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Amendements à la loi contrefaçon obtenus le 4 février à l’Assemblée Nationale

Une nouvelle victoire contre la confiscation des semences.

Le point de vue de Guy Kastler

mercredi 12 février 2014

La désobéissance des paysans contre une loi illégitime est légitime

Un point de vue de Guy Kastler sur la portée des modifications obtenues à la loi "contrefaçon" votée le 4 février à l’Assemblée Nationale après le désastre du 20 novembre au Sénat
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A de très rares exception près, les variétés reproductibles inscrites au catalogue qui conditionne l’autorisation de commercialiser des semences sont toutes protégées par un Certificat d’Obtention Végétale (COV). Ces variétés ont ainsi colonisé la très grande majorité des champs français. Seule une minorité de récalcitrants, de plus en plus nombreux depuis qu’on parle d’OGM, cultivent leurs propres semences paysannes.
Depuis 1970, les paysans qui cultivent des variétés protégées n’ont plus le droit de réutiliser les semences issues de leur propre récolte. Depuis 1994, un règlement européen a partiellement ré-autorisé ces semences de ferme en les frappant d’une nouvelle dîme : pour 21 espèces seulement et à la seule condition de payer pour chaque utilisation des royalties aux industriels qui font valoir leur titre de propriété. Pour les autres espèces, elles restent interdites.

Pourtant depuis 1970, les paysans refusent ces lois illégitimes et continuent à produire et à utiliser leurs semences de ferme sans payer de royalties. Régulièrement, les obtenteurs tentent de les en empêcher. Ils ont pu gagner quelques procès contre des producteurs de pomme de terre dénoncés par l’obligation particulière pour cette espèce d’indiquer le nom de la variété lors de la vente de la récolte, ou contre des coopératives qui revendaient ouvertement des semences de ferme. Ils ont tenté d’interdire le triage à façon des semences, mais la résistance paysanne les a obligé à reculer. Depuis 2001, les royalties peuvent être directement prélevées sur la facture de vente des récoltes de blé tendre obligatoirement établie pour cette espèce par un organisme agréé. Mais pour les autres espèces, les obtenteurs n’ont pas encore trouvé le moyen de forcer les paysans à payer, ni de prouver la contrefaçon pour pouvoir les poursuivre.

La menace de la contrefaçon

En 2011, les obtenteurs ont fait voter en urgence une loi qualifiant les semences de ferme de contrefaçon et obligeant les agriculteurs qui les produisent à s’enregistrer afin de pouvoir les menacer de poursuites en contrefaçon. Dans le même temps, de plus en plus de brevets sont accordés sur des caractères génétiques des semences faciles à identifier dans les récoltes par analyse moléculaire ou génétique. Fin 2013, le Sénat votait une proposition de loi reprenant toutes les dispositions de l’accord ACTA refusé en 2012 par le Parlement européen. Selon cette loi, un obtenteur pourra exiger que les douanes saisissent lors de sa commercialisation et éventuellement détruisent toute récolte qu’il soupçonne de contrefaçon, sans même avoir besoin d’en apporter la preuve. La levée de bouclier de nombreux élus sensibles aux campagnes de mobilisation de la société civile a alors été détournée par le gouvernement qui a affirmé contre toute évidence qu’il n’y avait rien à craindre pour les semences de ferme.

Le détricotage des lois scélérates

Échaudés par les remontrances de leurs électeurs qui leur ont expliqué comment ils se sont fait manipuler, quelques élus ont décidé de changer les choses. Lors de la première lecture de la loi d’avenir agricole, ils ont introduit trois nouveaux articles de loi :

- les paysans pourront échanger leurs semences de variétés non protégées par un COV, ce qui facilitera les sélections et la conservation de semences paysannes « libres de droit de propriété »

- les paysans qui produisent leurs semences de ferme ne seront plus obligés de s’enregistrer,

- les paysans dont les cultures seraient contaminées par des caractères génétiques brevetés pourront vendre librement leur récolte.

Le Sénat doit encore confirmer ces avancées, restons mobilisés pour qu’il ne fasse pas marche arrière !

Restait la contrefaçon : il est évident qu’avec une telle menace, aucun transformateur n’achèterait une récolte sans la garantie qu’elle est issue de semences certifiées ou de semences de ferme ayant acquitté les royalties exigées. Le 21 janvier 2014, en point d’orgue de la vaste campagne de sensibilisation orchestrée par le collectif Semonslabiodiversité, la Confédération paysanne s’installait dans les locaux parisiens de l’Interprofession semencière (GNIS) pour obtenir une « exception agricole » à l’application de la loi sur la contrefaçon. Quelques heures après, le Minisitre promettait de lui donner satisfaction.

