la construction de logements, le partage de la charge nationale avec l’enrôlement des religieux dans l’armée et l’encouragement dans leur insertion sur le marché du travail, le changement du système électoral. Il veut augmenter le seuil d’entrée au parlement pour aller vers un système américain à deux grands blocs et éliminer les petits partis, dont les arabes entre autres.
C’est la première fois qu’il énonce ces points comme centraux, et c’est un appel clair à Lapid et Benett pour former son gouvernement. (Jusqu’ici Benett a toujours proclamé son soutien à un gouvernement formé par Netanyaou, Lapid lui est resté « ouvert ». Comme eux il évacue la question palestinienne. Mais cela ne suffit pas à former une majorité : il lui faudra donc soit la composante religieuse Shass, et ou Judaïsme de la Torah, soit les deux partis du centre : Livni (6 députés) et Mofaz (2)
Or le point principal de Benett et Lapid est l’enrôlement des religieux. On voit mal comment il pourra faire appel aux partis orthodoxes, sauf si Shass entame une négociation pragmatique en mettant de l’eau dans son vin sur cette question.
Ce serait la première fois depuis 30 ans (à l’exception du gouvernement où a siégé Tommy Lapid, le père, qui refusait de siéger avec des religieux) que Shass ne ferait pas partie de la coalition gouvernementale.
Par contre, Livni et Mofaz ont mis en avant dans leur campagne la nécessité absolue de négociation avec les Palestiniens. Ce qui peut poser des problèmes de cohabitation avec Benett.

 Un bloc contre Netanyahu est-il envisageable ?

Cela voudrait dire Lapid premier ministre, et cela signifierait qu’il devrait se rapprocher des partis arabes, option qu’il a déjà clairement écartée.

 Les sondages prévoyaient avant les élections une baisse sensible du vote arabe, finalement cela n’a pas l’air de s’être produit, que s’est-il passé ?  

Leur poids dans le parlement reste similaire : Balad garde ses trois sièges, Ram Taal et Hadash conservent leurs quatre députés mais le nombre de voix nécessaire pour entrer ayant augmenté, il y a eu plus de votants. Deux explications à cela :
Il n’y a presque plus de vote arabe pour les partis sionistes, contrairement au passé où Shass (qui détenait les budgets municipaux du logement et des cultes) et les Travaillistes avaient beaucoup de voix arabes). Cette fuite des partis sionistes par ce que l’on nomme « le secteur arabe » a commencé en 2000.
Ensuite, parmi les votants Palestiniens d’Israël, Hadash et Balad ont obtenu à quelques voix près le même score, la différence de voix de Hadash vient d’une percée de votes juifs. Hadash a mené campagne chez les juifs, avec comme figure phare un député juif Dov Hanin (figure absente dans les deux autres partis) et met en avant de façon claire le projet de deux Etats avec son slogan historique : « deux peuples deux Etats ». Hadash est donc perçu par le vote juif comme un Meretz social, alors que Meretz est perçu comme libéral d’un point de vue économique.

 Et comment expliquer la percée de Meretz à qui les sondages donnaient maximum 3 députés et qui obtient 6 sièges ?  

C’est la démonstration que les électeurs sionistes de gauche ont bien perçu que le fameux centre présenté comme de gauche dans la presse internationale n’avait rien de gauche. La gauche sioniste a voté Meretz le seul parti de la gauche sioniste israélienne et c’est le résultat : 6 députés sur 120. On peut peut-être ajouter à cela le siège obtenu par les votes juifs pour Hadash.

 Quelles seront donc les grandes lignes de la politique conduite par la probable coalition israélienne ?  

Quand on affirme : il y a un avenir, Yesh Atid, on pose en réalité un doute sur l’avenir. Puisqu’il y a toujours un avenir, la vraie question c’est quel avenir ?
Lapid est aujourd’hui en position d’exiger n’importe quel ministère. On en parle en ce moment comme ministre des Affaires Etrangères. C’est le choix d’un VRP qui peut vendre une bonne image d’Israël, non idéologique, libérale, il pose la négociation avec les Palestiniens comme un aboutissement et non comme un moyen. Il s’agit d’un gage à donner à la communauté internationale afin de contrer ce que l’on appelle la délégitimisation d’Israël. Et pour les palestiniens c’est un piège à miel : 2 Etats et des négociations. D’ailleurs Yasser Abed Rabo au nom d’Abu Maazen vient de l’inviter à Ramallah.

En somme Lapid comme Benett avec son plan d’apaisement, reflètent l’attitude d’une majorité d’israéliens qui ne croient pas à la résolution du conflit, mais à la nécessité de sa gestion. Une gestion dont le pilier est la poursuite de négociations permanentes. L’essentiel restant pour cette majorité, l’amélioration de la condition d’une classe moyenne qui veut se protéger, renforcer son niveau de vie, et n’est pas prête à perdre ses privilèges pour pouvoir résoudre le conflit. Cette séparation totale entre la question économique et sociale et la question de l’occupation qui convient si bien depuis la révolte des tentes, à cette classe moyenne a été portée par Lapid et Benett. On peut conclure qu’en effet il y a rupture avec ce qu’on a pu constater en Israël ces dernières années. Si le rêve dominant était l’évacuation des Palestiniens qualifié par le centre comme une position extrémiste, celui proposé aujourd’hui est l’évacuation de la question palestinienne. Quant à l’évacuation des colonies...


La présentation "officielle" en Israël et à l’étranger (parue dans Haaretz) des résultats - avec une distinction droite-gauche que conteste Eyal Sivan plus haut...