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La crise : de quels côtés les sorties ?

mercredi 19 novembre 2008, par Roger Dubien

La crise : on est dedans. La vie continue bien sûr, mais on est dedans. Le serons-nous surtout en spectateurs ou en victimes, ou bien pouvons-nous intervenir ?
A Washington, le G20 (les dirigeants de 19 pays qui représentent entre 85 et 90% de “l’économie mondiale” - mais moins en population) s’est réuni et a décidé de se revoir en mars...
En France et dans les pays du G8, la “récession économique” se répand maintenant. Au fil des jours, chacun voit bien qu’il ne s’agissait pas d’une simple crise financière. Les annonces de réductions d’activités et de suppressions d’emplois se succèdent. Alors on nous explique qu’il s’agirait des conséquences de cette crise financière sur ce qui serait “l’économie réelle” - comme s’il ne s’agissait pas d’un système intégré - et qu’on en sortira en “moralisant” et en “régulant” la finance et le capitalisme, et aussi en relançant la croissance, voire même (sacrilège hier) en relançant “la demande” pour relancer la croissance/combattre la récession.
Mais au fil des jours ces explications feront de moins en moins le poids...

“Crise systémique et durable...”

De quelle nature est cette crise ? Au cours des deux derniers siècles, le capitalisme a connu quantité de crises de diverses sortes. Sa “fin” a été plusieurs fois annoncée, et il a survécu. Après des périodes de casse, et souvent de guerres, il est “reparti”. Alors, ce coup-ci ? On sait aussi maintenant qu’il n’y a pas de “sens de l’histoire” qui nous mènerait vers plus de civilisation.
Et c’est bien vrai aussi que s’il y a une chose dont on peut être sûr, c’est que les choses ne se passeront pas selon les scénarios envisagés aujourd’hui : les choses ne se passent jamais comme on le prévoit...
Tout ça n’empêche pas de chercher à mieux saisir la nature de cette crise pour essayer de voir dans quel sens agir.

L’analyse de Philippe Zarifian “A propos de la crise économique et financière propose des repères de fond sur la nature de la crise actuelle : une crise systémique et durable.
Oui, la crise financière en est un moment et une dimension. Mais le fond de l’affaire est que c’est le système lui-même : le capitalisme sous la forme qui a pris le dessus au cours des 30 dernières années : le capitalisme financier néolibéral, mondialisé, qui est maintenant en crise.
Depuis le début des années 80, dans la foulée des politiques de Reagan et Thatcher : dérégulation, déréglementation, privatisation et marchandisation maximum des activités humaines, en conjonction aussi avec de nouveaux systèmes techniques, nous avons assisté à une augmentation incroyable des profits capitalistes, et de la richesse d’une oligarchie prédatrice. A un transfert considérable des richesses produites par le travail vers le capital. Au pillage du monde avec l’explosion de la dette des pays du Sud saignés sans jamais pouvoir s’en libérer. Et rapidement, une grande partie de cet argent, de ces capitaux, a trouvé plus facile de se multiplier par la spéculation. Jusqu’à ce que les bulles explosent...
Le capitalisme néo-libéral, c’est d’abord d’immenses profits engagés ensuite en partie importante dans la spéculation ; au détriment de la rémunération du travail et du financement des dépenses collectives par l’impôt. C’est un capitalisme qui s’est mondialisé et financiarisé directement, un capitalisme “sous l’empire des marchés financiers”.
C’est ce système qui conduit la planète et l’humanité au désastre. Désastre social. Désastre écologique.
Voir le diagnostic fait par Hervé Kempf dans “Comment les riches détruisent la planète”

De quels côtés les pistes de sorties ?

