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Un texte de Tanya Reinhart

Des forces israéliennes assoiffées de guerre

lundi 17 juillet 2006

" L’armée israélienne est assoiffée de guerre. Elle ne se soucie pas des soldats prisonniers en agissant de cette manière. Depuis 2002, l’armée argue que l’opération qui a eu lieu sur Jénine dans le cadre de l’offensive « Bouclier défensif » est également nécessaire sur Gaza."

Dans quel but combattent-elles ?

Quel que sera le sort du soldat captif, Gilad Shalit, les armées israéliennes à Gaza ne font pas la guerre pour lui. Comme Alex Fishman, analyste éminent sur les questions de sécurité, l’a largement exprimé, l’armée se préparait depuis des mois à une offensive et poussait constamment dans ce sens, avec l’objectif de détruire l’infrastructure du Hamas et son gouvernement. L’armée a lancé l’escalade le 8 juin en assassinant Abu Samhadana, un élu important du gouvernement du Hamas, et elle a augmenté le nombre de ses bombardements contre les civils dans la Bande de Gaza. L’autorisation gouvernementale pour une opération d’envergure a été donnée le 12 juin mais elle dû être remise à plus tard en raison du retentissement international provoqué par le meurtre des civils, le lendemain, par l’armée. Puis l’enlèvement du soldat a libéré le cran de sûreté et l’opération fut engagée le 28 juin par la destruction de l’infrastructure à Gaza et l’emprisonnement massif de dirigeants du Hamas en Cisjordanie, lequel avait été planifié, lui aussi, des semaines auparavant (1).

Si on en croit les Israéliens, Israël a cessé d’occuper Gaza depuis son évacuation par les colons et le comportement des Palestiniens par conséquent montre une profonde ingratitude. Ceci dit rien n’est plus éloigné de la vérité. En fait, comme le stipulait le Plan de désengagement lui-même, Gaza devait rester sous un total contrôle militaire israélien à partir de l’extérieur. Israël a empêché toute possibilité d’indépendance économique de la Bande de Gaza et depuis le début, Israël n’a respecté aucune des clauses de l’accord sur les passages frontaliers de novembre 2005. Israël a simplement substitué à une occupation très coûteuse de Gaza une autre occupation à meilleur marché, qui, dans les vues israéliennes, doit les exonérer de la responsabilité d’occupant (présent dans la Bande) et donc du souci de la vie de son million et demie d’habitants, comme stipulé dans la Quatrième Convention de Genève.

Israël n’a pas besoin de ce morceau de terre dont la densité de population est l’une des plus denses au monde et qui manque de toute ressource naturelle. Le problème est qu’on ne peut laisser Gaza libre si on veut garder la Cisjordanie. Un tiers des Palestiniens occupés vivent dans la Bande de Gaza. S’ils obtiennent leur liberté, ils seront au centre du combat palestinien pour la libération, bénéficiant d’accès libérés avec l’Occident et le monde arabe. Pour contrôler la Cisjordanie, Israël doit contrôler totalement la Bande de Gaza. La nouvelle façon d’Israël de la contrôler fait de la Bande toute entière une prison complètement hermétique, hors du monde.

Un peuple occupé, assiégé, sans espoir, et sans autres possibilités de combat politique, recherchera toujours tous les moyens pour combattre son oppresseur. Les Palestiniens de Gaza, emprisonnés, ont trouvé un moyen de perturber la vie des Israéliens qui sont à proximité de la Bande avec les tirs de roquettes Qassam, des roquettes artisanales qui passent au-dessus du mur de Gaza pour aller sur les villes israéliennes frontalières. Ces roquettes primitives manquent trop de précision pour arriver sur leur cible, et elles ont rarement fait des victimes israéliennes ; elle provoquent cependant des dommages physiques et psychologiques et perturbent gravement la vie dans les quartiers israéliens visés. Aux yeux de beaucoup de Palestiniens, les Qassam sont une réponse à la guerre qu’Israël leur a déclarée. Comme un étudiant de Gaza le disait au New York Times, « Devrions-nous être les seuls à vivre dans l’anxiété ? Avec ces roquettes, les Israéliens ressentent ce qu’est la peur eux aussi ; nous devons vivre ensemble dans la paix, ou vivre ensemble dans la peur » (2).

