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La laïcité questionnée

Michel Morineau : "la laïcité, c’est la liberté de conscience et la liberté religieuse"

mercredi 25 février 2004

Michel Morineau © droits réservés

Jeudi 19 février a eu lieu à St-Etienne, salle Fernand Buisson de l’Amicale Laïque de Tardy, une conférence - débat : "Islam et Laïcité".
Cette soirée, à laquelle un peu plus de 100 personnes, en majorité des jeunes, ont participé, voulait contribuer au débat sur la laïcité, et sur l’école, qui va se poursuivre dans les prochains mois.
Elle est en même temps, après la soirée - débat sur l’islamophobie du 1er décembre (750 personnes salle Jeanne d’Arc avec Mouloud Aounit, Tarik Ramadan et Vincent Geisser), et le débat sur les discriminations qui a réuni dans le cadre du FSL une centaine de personnes le 31 janvier dernier avec Mohamed Chouieb et Abdelaziz Chaambi, une nouvelle étape du dialogue et de l’action solidaire contre les discriminations qui est menée dans la région stéphanoise.

Cette soirée a été organisée par l’Union des Associations Musulmanes de la Loire, l’association "Point de Vue", le Réseau Egalité des droits et Lutte contre le Racisme, l’APEIS, et le Forum des Réseaux Citoyens.
Amina Sahel, animatrice du réseau "Egalité des droits et lutte contre le racisme", a successivement donné la parole à Michel Morineau, Saïda Kada, Yamin Makri, Gérard Di Cicco et Raymond Vasselon.
Nous allons essayer, au cours des prochains jours, à partir de notes prises au cours de cette soirée ou de textes des intervenants, de présenter les idées exposées dans leurs contributions...

Michel Morineau, membre de La Ligue de l’enseignement, est l’un des animateurs de la Commission Islam &
Laïcité
, commission qui travaille depuis plusieurs années (avec la Ligue des Droits de l’Homme et le Monde Diplomatique) au dialogue inter-religieux et interculturel.

Michel Morineau estime d’entrée qu’il y a bien besoin de tels débats, parce que "nous venons de vivre une période où les débats éclairés n’ont pas été si fréquents... Ce sont les médias qui ont mené le bal."

"Un premier constat : le mot laïcité est très utilisé. Mais chacun met sous le mot la définition qui lui convient, et c’est souvent très éloigné de la philosophie d’origine.
On a par exemple beaucoup entendu que la laïcité renvoyait la religion dans la sphère privée. Or la loi de 1905 dit le contraire.
Très peu ont fait remarquer que la laïcité, c’est le respect de deux libertés :
- la liberté de conscience (une liberté individuelle)
- la liberté religieuse, la liberté de culte (une liberté collective).
La Loi de 1905 prévoit que la République assure la liberté de conscience et la liberté de culte."

Une très grande confusion a donc régné sur le mot laïcité.
D’où la question qui vient : qu’est-ce que c’est au fond que la laïcité ? La réponse est donc simple, et déjà existante.

Michel Morineau fait un deuxième constat : "Ce qui vient de se passer a révélé l’ignorance totale de nos concitoyens vis à vis de l’Islam. Avec un rôle dramatique des médias qui ont donné une vision d’un Islam menaçant..."

Au fond, ce débat est d’abord révélateur d’une grande question : "la société française est confrontée à des problèmes très difficiles qui la mettent en cause profondément : quel destin collectif ?... Ces immigrés, venus de nos anciennes colonies, s’implanter sur notre territoire et réclamer leurs droits : quelque chose ne passe pas. Il y a un sentiment de menace et surtout d’impuissance. Pour vivre ensemble, il faudrait qu’il y ait un objectif.
On a donc affaire à une substitution : à des problèmes réels on substitue des problèmes imaginaires.

On est en panne d’intégration. On a su "assimiler" dans le passé, on ne sait pas "intégrer socialement" aujourd’hui. La discrimination existe : difficulté à trouver un emploi, un logement...

Autre problème : depuis les années 70, on n’a pas progressé dans le mythe républicain de l’égalité des sexes : à part la loi Veil, le reste n’est pas brillant. Il a par exemple fallu une loi pour faire de la place aux femmes pour les élections. Il est toujours difficile d’admettre, dans une entreprise, qu’on puisse être dirigé par une femme. On est donc aussi en panne pour ce qui est de l’égalité des sexes.
Alors, avec la femme de confession musulmane, on a trouvé un exutoire.

Ces deux problèmes (intégration, égalité hommes-femmes) sont perçus comme insurmontables dans l’inconscient collectif des gens. La société ne sait pas où elle va. Dans ces cas là, on se cramponne à ce qu’on tient..."