Si la crise est bien de cette nature-la, on n’en sortira évidemment pas avec des discours appelant à relancer la croissance en “moralisant” le capitalisme et en “régulant” la finance pour empêcher les excès des spéculateurs. Qui peut croire que l’oligarchie mondiale qui s’est formée va revenir en arrière ? C’est la logique même du système qui a conduit où nous en sommes.
Les orientations politiques capables de contrecarrer cette crise ne sont pas pourtant pas mystérieuses : ce sont celles qui s’attaqueraient à la logique du système, aux superprofits et au gaspillage des riches. Mais on ne voit pas grand monde les proposer. En tous cas pas le G8 ni le G20...

Ainsi serait bon à prendre tout ce qui :
- s’attaque aux profits et au capital de placement puisque ce sont eux qui ont conduit au développement sans frein de la spéculation financière.
- augmente massivement les impôts sur les profits des entreprises et sur les riches ! Surtout que les dépenses des Etats vont augmenter alors que leurs recettes (par exemple en France la TVA sur les produits consommés) vont baisser...
- instaure un revenu maximum décent. Car Jamais les inégalités n’ont été aussi grandes sur Terre. Des personnes ont des richesses qui dépassent l’imagination, supérieures au PIB de pays entiers, quand 925 millions de personnes souffrent de la faim...
- renverse la donne en matière de partage de la valeur ajoutée : entre profits, impôts sur les sociétés et rémunération salariale et du
travail en général. Evidemment se pose aussi la question de l’utilisation de ces revenus : si c’est pour alimenter une course à la consommation matérielle...
- rétrécit la sphère de la marchandisation et développe une économie de services publique, associative, ou privée... Avec un contenu inspiré du service public mais avec un fonctionnement démocratique assurant une prépondérance des usagers.
- affronte vraiment la crise écologique : consomme moins d’énergie, développe des énergies renouvelables, s’attaque au réchauffement et fait face au changement climatique, défend et re-développe la biodiversité... Car on n’en sortira pas non plus en “relançant la croissance”.

Mais où sont les forces pour porter et imposer cette réorientation radicale ? Pour le moment on ne les voit guère, alors même qu’elles existent. Comment contribuer à les faire naître ou grandir partout, et émerger ? Probablement en multipliant les initiatives et expériences concrètes, c’est à dire locales.

Du G8 au G20, quelles sont les réponses apportées ?

Parce que du côté des “dirigeants” du monde, on a eu beaucoup de discours sur la moralisation du capitalisme. Sarkozy en est un expert, après avoir plaidé pour que la France suive à fond les USA dans la financiarisation et avoir accentué les cadeaux aux très riches...
Il est question d’une réforme de la finance mondiale, pour limiter l’abus de spéculation. Mais rien de précis, évidemment.
Il y a l’appel à des “relances budgétaires” par les Etats, chose sacrilège hier, pour “relancer la croissance”. C’est ce que fait la Chine par exemple, qui vient de décider d’affecter 455 milliards d’euros dans les deux ans pour soutenir la demande intérieure et compenser la baisse des exportations vers les pays occidentaux en récession. Et les nouveaux pays “émergents” sont invités à maintenir un peu la “croissance mondiale”, c’est pour cela qu’une petite place leur est faite avec le G20 (G8 + UE + Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Argentine, Australie, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Mexique, Turquie). Mais ceci n’empêchera pas que les pays du Sud prennent de nouveaux coups dans cette crise : car les banques du Nord ne leur font pas de cadeau, ni pour le remboursement de la dette, ni pour la hausse des taux d’intérêt, et le prix des matières premières qu’ils vendent va encore diminuer avec la récession au Nord. Mais pas le prix des produits alimentaires. Ni les effets du changement climatique qu’ils subissent déjà...

Au moins, ces temps-ci, le dogme néo-libéral - véritable terrorisme idéologique depuis 25 ans - en a pris un coup sérieux. Mais écroulement d’un dogme ne signifie pas son remplacement par autre chose, et surtout par d’autres pratiques. La preuve : est déjà annoncée la relance des négociations de libéralisation commerciale, d’un nouveau cycle à l’OMC !