L’armée la plus puissante du Moyen-Orient n’a aucune réponse militaire à opposer à ces roquettes artisanales. Une réponse qui coule de source et que le Hamas a proposée tout au long - et qu’Haniyeh a répété cette semaine - c’est le cessez-le-feu total. Le Hamas a prouvé déjà qu’il savait respecter sa parole. En 17 mois, c’est-à-dire depuis qu’il a annoncé sa décision d’abandonner le combat armé pour le combat politique et déclaré le cessez-le-feu unilatéral (itahdiyai : le calme), il n’a participé à aucun tir de Qasssam sauf après la grave provocation israélienne perpétrée durant l’escalade en juin. Cependant, le Hamas est resté engagé dans le combat politique contre l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie. D’après Israël, les élections palestiniennes sont un désastre parce que pour la première fois, elles ont une direction qui a la volonté de représenter les intérêts palestiniens, plutôt que de répondre simplement aux exigences israéliennes.

Israël se refusant à envisager toute fin à son occupation, l’option défendue par l’armée israélienne est de briser les Palestiniens par une force brutale dévastatrice. Ils doivent être affamés, bombardés, terrorisés par les bangs soniques, pendant des mois, jusqu’à ce qu’ils comprennent que la rébellion est vaine, et acceptent l’idée que vivre en prison est la seule chose qu’ils peuvent espérer. Leur appareil politique élu, les institutions et la police doivent être détruits. Dans la vision d’Israël, Gaza devrait être régie par des bandes qui collaboreraient avec les services pénitentiaires.

L’armée israélienne est assoiffée de guerre. Elle ne se soucie pas des soldats prisonniers en agissant de cette manière. Depuis 2002, l’armée argue que l’opération qui a eu lieu sur Jénine dans le cadre de l’offensive « Bouclier défensif » est également nécessaire sur Gaza. Il y a exactement un an, le 15 juillet (avant le désengagement), l’armée a concentré ses forces sur la frontière de la Bande de Gaza pour une offensive de cette ampleur. Mais les USA ont mis leur veto. Rice est arrivée pour une visite en urgence qui fut qualifiée d’acrimonieuse et d’orageuse, et l’armée a été forcée de reculer (3). Mais maintenant, le temps est finalement venu. Avec l’islamophobie délirante de l’administration américaine, il semble que les USA soient prêts à autoriser une telle opération, à condition qu’elle ne provoque pas un tollé international ni trop d’articles sur les attaques contre les civils (4).

Avec le feu vert pour une telle offensive, le seul souci de l’armée est son image de marque. Fishman disait mardi que l’armée s’inquiétait du lien qui apparaitrait entre cet immense effort militaire et diplomatique et la crise humanitaire à Gaza qui s’en suivrait. Par conséquent, l’armée devait veiller à ce que de la nourriture rentre dans Gaza (5). Avec son objectif, elle doit alimenter les Palestiniens de Gaza afin de pouvoir continuer à les tuer sans être dérangés.

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1 - Alex Fishman, « Qui est favorable à l’élimination du Hamas » Yediot Aharonot, supplément du samedi, 30 juin 2006. Voir aussi Alex Fishman, « Le cran de sûreté est libéré », Yediot Aharonot, 21 juin 2006 (hébreu) ; Aluf Benn « Une opération qui a deux objectifs », Ha’aretz, 29 juin 2006.

2 - Greg Myre, « Les roquettes créent un ‘équilibre de la peur ‘ avec Israël selon les habitants de Gaza », The New York Times, 9 juillet 2006.

3 - Steven Erlanger, « Les USA pressent Israël de faciliter la voie à un Gaza palestinien », New York Times, 7 août 2005.

4 - Pour un aperçu détaillé sur les attentes actuelles de l’administration US, voir Ori Nir « Les USA revoient leur soutien aux actions israéliennes pour renverser le Hamas », The Forward, 7 juillet 2006.

5 - Alex Fishman, « Ils n’ont plus de nourriture », Yediot Aharonot, 11 juillet 2006

Voir aussi l’article "Alex Frishman, analyste militaire au quotidien israélien Yedioth Ahronoth » : « Le plan d’Israël était prévu de longue date », par Annette LEVY-WILLARD de Libération édition du samedi 15 juillet 2006. (ndp)

Cet article a été re-publié le dimanche 16 juillet 2006 sur le site de la Campagne Civile Internationale
pour la Protection du Peuple Palestinien. Voir : http://www.protection-palestine.org


Tanya Reinhart est professeur de linguistique à l’université de Tel Aviv ; elle a écrit : « Israël/Palestine : comment finir la guerre de 1948 », et « La feuille de route pour nulle part ». Elle peut être jointe à partir de son site : http://www.tau.ac.il/ reinhart