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Un jour, peut-être...

lundi 19 mars 2007, par Mohamed Chouieb

Les immigrés se replacent, à leur corps défendant, dans le cœur de la campagne électorale. Avec même un joli cadeau à la clé : un ministère , un vrai, pas une délégation ou un secrétariat, un vrai ministère rien qu’à eux, qui s’occupera uniquement de leurs affaires, des problèmes qui se posent à eux mais, surtout, connaissant les idées de celui qui en a fait la proposition, des problèmes qu’ils poseraient aux autres. Les autres étant, cela va de soit, les français légitimes et les immigrés européens.
Car ce ministère, le ministère de l’immigration, sera aussi celui de l’identité nationale !
Tout le monde aura compris que la juxtaposition de ces deux notions, à priori antagonistes, n’est nullement fortuite et qu’elle est destinée à faire toucher du doigt aux bons et vrais français, l’origine réelle du mal dont souffre leur pays. Et de leur faire comprendre par l’occasion, qu’on sera impitoyable dans son éradication... si on est porté à la présidence.
Et, s’ils suivent bien la direction indiquée, ils pourront facilement situer les responsables de tous les problèmes qui les préoccupent.
Comprendre, par exemple, que s’il y a une dette publique et un gouffre à la sécu, c’est parce que les immigrés profitent sans vergogne des bons côtés d’un système à l’édification duquel ils n’ont jamais contribué.
Faisant cela, il passeront à côté du fait qu’étant une population généralement plus jeune, les dépenses de santé des immigrés sont largement inférieures à celles des indigènes : moins de cures thermales, moins d’accointances avec le pharmacien ou le médecin du coin et, aussi, moins de demande pour des services dans lesquels ils savent d’instinct qu’ils ne sont pas les bienvenus.
Sans parler de tous ces vieux éclopés du travail qui ne coûtent plus rien à la France, une fois qu’ils ont décidé de rentrer chez eux mourir des séquelles que leur contribution à la prospérité française a laissées dans leur chair.

Cela évite aussi aux politiques de battre leur coulpe en reconnaissant leurs propres erreurs et leur entière responsabilité dans la déshérence économique et sociale que vit le pays. De dire aussi que, par des choix délibérés, ils ont placé leurs copains aux postes-clés de l’économie et ont laissé se produire des erreurs de management gigantesques, faisant perdre à la France 100 000 emplois industriels par an depuis deux décennies. Emplois qui ne sont remplacés que par des emplois de service, « d’aide à la personne » comme on dit, emplois précaires où le temps partiel est le plus souvent accompagné d’une multiplicité de lieux de travail et où le SMIC est roi. Mais où l’individu est vulnérable et fragilisé car, le plus souvent, seul à son poste de travail, face à ses responsabilités, ses craintes et ses frustrations, sans moyens de défense, sans possibilités de s’agréger à ses semblables pour mieux se protéger. Taillable et corvéable à merci, c’est peut-être ça l’intérêt.
Cela leur évite aussi de reconnaître qu’ils ne savent plus quoi faire de cette jeunesse que l’Europe entière leur envie, et que par leur incompétence, ils ont transformé cette richesse en fardeau.

Cela empêche aussi les regards de se tourner du côté des 13 milliards d’euros de bénéfices qu’a engrangés Total pour la seule année 2006, 13 milliards qui seraient rentrés dans les caisses de l’Etat au lieu d’aller engraisser les rentiers de Floride et d’ailleurs si ceux qui dirigent n’avaient décidé d’offrir cette manne à ceux dont ils se sentent proches. Et Total n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, TF1, l’eau, l’électricité, le réseau autoroutier, l’industrie aéronautique, les banques pour ne citer que ceux-là.
Et de comprendre ainsi que le mal français ne vient ni des immigrés, ni des valeurs, ni des capacités d’intégration de la République. Il vient à la fois de l’incapacité de ceux qui dirigent à créer les ressources nécessaires au maintien à défaut de consolidation, du modèle français et, aussi, de leur voracité et de leur propension à offrir aux copains les sources de richesses les plus abondantes.

