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Liban : une semaine après...

mercredi 23 février 2005, par Sélim Mehiou

La question qui soulève beaucoup d’interrogations depuis une semaine reste la même : qui a tué Hariri ?

On ne saura peut être jamais y répondre avec certitude. On a le devoir d’essayer de comprendre les tenants et les aboutissants pour ne pas avoir une vue simpliste de la situation.

Ce qui fait l’unanimité des analyses dans le monde arabe c’est la qualité exceptionnelle de Hariri. Les éloges viennent de tout bord, de tous les milieux politiques : démocrates, nationalistes, islamistes...
Dans le monde, c’est exactement la même chose : l’Iran, la France, les Etats-Unis... tous sont sur la même longueur d’onde pour regretter l’ex premier ministre libanais.

C’est pareil au Liban avec une dose d’hypocrisie en plus lorsqu’il s’agit des réactions de la classe politique libanaise : l’opposition maronite, qui traitait Hariri de voleur il y a quelques mois à peine, le présente aujourd’hui comme s’il était membre actif de l’opposition. Les loyalistes pro syriens au pouvoir, qui le traitaient la veille de traître et d’agent israélien, viennent présenter leur condoléances, les larmes aux yeux, aux membres de sa famille...

Une autre unanimité apparaît également au sujet de la responsabilité de l’attentat. La piste d’un kamikaze islamiste est considérée par tout le monde comme peu sérieuse. Ceci a été confirmé par différents éléments matériels publiés dans la presse libanaise : le personnage qui a revendiqué l’attentat ne possédait pas le permis et ne savait pas conduire une voiture. Beaucoup d’analystes parlent d’une charge dissimulée sous la chaussée et non d’une action kamikaze...

Même Zarquaoui qui massacre à tort et à travers en Irak sous prétexte de résistance s’est offusqué de la dite revendication.

Reste les autres pistes, parmi lesquelles se trouvent en bonne place une action menée par les services syriens ou par les services israéliens ; sans vouloir répéter mon opinion première sur la question, je vais commenter dans cet article les réactions dans les milieux intellectuels libanais et arabes et revenir sur l’histoire des relations syro libanaises.

Les avis sont franchement divergents : on peut dire moitié pour une piste, moitié pour l’autre. Souvent les uns et les autres utilisent les mêmes éléments et aboutissent à des conclusions contradictoires.

Dans les milieux des militants démocrates, progressistes et nationalistes, la majorité penche vers la piste israélienne alors qu’il se dégage une minorité qui privilégie la piste syrienne.

Il faut dire que ce sont ces militants qui réclamaient vers la fin des années 60 et le début des 70 l’installation de l’armée syrienne au Liban pour tenir tête aux incursions israéliennes ; dans l’une de ces incursions, 13 avions de la Middle East Airlines et de la TMA (deux compagnies libanaises) ont été détruits à l’aéroport international de Beyrouth fin 1968 ; l’armée libanaise n’a jamais voulu jouer ce rôle et les hommes politiques libanais de l’époque répétaient que la force du Liban est dans sa faiblesse.

Plus tard, en mai 1976, la Syrie est rentrée au Liban à l’appel des autorités légales (avec un président maronite) qui demandaient l’aide du pays voisin face à l’avancée des palestino progressistes (partis de gauche et nationalistes arabes soutenus par la résistance palestinienne). La guerre civile avait déjà commencé en 1975 et des villages chrétiens sont attaqués, étrangement dans les zones proches de la frontière syrienne.

Du point de vue des militants, la Syrie est effectivement le pays qui tient tête au projets américano-israéliens dans le monde arabe depuis des décennies : opposition à la paix séparée de Sadate, soutien aux mouvements palestiniens qui refusent les concessions : d’abord aux groupes d’extrême gauche et ensuite aux islamistes, etc...

D’autre part, un regard attentif sur la géopolitique de la situation proche orientale laisse l’observateur incrédule par rapport à la piste syrienne.
En effet, depuis toujours, la politique des Etats Unis dans la région est exclusivement dictée par les intérêts d’Israël ; par exemple la destruction du potentiel nucléaire et militaire irakien dans la première guerre contre ce pays en 1991 ; ensuite la destruction et le morcellement du pays lors de la nouvelle guerre commencé en 2003 sous prétexte de lutte contre les armes de destruction massive.

