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Rencontre à l’initiative du groupe "le travail social dans la crise"...

Germain Sarhy à St-Etienne : “L’avenir se construit avec tous ceux pour lesquels aucun avenir n’est envisageable dans ce système néolibéral qui détruit tout”

mardi 15 mai 2012, par Josiane Reymond

Le 28 mars a eu lieu à St-Etienne une rencontre avec la communauté d’Emmaüs de Lescar Pau : Germain Sarhy, fondateur, Cécile, Claudine. Cette rencontre était organisée par l’équipe “le travail social dans la crise”, en lien avec la communauté d’Emmaüs de Firminy.

Voici ci-dessous un compte-rendu de la discussion...

Rappel : les rencontres du groupe “le travail social dans la crise” ont lieu le premier mercredi du mois à 19h, à l’amicale laïque de Beaubrun 14 rue Deverchère.
Elles sont l’occasion :
- De partager nos différentes réalités de terrain et mieux comprendre ensemble les enjeux.
- De partager nos questionnements, nos doutes, nos découragements, nos tentatives, nos initiatives, nos réussites
- De mutualiser nos expériences, nos savoirs faire, nos forces et nos envies
- D’intervenir dans le débat public et d’affirmer des valeurs, des conceptions, et devenir une force de transformation.
Ces rencontres sont ouvertes à tous.

INTRODUCTION

Le groupe « le travail social dans la crise », existe depuis près de 4 ans. Il rassemble des TS d’associations, d’institutions, des bénévoles d’associations, des jeunes en formation.
Chacun, dans nos différents lieux de travail, que ce soit dans des associations, des institutions, des centres sociaux... nous retrouvons partout ce sentiment d’inacceptable.

Ce qui est inacceptable aujourd’hui, c’est la somme des exclusions que la plupart des gens peuvent vivre : exclusion de la vie économique, de la vie sociale, de la pratique de la vie culturelle, de la possibilité de pouvoir participer concrètement à la vie de la cité.

L’inacceptable, c’est aussi cette stratégie installée dans tous les secteurs : le développement du management. Une stratégie pour isoler, mettre en rivalité, où personne n’est responsable, où tout nous échappe, où il n’est question que de rentabiliser.

L’inacceptable ce sont aussi ces catégories qui cloisonnent (les vieux, les pauvres, les handicapés, les sans papiers...) qui nous isolent les uns des autres, qui donnent l’impression que dans nos différents secteurs de travail, nous ne vivons pas la même réalité alors qu’il s’agit d’un contexte global, alors que la société a tous ces visages. Pour qualifier cette période, certains parlent de désolation. Notre sol commun qui s’effondre. L’effondrement de cette évidence que notre humanité repose sur des liens d’entraide et de solidarité.

Pour sortir de ce sentiment d’impuissance, pour réfléchir à de possibles alternatives, le groupe
« Le travail social dans la crise » propose depuis deux ans des rencontres/débats qui invitent les acteurs du social à chercher des issues, pour redonner du sens et des perspectives à l’action sociale en générale.

Nous avons dernièrement présenté à l’IREIS, des démarches que certains d’entre nous ont initiées et qui ouvrent à d’autres orientations pour le travail social. Des initiatives qui partent de constats d’inacceptables et qui construisent des projets pour répondre à des besoins, des désirs, notamment celui de pouvoir exister avec les autres.

Les personnes présentes au débat ont été sensibles au fait que les travailleurs sociaux peuvent se décaler et réfléchir en tant que sujet, s’engager...

Notre champ de responsabilité est de nous adresser à des personnes qui sont en situations de vulnérabilité et qui ont de moins en moins accès aux droits, qui sont de plus en plus précarisées, qui sont exclues. Notre responsabilité est de chercher avec elles des solutions.
Pour retrouver le sens du travail social, nous sentons le besoin de trouver d’autres espaces qui se construisent de façon communautaire.
Chaque fois, dans notre histoire, que nous avons été confrontés collectivement à des situations difficiles, ce sont toujours les initiatives construites de façons collectives qui ont apporté de véritables solutions dans la durée.

Aujourd’hui, nous allons découvrir la démarche de la communauté d’Emmaüs de Pau Lescar.
Depuis près de 30 ans, elle construit des alternatives qui proposent d’autres solutions sociales, économiques, écologiques, et culturelles. Cette communauté combat ainsi l’exclusion, retrouve des valeurs humaines fondamentales, sauvegarde l’environnement.

