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La souveraineté alimentaire peut stabiliser le climat !

Position de Via Campesina sur la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations-Unies sur les Changements Climatiques)

jeudi 18 décembre 2008

Les paysans et les paysannes font partie des premières victimes du changement climatique. Partout dans nos champs, sur les plantes que nous cultivons, avec les animaux que nous élevons, ses conséquences sont palpables. Cependant, ceci n’a rien de nouveau. Déjà dans les années 1970, les paysans et paysannes africaines étaient touchés par la désertification et par un changement radical dans le rythme des saisons. Depuis, nombreux parmi nous sont ceux qui ont été touchés par des ouragans, des inondations, le raccourcissement de la saison humide et des maladies des plantes et des animaux dues à des températures inordinaires. Nous avons adapté nos modes de vie et de production pour faire face à ces changements. Par exemple, nous avons développé des semences qui poussent plus vite ou qui résistent à la sécheresse, nous avons mis en place des systèmes pour endiguer l’eau ou au contraire pour la garder dans les sols plus longtemps pendant la saison sèche. Presque toujours, nous avons accompli ces changements avec tant de réussite que la plupart des gens ne s’en sont pas rendu compte. C’est seulement du fait de la crise des prix alimentaires au printemps 2008 et car les émeutes dans les villes menaçaient les gouvernements nationaux que les médias ont commencé à prêter attention à la crise de long terme à laquelle font face les communautés paysannes et à la situation critique de la production alimentaire dans l’économie mondialisée.

Les paysans et les petits agriculteurs sont menacés par les « solutions » au changement climatique promues par le monde des affaires

Cependant, il semble que les paysans et les paysannes soient aujourd’hui plus menacés par les solutions au changement climatique promues par le monde des affaires, les pays du G8, l’Organisation Mondiale du Commerce et la Banque Mondiale, que par le changement climatique en lui-même. Les agrocarburants, les semences adaptées au changement climatique, la fertilisation des océans et les mécanismes de commerce de carbone, en accélérant la privatisation de toutes les ressources naturelles de la Terre, exclus les communautés locales de l’accès aux ressources autrefois appelées les « biens communs » : la terre, l’eau, les semences, et peut-être même maintenant l’air que nous respirons.
La plupart de ces solutions visent en fait plus à faire face à l’épuisement des hydrocombustibles qu’à arrêter le changement climatique. Un des buts explicite de la Conférence des Parties (COP) est maintenant également de « sécuriser à long-terme l’approvisionnement énergétique supply ». Les agrocarburants sont caractéristiques de ce problème. Bien qu’ils soient présentés comme un moyen de diminuer les émissions de CO2, en réalités ils servent essentiellement à remplacer les carburants fossiles pour pouvoir continuer à augmenter les consommations énergétiques au niveau mondial, au profit du monde des affaires.

Les solutions néo-libérales au changement climatique et à l’épuisement des réserves de carburant fossile font qu’il devient de plus en plus difficile de vivre du travail de la terre. Partout dans le monde, la terre est confisquée par les multinationales pour faire pousser des agrocarburants. Partout dans le monde, les géants semenciers avancent le rouleau compresseur de la propriété intellectuelle pour interdire aux paysans et aux paysannes de reproduire eux-mêmes leurs semences - les seules pourtant qui puissent s’adapter à l’évolution des conditions climatiques - et imposer leurs hybrides brevetés et leurs OGM. Les politiques agressives de « libre »-échange imposées par le Japon, les Etats-Unis et l’Union Européenne via les accords bilatéraux dépossèdent les communautés de leurs marchés locaux et les mettent sous le contrôle des firmes financières, agroindustrielles et de distribution. Il devient de plus en plus difficile pour les paysans de tirer un revenu digne de leur travail, non pas parce qu’ils ne produisent pas assez ou pas assez efficacement, mais à cause de la prise de contrôle violente des multinationales sur toutes les ressources naturelles et sur les marchés. La crise alimentaire de cette année a effectivement montré que ce n’étaient pas le manque d’alimentation qui avait entrainé la hausse vertigineuse des prix, mais essentiellement la spéculation financière sur les marchés des céréales.

De façon plus générale, les solutions promues par les gouvernements et les institutions néo-libérales font toutes porter le coût des politiques d’ajustement au changement climatique sur les plus pauvres. D’un côté, ils encouragent la consommation « verte » pour les plus riches, leur permettant ainsi de se décharger de leur responsabilité face à la crise environnementale, de l’autre ,en augmentant le prix des produits de base, ils empêchent l’essentiel de la population d’avoir accès aux ressources indispensables pour couvrir leurs besoins élémentaires (alors qu’on acclame les riches Européens et Américains qui achètent des voitures qui rejettent peu de CO2, le prix du pétrole pour cuisiner dans le Sud est devenu tellement cher que beaucoup ne peuvent plus se l’acheter). Le changement climatique est devenu un nouveau prétexte pour exploiter les plus pauvres tandis qu’une élite de plus en plus exclusive peut continuer à vivre comme avant : business as usual.

La destruction de l’agriculture paysanne est une des causes principales du changement climatique.

Un exode rural massif découle de ces politiques. En Europe et aux Etats-Unis, où presque tous les biens communs ont été privatisés et où les petits paysans sont face à la concurrence impitoyable de l’agriculture industrialisée soutenue par les subventions, moins de 5% de la population continue à cultiver la terre. Partout dans le monde, les paysans et les paysannes sont piégés entre d’un côté leur dépendance à des semences, des pesticides et des engrais qu’ils achètent de plus en plus chers, et de l’autre côté les prix très bas qu’ils obtiennent à la vente de leur produits. Les paysans quittent les campagnes et rejoignent la misère des bidonvilles. Sur les six milliards d’habitants que compte la planète, trois sont maintenant des urbains, dont un milliard qui vit dans les bidonvilles. Les experts prédisent que bientôt la majorité des urbains pourrait bien se trouver dans les bidonvilles.