Or les américains sont actuellement passé à la deuxième phase de la lutte contre l’axe du mal : ils préparent la prochaine guerre contre l’Iran qui possède un potentiel nucléaire (ça commence par la centrale nucléaire iranienne comme pour la centrale nucléaire irakienne détruite par une attaque aérienne israélienne en 1971). Pour parvenir à cela, il faut s’assurer un soutien européen (ce que les journalistes appellent le changement de « ton » de Washington par rapport à la France), et sur place au moyen-orient, il est nécessaire de neutraliser les soutiens à l’Iran en particulier celui du parti du Hezbollah libanais qui mena la résistance contre l’occupation israélienne et qui est militairement présent au Sud Liban. Il est capable de constituer une force de dissuasion si la tâche de destruction de la centrale iranienne est confiée aux pilotes israéliens. Une campagne internationale féroce est menée par les israéliens pour inscrire ce parti sur la liste des organisations terroristes. Le ministre israélien des affaires étrangères le répète dans toutes les rencontres qu’il a avec les dirigeants des pays du monde. Le deuxième soutien à l’Iran est la Syrie qui protège le Hezbollah car il lui sert pour exercer des pressions contre Israël afin de prétendre un jour récupérer le Golan occupé.

Or l’assassinat de Hariri va induire dans les semaines qui viennent des pressions sur la Syrie, qui va probablement (?) céder et retirer ses troupes du Liban et laisser se dérouler les élections librement. Le Hezbollah sera obligé de retirer ses miliciens du Sud ; donc, logiquement, les bénéficiaires de l’attentat contre Hariri sont les américains et les israéliens ; c’est pour cela que la majorité des militants accusent le Mossad ou le CIA en répondant de façon simple à la question à qui profite le crime ?

Il y a pourtant un élément que tout le monde oublie d’inclure dans la géopolitique des alliances proche orientales ; Assad a effectué une visite d’état en Russie il y a un mois. Lors de cette visite, une campagne américano-israélienne visait à interdire une vente de missiles sol sol à la Syrie. On croyait la campagne réussie mais, il y a quelques jours, Sharon a déclaré que Poutine n’a pas accepté les pressions et va poursuivre le projet de vente. Poutine qui, avec son ministre de la défense déclaraient tour à tour récemment que les russes sont dotés (à nouveau) de missiles nucléaires d’une autre génération. La Russie est peut être en train de redevenir une force dissuasive vis à vis des américains, et cela n’a pas échappé aux dirigeants syriens. D’ailleurs Poutine continue à vouloir équiper les iraniens de centrales nucléaires en jouant au yoyo avec les demandes américaines.

C’est une nouvelle donne internationale qui, si elle se confirme, contribuerait à remettre un certain équilibre dans les relations internationales.

Les syriens savent bien mettre ces changements tout de suite à leur profit ; de plus ils savent, comme toute la planète, à quel point les américains sont en difficulté en Irak ; et misent (et c’est peut être là qu’ils se trompent) sur les désaccords franco-américains pour s’en sortir à moindre coût dans cette affaire.

Si l’on se tient à l’analyse politique, il ne faut pas non plus oublier un autre élément relatif à la situation intérieure libanaise : le rapport de forces intérieur dans ce pays n’est pas véritablement défavorable aux syriens.
Il y a d’abord un gouvernement loyaliste représentant toutes les franges de la population libanaise : des chrétiens maronites (dont le ministre de l’intérieur), des catholiques, des druzes, des sunnites et des chiites. Ils ont œuvré pour la prolongation du mandat présidentiel pour Emile Lahoud et ne veulent pas entendre parler d’un départ des troupes syriennes.

Dans l’opposition, il y a des partis chrétiens, de l’opposition laïque et démocratique, des groupes parlementaires sunnites, le parti de Walid Joumblatt (parti socialiste progressiste). Mais son unité ne parait pas pouvoir résister à de fortes épreuves ; ses représentants actuels (tel Walid Joumblatt) n’ont pas beaucoup de crédibilité tant sur le plan intérieur qu’international. De plus, son soutien logistique vient d’être assassiné et comme chacun le sait, l’argent est le nerf de la guerre.