Germain SAHRY, son fondateur estime que : « L’avenir se construit avec tous ceux pour lesquels aucun avenir n’est envisageable dans ce système néolibéral qui détruit tout. »

Germain et ses amis viennent des Pyrénées pour nous raconter la façon dont ils savent construire des utopies depuis 30 ans. C’est une grande chance pour nous qu’ils aient su ainsi franchir toute cette distance pour nous rencontrer. Nous espérons que cette soirée nous permettra de partager nos rêves, nos espoirs et de mutualiser nos initiatives concrètes.
Le groupe « le travail social dans la crise » peut faciliter cette nécessité de rencontre entre les acteurs du champ social. Nous cherchons aujourd’hui comment justement permettre à toutes ces initiatives qui émergent de ressembler leur force, leur savoir faire, de s’entraider.

Cette rencontre de ce soir, avec la communauté de Pau est d’ailleurs organisée en partenariat avec la Communauté d’Emmaüs St-Etienne. Maria et Alain sont responsables de cette communauté, ils sont venus, accompagnés de plusieurs compagnons.

Ce que nous souhaitons ce soir, c’est engager le débat en nous appuyant sur cette expérience de Pau qui depuis 30 ans avance et construit avec les plus exclus. Que ce soit l’occasion d’un partage de tout ce travail, cette réflexion dont beaucoup d’entre vous sont porteurs. Cette démarche extraordinaire caractérise ce que nous tentons les uns les autres, face à des réalités insupportables, où nous cherchons à retrouver, avec les personnes, notre capacité d’agir dans les affaires qui nous concernent tous, pour trouver des solutions concrètes aux problèmes qui se posent, pour se construire un avenir tous ensemble.

Cécile nous propose de visionner une vidéo qui présente la communauté. Vous la retrouverez avec ce lien : http://www.emmaus-lescar-pau.com/fr/l_accueil-6-2.html


Mes amis, au secours ! par EmmausLescarPau

Germain SARHY

« Tout est dit.... »
Ce qui est important... tout le monde connaît Emmaüs, ses objectifs... Ce qui est important pour nous, dans la communauté de Pau, c’est surtout de s’engager dans une dynamique d’économie sociale et solidaire, c’est d’ouvrir la communauté sur l’extérieur. On essaye de trouver d’autres raisons que le bric à brac... Car je crois que, quand quelqu’un vient à la Communauté, il faut qu’il s’arrête et se dise : « tiens, je vais aller visiter la ferme, je vais faire un tour de Rosalie, je vais aller voir l’éco-construction.... ». On est en train de construire une épicerie, demain on va peut être construire un petit restaurant...
Pourquoi on veut ouvrir le plus possible la communauté vers l’extérieur ? C’est, je crois, quand quelqu’un vient à la communauté, peu importe que ce soit un compagnon, que ce soit un salarié... on vient y chercher quelque chose, et certains sont repliés sur eux-mêmes.
Si la communauté se replie sur elle-même, à partir de ce moment là, on s’endort, on se meurt. Nous ce qu‘on veut à Pau, c’est s’ouvrir au maximum. S’ouvrir, rencontrer l’autre, aller vers l’autre. Les gens arrivent avec leur fardeau d’échec, de désespoir, à 90%, les gens qui viennent à Emmaüs c’est parce qu’ils ont connu un échec affectif, beaucoup arrivent en situations irrégulières.
L’objectif c’est de sortir de cette misère, sortir de la peur de l’autre.
Nous à Emmaüs, nous sommes des artisans, Philippe c’est un artisan, il s’est approprié l’utopie de ces constructions de maisons. Ce qu’il faut savoir c’est que ces maisons ont une valeur très forte dans la reconstruction de ces personnes.
Dans le village, on a deux catégories de logements, on a mis en place des mobil homes, en trois jours, la personne est autonome. Mais dans le mobil home, il y a un gaspillage énorme d’énergie. On a dit : on va passer à l’éco-construction, et dans l’éco-construction on se rend compte que la personne qui habite dans sa maison, est une autre personne. L’investissement que l’on fait dans ces maisons, il est dérisoire par rapport à l’apport humain.