Cet exode rural est parmi les plus grandes menaces pour le climat. En effet, alors que l’agriculture paysanne refroidit le climat, le modèle industriel de production et de consommation qui le remplace décuple les émissions de carbone. Ces dernières 150 années, l’industrialisation de l’agriculture a signifié le remplacement de l’énergie humaine - le travail des femmes et des hommes paysans - par l’énergie des carburants fossiles : on pense aux tracteurs, mais aussi aux engrais et à la spécialisation des production et au développement des monocultures, basées sur des transports de marchandises sur de longues distances pour nourrir les êtres humains et les animaux d’élevage. Cela a entrainé le remplacement d’un modèle de production qui, en prenant soin de l’humus, stockait d’énormes quantité de carbone dans les sols, par un système qui utilise quatre fois plus de calories issues d’énergies fossiles qu’il n’en produit en aliments.

La CCNUCC doit reconnaître l’échec de Kyoto et adopter un ordre du jour de négociation radicalement différent

Le protocole de Kyoto qui a été signé en 1997 et a été mis en application depuis 2005 a déjà prouvé son inefficacité. Alors que les discussions commencent pour le réviser avec son expiration en 2012, les gouvernements et les institutions internationales doivent reconnaître que les solutions qu’ils ont avancées, à savoir les mécanismes de commerce de carbone, n’ont eu aucun effet pour arrêter le changement climatique. _ Depuis 1997, les émissions mondiales de CO2 ont dépassé les projections les plus pessimistes faites alors par les experts du Groupe Intergouvernemental sur le Changement Climatique.

S’ils souhaitent donc sérieusement s’attaquer à la crise, la CCNUCC (Convention-Cadre des Nations-Unies sur les Changements Climatiques) et les gouvernements doivent discuter des causes réelles du changement climatique. Ils doivent commencer par reconnaître leurs erreurs et leurs échecs, ils doivent ouvrir un large débat public avec les mouvements de la société civile pour faire face à la racine du problème : l’avidité du modèle de développement basé sur le pouvoir des firmes et sa propagation dans le monde entier.

Pour faire cela, l’ordre du jour des négociations climatiques devraient être radicalement modifié. Il devrait inclure les sujets suivants :

- l’impact du commerce international sur les émissions de carbone et la relocalisation des économies ;
- l’impact de l’agriculture industrielle sur le climat et le soutien à l’agriculture paysanne et aux modèles de production agroécologiques ;
- une stratégie pour respecter la souveraineté alimentaire des peuples ;
- une stratégie pour laisser les carburants fossiles dans le sol, pour diminuer de façon drastique la consommation énergétique et pour développer des énergies renouvelables contrôlées au niveau local ;
- une stratégie pour assurer un accès juste pour tous aux biens communs, et plus spécifiquement via des réformes agraires et l’arrêt de la privatisation de l’eau ;
- une stratégie pour faire cesser le pillage des ressources du Sud par les pays du Nord tel qu’on le connait depuis l’époque coloniale.

A moins qu’un tel ordre du jour soit enfin discuté au sein de la CCNUCC, et non pas comme prévu les mécanismes de commerce de carbone, nous pouvons être sûrs que cela n’aura aucun effet sur la catastrophe climatique.

La CCNUCC doit s’attaquer à la racine de la crise climatique ou bien disparaître

Le mandat de la CCNUCC est de s’attaquer de façon sérieuse au changement climatique, et pas d’ouvrir de nouveaux marchés « verts » au bénéfice des grandes firmes. S’il ne remplit pas son mandat, il est inutile, voire a des conséquences négatives, puisqu’il fait croire que les gouvernements font face à la crise alors qu’il n’en est rien. Le sommet de Bali a montré un mauvais précédent en terme de prise de contrôle des intérêts financiers sur les négotiations.
Les prochaines réunions de la CCNUCC, à Poznan en décembre 2008 (COP14) et à Copenhague en décembre 2009 (COP15) seront décisives.
La Via Campesina appelle la CCNUCC et les gouvernements à changer immédiatement l’ordre du jour des discussions à Poznan. Les peuples et les mouvements sociaux jugeront sur les résultats de la COP14 à Poznan si la CCNUCC est digne ou non de leur confiance pour faire face au changement climatique, et ainsi si elle est utile et légitime ou non.
Nous nous engageons à travailler avec nos alliés à Poznan et à Copenhague et tout au long de l’année prochaine dans le monde entier, pour dénoncer les fausses solutions au changement climatique et pour construire de réelles alternatives aux niveaux local, national et international basées sur la souveraineté alimentaire et l’agriculture paysanne.

Le 5 décembre 2008

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Ouverte le 1er décembre, la Conférence de Poznan s’est achevée le 13 décembre.
Elle a réuni 190 pays. Elle débouche sur ... quasiment rien. Le "fonds pour l’adaptation" censé aider les pays du Sud à faire face aux impacts du changement climatique sera doté de 45 millions d’euros ! Dérisoire. Une plaisanterie.
il est censé permettre de financer la construction de digues face à la montée du niveau des mers, de systèmes d’irrigation contre la sécheresse, et de nouvelles techniques agricoles (mais lesquelles ?). Ce sont des dizaines de milliards d’euros qui sont nécessaires, mais les pays riches ne veulent rien lâcher, alors que les scientifiques disent qu’il faut opérer un changement majeur dans les 10 ans qui viennent.
Le prochain rendez-vous pour décider du programme qui suivra le "protocole de Kyoto" qui se termine en 2012 sera le sommet de Copenhague, du 7 au 18 décembre 2009.