Les partis chiites traditionnels Amal et le Hezbollah ont une position un peu intermédiaire qui appelle tout le monde à se mettre autour d’une table et à résoudre les problèmes par le dialogue. Le patriarche maronite va dans le même sens.

Finalement, la position de la Syrie au Liban est certainement inconfortable mais elle est loin d’être difficile ou intenable.

Donc, à priori, les services syriens ne courent pas un risque majeur à se débarrasser d’un gênant qui a les qualités d’un rassembleur et qui jouit d’un prestige international sans conteste.

Reste que dans l’orient complexe l’utilisation de la seule analyse politique ne peut pas permettre de voir clair.

C’est pour cette raison qu’il faut examiner d’autres aspects de la question qui échappent souvent à la logique.

D’abord la nature des relations entre Damas et les hommes politiques libanais depuis 1976 : les syriens ne cherchent pas réellement à avoir des alliés dans la classe politique libanaise, ils préfèrent traiter avec des marionnettes.

Hariri n’a pas été à la tête de l’opposition, loin de là ; il y faisait ses débuts : présence timide à la rencontre de l’hôtel Bristol, critique de la prolongation du mandat du Président Lahoud... mais également critique de la 1559 des nations unies. Il « rasait les murs » dans son opposition pour ainsi dire ; mais il n’était pas du genre à jouer la marionnette.

La méthode est déjà bien rodée. Ce n’est pas le premier liquidé, et il ne sera pas le dernier.

Dès mars 1977, le père de Walid Joumblatt, Kamal Joumblatt, un grand intellectuel, fondateur du parti socialiste progressiste et grand humaniste a été liquidé par les services de Damas.
Le Cheikh Sobhi Saleh, suivi du grand mufti sunnite du Liban, cheikh Hassan Khaled, ont été liquidés.
Le Président fraîchement élu René Moawwad a été liquidé, etc...
Les motifs sont divers : désaccords sur certaines choses, message à envoyer à tel ou tel autre dirigeant arabe, contact avec l’opposition...

Un autre aspect de la présence syrienne au Liban, que peu de militants anti-impérialistes sont prêts à voir, c’est la présence dans les deux pays d’une mafia liée aux services de renseignement des deux pays et qui exploite l’économie libérale du Liban et siphonne ses richesses.

Le dernier élément de ce point de vue concerne la méthode utilisée qui porte de façon presque certaine la marque des services syriens : c’est ce qu’on appelle au Liban la politique des épouvantails : si vous ne voulez pas de moi, je lâche les islamistes. Des islamistes pro-syriens existent bien au Liban alors que le régime fondé par le parti Baas est plutôt laïc et socialiste.

La personne qui a revendiqué l’attentat contre Hariri est un exemple de la méthode syrienne. C’est un peu leur signature et leur façon de faire peur.

En somme, même si politiquement ça parait peu évident pour un analyste d’admettre le rôle syrien dans l’assassinat, je persiste dans mon opinion première sur le sujet ; encore une fois ça me parait davantage être l’œuvre de certains zélés des services de renseignements, tellement habitués à cette façon de faire, plutôt qu’une décision prise en haut lieu.

Salim Mehiou

Messages

  • en tout cas, pour la fin, vous êtes le seul à le dire, car pour faire un attentat de ce genre, sur le plan technique, ce n’est pas une affaire de quelques jours. Cf un peu tout ce qui se dit sur la voiture de Hariri, sa manière de se protéger, les derniers codes reçus pour sa protection etc.. et que seuls peuvent avoir des gens très haut placés, les amis américains ou français, soutenus par les israéliens. Je persiste à dire que cela ne peut être que cela, quand on voit les analyses faites par des gens connus pour leur attitude nationale.
    Peu m’importe d’analyser comme les colonialistes, on sait pourquoi s’est fait l’assassinat, tous les jours montrent que l’occasion est pour une intervention américano-française au Liban pour casser la Syrie, le nouveau dirigeant de l’armée israélienne est un pro casser l’Iran. Tout s’enchaîne, seuls les aveugles refusent de voir.