Photo : Sophie Chapelle dans Bastamag

Comme nous on est des artisans et non des travailleurs sociaux, on a cette liberté dans la communauté par rapport à vous travailleurs sociaux à qui on ne donne aucun moyen. On vous donne de grandes idées, telles que le RSA, que j’appelle la rente sans avenir... Aider quelqu’un qui a un coup de pompe à redémarrer c’est une bonne idée, mais manque de pot, vous n’avez aucun moyen. Vous êtes confrontés face au désespoir, vous êtes complètement démunis, et qu’est ce que vous faites ?
Nous, la chance que l’on a dans une communauté d’Emmaüs, c’est la liberté. Cette liberté on se l’acquiert par l’autonomie financière, tout ce qu’on a à Pau, c’est sans un centime de subvention. On peut respecter déjà la première action de désobéissance, c’est à dire l’accueil inconditionnel. Accueillir quelqu’un, c’est déjà une action de désobéissance. On en fait d’autres, construire sans permis de construire, c’est classique. Cette indépendance financière nous permet de réaliser des activités, que ce soit au niveau de la récupération, toute cette indépendance financière elle provient de la récupération. On est quand même dans une société de bargeots, on surproduit, on surconsomme.... Et nous qu’avec les déchets, on arrive à faire vivre plus de 4000 compagnons en France, à Pau on est plus de 130 personnes.
Ce qui est intéressant c’est qu’on peut réaliser tout un tas d’actions avec cette autonomie financière, tout en étant un partenaire incontournable. Au niveau de l’activité économique, on est incontournable. Nous les compagnons, on a un savoir faire au niveau de la chine, le tri nous on sait faire. La chance qu’on a à Pau, c’est qu’on a une déchetterie en plein milieu de la communauté en partenariat avec deux agglomérations qui représentent à peu près 38 municipalités. Et on ne nous donne pas un centime de subvention.
On récupère plus de 70% des déchets, donc on devient un partenaire économique incontournable. Un partenaire social incontournable. Ce qui est fait déjà depuis plus de 60 ans.
Tous les jours, tous les jours, malheureusement... Parce que le vrai combat politique c’est que les compagnons d’Emmaüs on doit disparaître, tout comme les restos du cœur. Tous les jours des coups de téléphone pour accueillir du monde, des gens qui viennent frapper à la porte, tous les jours. Des gens qui arrivent des 4 coins de France, des 4 coins d’Europe et d’ailleurs, tous les jours. Ca veut dire un monde qui va mal.

Nous sommes un partenaire incontournable sur le plan social, avec toutes les actions que l’on peut mener... Nous à Pau on a un partenariat très fort avec le Burkina Faso, un partenariat avec une association qui s’appelle AIDEMER, qui cherche à construire la souveraineté alimentaire pour environ 20000 paysans, à partir d‘une agriculture agro-écologique.
A Pau sur le plan culturel, on a notre engagement, on a un groupe de musique, qui est sollicité, dans des manifs, des petites fêtes. Il faut savoir ce que ça représente la musique, les percussions...Comme extériorisation des compagnons, c’est important. On organise des festivals. Ce week-end, c’est Bernard Cassen qui est le co fondateur d’ATTAC qui vient, dans le cadre de culture América.... quand on voit ce qui se passe en Amérique latine, en Bolivie, au Venezuela, on pourrait prendre exemple de la politique que mène MORALES, c’est plutôt nous, en Europe qui sommes sous développés politiquement ... On va faire un concert avec Volo et « ceux qui marchent debout ».
Fin Juillet on fait un festival, pas seulement pour consommer de la musique mais pour que ce soit un temps fort d’échange, de rencontre... On va faire un forum en partenariat avec Paul Ariès, avec Jean Ziegler et d’autres personnalités qui vont venir... On parlera de la richesse de la pauvreté. Il ne faut pas confondre la pauvreté et la misère, aujourd’hui on enferme de plus en plus de gens dans la misère.
Dans le village il y aura plus de 40 associations, des animations de rue, 18 groupes qui vont passer sur la grande scène... On attend plus de 30000 personnes. L’important c’est qu’il y ait cette rencontre, que les gens se rendent compte qu’à Emmaüs, on est impliqué dans le culturel.