Et puis surtout, dans les grands pays capitalistes du Nord, c’est une gigantesque socialisation des pertes qui est en cours, c’est à dire le renflouement des prédateurs au lieu de leur présenter la note. Avec des sommes sans précédents : 700 milliards de dollars aux USA, 1700 milliards d’euros en Europe - soit 340 fois le coût annuel pour éradiquer la fin dans le monde... - 360 milliards d’euros en France, dont 40 immédiatement. Ces décisions politiques sont éthiquement scandaleuses, et aussi économiquement aberrantes : l’oligarchie va pouvoir continuer à recommencer... Quand on pense que les 3 milliards d’euros qui suffiraient à sauver les 19 millions d’enfants qui meurent de faim sont toujours refusés...
Tout cet argent, c’est l’équivalent de la dette du Tiers-monde, qui plombe la vie de centaines de millions d’êtres humains, alors qu’elle a déjà été remboursée plusieurs fois...
Pour le moment, cela ne provoque pas de grandes mobilisations sociales au Nord. Peut-être à cause de la crainte des conséquences d’un effondrement du système : dans les crises ceux qui ont le moins trinquent beaucoup, et ceci est abondamment utilisé pour faire accepter les cadeaux aux riches. Peut-être à cause de la conscience que tout le monde ici en fait plus ou moins partie, du système, parce qu’il n’y a qu’un seul monde : celui qui existe. Et parce qu’une partie au moins du salariat a été entraînée dans le mouvement du capitalisme financier.

Essayer de multiplier les tentatives et les expériences alternatives

C’est bien le mode capitaliste de développement qui est en cause, mais croire au remplacement en bloc d’un système par un autre est une ineptie, et cela n’aura jamais lieu. C’est à l’intérieur des sociétés dans lesquelles le système capitaliste est dominant que des alternatives peuvent apparaître et certaines d’entre elles survivre et s’étendre, et créer des situations permettant qu’un jour un autre système émerge.
Nous avons donc besoin de multiplier les tentatives de bifurcation, de sorties du système.
Alors qu’on atteint une situation où c’est la vie et la civilisation elles-mêmes qui sont menacées, la marchandisation de tout et la croissance infinie - en tous cas la croissance matérielle - sont une absurdité à remettre en cause.
Cette remise en cause se joue dans les décisions à tous les niveaux. Et, tout en exigeant bien plus fort des décisions politiques à des échelles plus globales, chacun-e de nous peut contribuer dans les situations et les territoires où il vit à la naissance et au déploiement d’alternatives. C’est même surtout là que nous avons une puissance d’agir, que nous pouvons sortir de l’attentisme et du découragement. Et pas pour appliquer au plan local un programme global passe-partout : pour intervenir dans le réel partout où cela se joue.
 “L’ouverture de la multiplicité des tentatives est, plus que jamais, ce dont l’époque a besoin”  ainsi que l’écrit Angélique Del Rey (Voir : Pas de solution : la seule voie de sortie...)

Le capitalisme s’est construit pendant des siècles à l’intérieur même des sociétés féodales et à un moment, à la fin du 19è siècle la révolution française par exemple a mis à jour les formes d’organisation politiques, quand l’affaire était déjà réglée pour l’essentiel dans la société.
Ceci ne signifie pas qu’un changement de système - qu’on n’imagine pas aujourd’hui - prendra des siècles. Mais il n’y a pas de raccourci possible : il faut qu’il y ait construction à une échelle suffisante d’alternatives concrètes qui pourront alors à un moment faire nouveau système... et c’est seulement dans ces constructions que peuvent grandir les forces capables de mener ces transformations.
Parmi tous les domaines dans lesquels ont peut agir et dessiner un autre type de développement, celui de l’alimentation et de l’agriculture est probablement l’un de ceux dans lesquels une prise de conscience et un passage aux actes sont en cours de façon accélérée en ce moment...