Pour toutes ces raisons, tel un leurre projeté au-devant de la scène, accusé des maux que d’autres ont provoqués, l’immigré est utilisé pour brouiller les capacités d’analyse des électeurs. Et quelles que soient les subtilités de langage utilisées, le message est délivré sans aucune équivoque afin que chacun comprenne que ceux dont il est question, ce sont les Africains, qu’ils soient du Maghreb ou du sub-Sahara. Tout le florilège des reproches qui leurs sont faites est puisé dans le registre fantasmatique qui leur est habituellement accolé : l’excision des filles, le sacrifice du mouton (dans la baignoire, bien sûr...), les mariages forcés, la polygamie... En un mot, c’est ceux qui ne sont « pas tout à fait français », ceux pour lesquels on a décidé que la religion, la couleur de peau ou les deux à la fois, ne leur permettront jamais d’être des citoyens à part entière, que l’on désigne.
Mais on ne nous le dit pas comme ça, ce serait trop franc du collier, trop simple, le contournement va de pair avec le mensonge dans ce genre d’exercice.
On nous dit qu’il s’agit seulement de la nécessité de se conformer aux valeurs françaises.
Mais qui quitte son pays pour aller vivre dans un autre et n’aspire pas à y vivre comme vivent ses habitants ? Sinon, pourquoi partirait-il ? Pour reproduire ce qu’il a eu tant de mal à quitter ?
N’allez pas me dire que le ministre de l’intérieur d’un pays aussi organisé, aussi quadrillé, aussi surveillé, aussi filmé, aussi sondé que l’est la France, ne le sait pas. Et qu’il ne sait pas, non plus, que ceux qui semblent lui poser problème, ce ne sont pas ceux qui arrivent mais ceux qui sont déjà là, depuis des décennies et dont les enfants sont d’authentiques français mais dont le tort est d’être d’une origine se situant au sud de cette ligne qui va du détroit de Gibraltar au détroit du Bosphore et que d’aucuns ont érigée en ligne de fracture civilisationnelle. Et que s’ils se manifestent de la manière dont ils le font, djellaba, casquette, kamis, hidjab, foulard, rap et, parfois, émeutes, c’est surtout pour manifester leur douleur de se voir expulser du sein de la République, montrer désarroi qu’ils ressentent lorsqu’ils voient leur accès à la pleine citoyenneté repoussé de jour en jour.

Dans ce registre, le journal « Le Monde » du 14 mars 2007 rapporte :
« Le Bureau international du travail (BIT) a mesuré, à travers une enquête publiée, mercredi 14 mars, les discriminations à l’embauche en France, arrivant à la conclusion que, quatre fois sur cinq, les employeurs préfèrent embaucher un candidat « d’origine hexagonale ancienne » plutôt que son collègue d’origine maghrébine ou noire africaine.
« Collectivement, les employeurs testés ont très nettement discriminé les candidats minoritaires »
, souligne le BIT. « Seulement 11 % des employeurs ont respecté tout au long du processus de recrutement une égalité de traitement entre les deux candidats », ajoute l’enquête, réalisée entre fin 2005 et début 2006 en coordination avec le ministère de l’emploi. »

Qui sape les valeurs de la République, celui qui discrimine ou celui qui est bouté hors de la cité, celui qu’on a empêché d’exercer un droit inscrit dans la Constitution de son pays, le droit au travail ? Celui qui aspire à la symbiose et à la conformité avec les valeurs de son pays ou celui qui l’en empêche ?
Comment rester de marbre lorsqu’on entend certains commentaires de personnes qui ont assisté au meeting du candidat UMP à Vesoul et qui nous montrent que le message est bien passé : les immigrés fainéants, profiteurs, rétifs à la modernité et aux valeurs de la société française...etc. ?
Comment expliquer que la prospérité de la France s’est construite, d’abord, sur l’accaparement des richesses des pays de ces gens-là et, ensuite, sur l’exploitation de leur force de travail ?
Comment se faire entendre pour expliquer que les immigrés sont pas des parasites, que la paresse est un pêché pour eux, qu’ils aiment et savent travailler et que, eux aussi, veulent vivre et élever dignement nos enfants ?
Ils l’ont dit sur tous les tons à ceux qui ont daigné les écouter, ils l’ont prouvé à toutes les occasions, à tous ceux et celles qu’ils ont eus comme collègues, à ceux et celles qu’ils ont croisés, côtoyés, à celles et ceux qu’ils ont aimés... Mais rien n’y fait car comme dit l’adage : « nul n’est plus sourd que celui qui ne veut point entendre ».

Et c’est ainsi que, comme dans la chanson, je me suis mis à rêver d’un jour, un jour seulement où, tous ensemble, tous ceux qui se sentent touchés, blessés, meurtris par ces discours et ces mensonges, par cette haine et ces atteintes à leur honneur et à leur dignité, nous nous lèverions pas le matin pour aller à l’école ou au travail car nous serions en grève.
Un jour où par cette grève, nous montrerions l’importance de notre place et notre rôle dans la vie de ce pays. Et, par là, notre force.
Ce jour viendra, peut-être.

Mohamed CHOUIEB

16 mars 2007

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