Michel Morineau estime que la commission Stasi a donc fonctionné comme un amplificateur.
"Il y a quelque chose qui ne va pas, au départ même, dans la démarche. Et très vite, on n’a plus parlé que "des jeunes filles portant le voile", considérées comme une menace pour la démocratie. On a dit que ce fait se double d’une intention de certains groupes (qu’on ne nomme pas, dont on ne dit rien sur l’importance, rien sur là où ils sont) de déstabiliser la démocratie et les institutions de la République."

Le rapport de la commission Stasi "fonctionne sur des incantations, il pointe qu’il existe des questions sociales... pour les évacuer. Avec cette phrase qui en dit long : "la grandeur des principes ne saurait être pervertie par la bassesse des pratiques" !...
Et il débouche sur 26 propositions (dont certaines positives), mais dont une seule fait l’objet d’une loi ! Pas un mot sur les difficultés du culte musulman en France, sur la construction de mosquées, sur les carrés musulmans dans les cimetières..."

En fait, "le problème, ce n’est pas l’Islam. C’est la société française. Comment peut-elle promouvoir le "vivre ensemble" sans éradiquer les différences ?
Elle pourrait le faire en créant de l’unité politique, un vrai projet, un destin commun. En s’appuyant sur la diversité.
Il faut se remémorer la loi de 1905, qui allait dans ce sens. Cf ce que disait Fernand Buisson (dont la salle de l’AL de Tardy porte le nom...), protestant, qui a défendu cette loi à l’Assemblée Nationale avec Briand et Jaurès.
La loi de 1905 était une grande loi de liberté et de pacification. On vient de faire une loi d’interdiction. Sera-t-elle de pacification ? On a toutes les raisons de penser que la stigmatisation ne débouche pas sur la paix sociale."

La Loi de 1905 définit précisément la Laïcité :" La laïcité est un ensemble de règles juridiques qui organisent le respect de la liberté de conscience, et le respect de la liberté religieuse."
Et là, il faut distinguer "liberté de conscience" et formation pour acquérir une "capacité de penser par soi-même". Cette liberté de pensée fait partie du projet éducatif. La liberté de penser, la capacité à penser par soi-même est une question d’éducation, pas de laïcité. C’est autre chose que la laïcité."

Ceci ne signifie pas du tout qu’il faille accepter une quelconque intrusion d’une religion sur le contenu de l’enseignement. Sur la théorie de l’évolution, par exemple. Michel Morineau pense qu’il faut être intransigeant sur la question de la contestation éventuelle des contenus de cours : l’école doit enseigner ce qui est établi par la science.

"L’idée est aujourd’hui enracinée qu’il ne peut pas y avoir de liberté de penser s’il y a croyance. Ce n’est pas ça la loi de 1905. Il a été tenté d’imposer cette idée là en 1905. Mais pour faire la loi de 1905, Briand a renversé les choses en parlant de "liberté de conscience"... On peut être musulman ET laïque. Comme on peut être chrétien ET laïque, etc...

"L’affaire du voile aujourd’hui, c’est justement que les enseignants ne savent plus comment faire des consciences autonomes... Comment se fait-il par exemple que personne ne parle de ce défi actuel : dans sa journée, un jeune passe 6 heures à l’école, et 4 heures devant la télévision ? Alors ils se sont jetés sur cet exutoire...
C’est grave ce qui s’est passé. La République s’est mise à interpréter ce qui est religieux et ce qui ne l’est pas. Elle a pénétré sur le terrain de la liberté de conscience. C’est une régression par rapport à la loi Jospin qui faisait de l’élève un sujet de droit.
Le dérapage de ce débat traduit l’échec de l’école sur "comment on forme en 2004 des consciences autonomes".

De même, le problème de l’égalité des sexes est un grave problème dans la société. Mais ce n’est pas un problème de laïcité. ça vaut le coup, d’ailleurs, de relire ce que ceux qui ont fait la laïcité en 1905 ont écrit sur les femmes...

Michel Morineau demande que l’on enseigne ce qu’est la laïcité dans les IUFM. Pour tous d’ailleurs, sur ce sujet, un effort de formation est nécessaire.
Il invite à poursuivre le dialogue et le débat. En regardant les choses en face : pour les raisons indiquées plus haut, celles et ceux qui défendent la conception de la laïcité ont perdu la bataille des idées. Mais ce n’est pas du tout terminé. Enfin, il y a une résistance légale à organiser, en s’appuyant sur le droit.


Voir une présentation de la Loi de 1905