Le 4 février, les députés votaient deux amendements, le premier déclarant que « l’utilisation (des semences de ferme) ne constitue pas une contrefaçon », le deuxième que la loi sur la lutte contre la contrefaçon « n’est pas applicable aux semences de ferme ».

Une victoire politique...

Il n’a fallu qu’un jour de réflexion au GNIS pour découvrir une évidence : « la loi contre la contrefaçon n’altère pas les droits légitimes des obtenteurs de variétés ». Ceux qui attendaient le grand soir de l’abrogation de toutes les lois sur les COV ou les brevets sur les semences en sont pour leurs frais : même l’auraient-ils demandé avant le vote, ils ne l’auraient pas obtenu de cette loi dont l’objet n’est pas de définir les droits de propriété industrielle, mais uniquement les moyens de lutte contre la contrefaçon.

La lutte pour les semences de ferme qui dure en France depuis 43 ans ne s’est pas terminée en un soir. Mais ce soir-là, elle a avancé d’un grand pas. Car ce que le GNIS se garde bien d’avouer, c’est que si les droits des obtenteurs n’ont pas été modifiés, ils ont par contre perdu toute légitimité. Si l’utilisation des semences de ferme ne constitue pas une contrefaçon, il n’y a aucune raison de vouloir les interdire ou d’exiger des royalties.

... qu’il convient de transformer

D’un point de vue technique, il s’agit de nouveaux clous enfoncés dans l’application des droits des obtenteurs :

- les semences de ferme des 21 espèces dérogatoires ne sont plus des contrefaçons. Certes la loi oblige encore le paysan à payer des royalties, mais les obtenteurs ont perdu tous les moyens juridiques de lutte contre les contrefaçons qui leur auraient permis de les récupérer. La promesse d’accords interprofessionnels ou de décrets en Conseil d’État qu’on attend depuis plus de deux ans nous dira s’ils en trouveront d’autres. Ça ne fait après tout que 43 ans qu’ils les cherchent...

- pour les autres espèces, les semences de ferme restent des contrefaçons interdites, mais là encore les obtenteurs ont perdu un puissant levier juridique : ils ne pourront pas faire pression sur les acheteurs des récoltes en les menaçant de saisie et de destruction des récoltes qu’ils ont achetées. Et les seuls moyens qui n’ont pas été abrogés car issus de lois précédentes (huissiers, saisies de document administratifs chez les paysans...) ont déjà fait la preuve de leur inefficacité,

- la propagande sur les nouvelles espèces dérogatoires faisant croire qu’il n’y aurait bientôt plus aucun problème de semences de ferme en France s’est soudain dégonflée. La Ministre a été obligée de reconnaître qu’elle ne pouvait s’appliquer qu’aux COV français qui ont presque tous disparu et non aux COV européens que la loi française ne peut pas modifier à elle seule.

Avec cette loi contrefaçon, les paysans ont renforcé leurs moyens de continuer à désobéir aux lois illégitimes sur les COV et les brevets sur le vivant. C’est le meilleur moyen de pouvoir continuer à lutter pour les abroger article après article et le collectif semonslabiodiversité s’y emploiera dès les prochaines discussions françaises sur la Loi d’avenir agricole et les prochaines discussions européennes sur le COV, le brevet, la commercialisation des semences, la santé des végétaux et le contrôle de la chaîne alimentaire.

Le premier pas de l’émancipation des paysans

Mais pourquoi donc se battre pour avoir le droit de reproduire des semences trafiquées par l’industrie ? Ne vaut-il pas mieux rejeter les 99 % de paysans français qui les cultivent pour s’enfermer dans une bulle étanche avec les derniers « résistants » qui sélectionnent et ne cultivent que leurs propres semences paysannes, ou les dernières variétés anciennes encore utilisables ?

Malheureusement, aucune bulle n’est étanche dans le monde vivant avec lequel travaillent les paysans et ces lois scélérates menacent les semences paysannes tout autant que les semences de ferme. Les gènes et autres caractères brevetés se promènent d’un champ à l’autre avec les pollinisateurs, le vent, les outils agricoles, les transports de récoltes... Les paysans qui ne cultivent que des semences paysannes préfèrent souvent payer des royalties aux obtenteurs plutôt que d’être poursuivis pour échange illégal de semences avec leurs collègues. Et le droit de ressemer une partie de sa récolte ou de planter les boutures issues de ses plantations peut-il se couper en morceaux : bon pour les uns, nuisible pour les autres ? N’est-il pas le premier pas de l’émancipation des paysans de la dictature économique des multinationales semencières ? N’est-il pas de plus en plus souvent la première marche d’une émancipation totale par l’apprentissage de la gestion dynamique des semences paysannes ?

Guy Kastler.

http://www.semencespaysannes.org