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Lettre ouverte concernant la loi interdisant les signes religieux à l’école

samedi 16 octobre 2004, par Vincent Bony

Bonjour,
J’ai dernièrement diffusé largement une invitation pour visionner le film "Un racisme à peine voilé".
Compte tenu des réactions et des rencontres depuis, j’ai décidé d’écrire la
lettre ouverte et personnelle qui suit concernant la loi sur les signes
religieux à l’école.
Je me permets de vous l’adresser en espérant créer ainsi quelques espaces de
discussion démocratique sur cette question que je crois essentielle.

Après avoir été à une rencontre du collectif « une école pour toutes et
tous » pour voir avec des personnes d’opinions très diverses le
film « un racisme à peine voilé », après avoir reçu différentes réactions
souvent très critiques face à la mobilisation contre la loi « pour la
laïcité », j’ai envie de faire part de mes impressions et positionnements en
guise d’ouverture de débat, car il y a me semble-t-il des certitudes et des
consensus beaucoup trop unanimes pour ne pas être à interroger.

En effet, je ne peux m’empêcher de penser, et de constater à travers les
premières applications et premières dérives de la loi interdisant les signes
religieux à l’école, qu’au nom de nos valeurs démocratiques et laïques, que
nous pensons et voulons universelles, nous sommes en train de construire un
absolu aux profonds relents totalitaires.
Comme tous les absolus, religieux ou non, celui-ci génère de l’exclusion et
de la violence. Combien de temps nous faudra-t-il pour nous apercevoir de
l’ampleur et de la gravité de ce que cela va instituer dans ce que nous
voudrions être « notre démocratie », à l’extrême opposé des valeurs mêmes
que nous voulions défendre.
Au lieu de défendre et de faire vivre nos valeurs les plus nobles et
progressistes, nous nous mettons à vouloir les imposer par décrets dans le
dédain le plus fort de ce qui peut faire la spécificité et l’identité propre
de certains de nos concitoyens au sein de notre ensemble social.

Qui sont donc les intégristes ? N’est ce pas ceux et celles qui prônent la
pensée unique, le non mélange, le sectarisme, l’exclusion des opposants,
divergents ou différents, la suprématie des purs qui adhèrent sans contester
au modèle sacré...
Bien sûr que ce stigmate convient fort bien aux fanatiques religieux,
musulmans ou autres, qui voudraient imposer leur modèle au monde entier
s’ils le peuvent. Mais nous devons nous interroger en nous demandant si
malheureusement ce triste descriptif ne pourrait pas aussi nous convenir si
nous devenons les ardents défenseurs d’une laïcité sacralisée qui
interdirait l’expression, l’affirmation ou la simple visibilité de certaines
différences jugées intolérables.
Oui je suis pour que jamais en France, comme ailleurs, qui que ce soit ne
soit dans l’obligation de mettre un voile ou quoi que ce soit au nom d’une
religion ou d’autre chose, s’il ne l’a pas choisi. Mais de la même manière,
je suis opposé à ce que l’on impose à qui que ce soit, au mépris de sa
volonté et de ses convictions, un accoutrement ou que l’on en interdise un
autre au nom d’un principe érigé en absolu par quelque personne ou pouvoir
que ce soit.

Bien sûr qu’il y a des symboles qui peuvent colporter des idées ou des
pratiques condamnables sur le plan du droit ou sur le plan moral. Bien sûr
que le voile islamique peut représenter la soumission des femmes à la toute
puissance masculine, à la toute puissance de préceptes religieux qui
voudraient s’imposer à tout individu. Mais ce n’est pas ce qu’il représente
pour celles qui en France choisissent librement de le porter par conviction
et démarche personnelle. N’en ferions-nous pas trop facilement le symbole d’un fanatisme tellement menaçant que le monde occidental aurait devoir de le
combattre par tous les moyens, même les plus opposés aux valeurs qu’il dit
vouloir défendre. Ne sommes-nous pas suralimentés par nos propres fantasmes
communautaires, pour ne pas pouvoir accepter le mélange, la rencontre et l’
échange avec ces personnes dont l’habillement et les références nous
dérangent parce qu’elles bousculent nos certitudes et nos convictions les
plus fortes.
Moi aussi j’ai a priori du mal à voir dans le voile islamique autre chose qu
’un symbole de soumission à un dictat misogyne. Moi aussi je suis tenté par
un regard compatissant voulant nécessairement voir ces femmes voilées comme
des victimes d’une aliénation extérieure ou intérieure.
Mais quand je les rencontre, que je discute avec ces jeunes filles
indiscutablement façonnées par les valeurs démocratiques du pays où elles
sont nées, qui est le leur comme il est le notre, qui ont décidé de faire
l’expérience de cette démocratie en affichant leur spécificité dans le
respect des différences, en affichant ce à quoi elles croient, en rupture
avec le choix de leurs parents qui ont préféré mettre leurs pratiques
religieuses en veilleuse pour passer le plus inaperçu possible, en rupture
avec le traditionnel complexe du colonisé face au colonisateur,
quand je vois ces jeunes filles, qui ne renvoyaient jusque là qu’une image
d’effacement et de déni, défier avec respect, dignité et détermination non
violente l’ordre établi au risque de l’exclusion, ces jeunes filles qui
découvrent que leur voile peut devenir un signe fort de leur insoumission
par rapport à l’idéologie dominante qui veut leur nier le droit à l’
enseignement, qui veut les séparer de ceux et celles avec qui elles veulent
continuer d’apprendre,
quand je les entends prendre la parole publiquement, quand je les vois faire
ainsi acte d’émancipation par rapport au soi-disant consensus tout puissant
qui veut les voir se soumettre ou disparaître du champ social et public,
je me dis qu’il doit y avoir une erreur d’appréciation dans notre regard.

Aujourd’hui, à travers ce collectif « une école pour toutes et tous »,
s’affirme un réel engagement pluriel, démocratique, respectueux des
différences, rassemblant de manière de plus en plus large des musulmans, des
musulmanes, voilées ou non, des féministes, des athées, des libertaires et
autres progressistes ou humanistes.Tous sont fondamentalement opposés à
l’exclusion de ces jeunes filles de l’enseignement public. Au nom de nos
valeurs démocratiques et laïques, ces exclusions sont totalement
inacceptables, qu’elles touchent des jeunes filles qui s’affirment dans leur
identité tout en se revendiquant membres à part entière de leur
environnement social et public, ou qu’il s’agisse de jeunes filles victimes
d’un dictat familial qui pour cela sont aussi maintenant victimes du rejet
de leur seule chance d’émancipation. Cette évidence ne pourra pas et ne doit
pas restér longtemps déniée.

Aussi, je pense que nous avons réellement besoin de nous laisser interpeller
par cette lutte qui ne fait que commencer pour accepter d’y voir autre chose
qu’une régression sociale et morale ou une manipulation. Nous devons saisir
l’occasion pour renforcer notre pratique et nos valeurs démocratiques,
seules chances pour arriver à vivre un jour ensemble en France et partout
dans le monde. Cet engagement pour une vraie démocratie doit nous pousser à
créer des liens au delà des barrières qui s’érigent de toutes parts et dont
nous sommes trop souvent porteurs ou auteurs.

C’est pourquoi, en franche opposition avec SOS Racisme, la Licra et autres
organisations bien pensantes qui, au soit disant nom de la défense de la
laïcité, refusent de défiler le 7 novembre prochain contre le racisme et l’
antisémitisme aux côtés d’associations musulmanes opposées à la loi
interdisant les signes religieux à l’école, je ne peux qu’inviter chacun et
chacune à oser rencontrer, et pourquoi pas rejoindre, les membres de ce
collectif. C’est en osant l’échange, la rencontre et la confrontation des
points de vue que l’on peut changer de regard et se faire une idée vraie,
fondée sur autre chose que des a priori ou autres fantasmes. J’invite chacun
et chacune à voir et à faire voir ce très bon film "Un racisme à peine
voilé" qui ouvre le débat de manière assurément plus large que tous les
média réunis, en étant bien loin de tout prosélytisme ou de tout fanatisme.

Comptant sur votre intérêt et vos réactions.

Bien cordialement

Vincent BONY

PS : Si vous souhaitez savoir comment vous procurer le film, faites-le moi
savoir !
 : Contact 

Vincent Bony est éducateur et travaille dans la région stéphanoise.