Emmaüs est impliqué dans le politique. On participe à des manifs. Nous sommes impliqués avec les Faucheurs Volontaires, on donne des séminaires, des formations sur le fauchage des OGM. On a un engagement politique autant sur le plan local, sur le plan national, Emmaüs a un engagement sur le mal logement. Il faut qu’on aie un engagement politique, qu’on dérange, qu’on provoque, qu’on innove. Qu’on sorte du misérabilisme, parce que gérer le misérabilisme que développe le mouvement néo libéral...
Ce qui m’intéresse c’est de développer une alternative, une économie sociale et solidaire, où on a la liberté de penser, la liberté de créer, la liberté de retrouver des valeurs simples : la nature, les animaux, la terre.
Avec notre ferme, on permet de retrouver le lien, de la stabilité, des repères. Retrouver à partir des produits de la ferme le plaisir du goût. On a le projet de faire des conserves, d’ouvrir un restaurant...
Tout ça pour recréer du lien, redonner à la personne des envies, l’envie de vivre. Redonner à la personne l’envie d’être une personne à part entière, redevenir un homme debout à part entière. C’est ce qui me parait être le vrai message de l’abbé Pierre, à travers toute une dynamique, une dimension de la communauté. On ne sait pas où on va, ce qu’on sait c’est qu’on a un train qui marche.
Il y a des milliers de personnes qui sont venues à la communauté, chacun a apporté son savoir. Ca n’a pas été simple, parfois on s’est attrapé par le collet, il y a eu des gifles, il y a eu des embrassades, il y a eu de tout... Ce qu’il faut prendre en compte c’est le résultat. On est arrivé à ce résultat parce qu’on a développé une politique participative. On ne s’est pas laissé enfermer dans le fonctionnement très lourd d’une association loi 1901 où 80% des gens qui viennent, ils viennent pour soigner leur pathologie d’un manque de reconnaissance de la société et de ce fait là, ils viennent s’approprier une étiquette au détriment de l’idéologie de l’association. Par contre d’autres veulent vraiment développer une dynamique, ça me parait très important de leur permettre d’être des porteurs de projets, des porteurs d’alternative. La politique participative, la reconnaissance de la personne en temps qu’acteur, auteur de la structure dans laquelle elle se trouve permet vraiment de faire avancer la structure.

Quand quelqu’un vient dans une communauté d’Emmaüs il vient en tant qu’assisté, très rapidement il devient consommateur. Il faut qu’il puisse devenir acteur, auteur de l’évolution de la structure.
Les décisions que nous prenons à Pau elles sont prises dans l’instant avec les acteurs concernés. Ca amène à ce qu’aujourd’hui, on est sur plus de 11 hectares, avec plus de 130 personnes... Il y a toute une dynamique. Ca, ça ne peut que se faire à partir du moment où il y a une reconnaissance de la personne. C’est le mal pour moi de cette société aujourd’hui. Aujourd’hui, on enferme les gens dans une exclusion, dans une inutilité. On ne prend pas en compte aujourd’hui toute cette population marginalisée, qu’on enferme dans l’euthanasie lente, on se déculpabilise en donnant le RSA, on se déculpabilise avec Emmaüs, les restos du cœur. Notre responsabilité politique ce n’est pas de tomber dans ce piège, même si on y est, c’est comment on essaye d’en sortir, c’est comment on remet en cause, à un moment donné, cette politique d’exclusion.
Je suis totalement convaincu aujourd’hui que ces 8 Millions de précaires peuvent disparaître et rentrer dans cette vie économique, dans cette vie sociale et culturelle de la société à partir du moment où on dit stop à cette oligarchie, qui avec indécence est en train de s’octroyer toutes les richesses, qui est en train de faire ses propres lois pour se protéger au détriment de toute une population qui se retrouve de plus en plus exclue.
Comment nous, communauté d’Emmaüs, on est dans ce combat politique là ? Un des combats très minimes, c’est quand quelqu’un vient dans une communauté, qui a perdu l’envie d’être citoyen, c’est comment on lui redonne envie...
En même temps, ça devient une force pour la communauté. C’est fondamental de redonner le statut de citoyen à chaque personne.
Ne pas s’enfermer dans ce fatalisme. Je parlais tout à l’heure à nos amis congolais d’un article que j’avais lu de Jafa Coli qui se demandait comment sortir les africains de l’attentisme pour être des révolutionnaires. Comment nous par notre solidarité, on ne fait pas du colonialisme solidaire ? Comment on est dans une politique de développement au profit de la personne, au profit du collectif ?
Dans une communauté, quand on permet à la personne de se reconstruire individuellement, elle se reconstruit pour elle-même et au profit du collectif. Le collectif est la force d’une communauté d’Emmaüs.
Cette année, nous fêtons les 30 ans de la communauté, les 20 ans de partenariat avec l’Afrique, les 20 ans de concerts. Quand les jeunes parlent de nous ils disent « ah oui, c’est là où il y a les concerts !!! », ils ne disent pas « c’est là où il y a la misère ». C’est nous tous qui profitons de cette reconnaissance en tant qu’acteurs et auteurs de la région... On ne nous montre pas du doigt comme les pauvres types, les clodos.

Quand on est arrivé à Lescar, il m’a fallu 3 ans pour trouver 1 hectare. Le maire socialiste disait : « pas de communauté d’Emmaüs à Pau ». On s’est retrouvé à l’écart. Et aujourd’hui coïncidence, on se retrouve être la vitrine. Il y a une sortie d’autoroute juste devant la communauté. L’objectif de l’ancienne municipalité c’était de nous décaniller pour faire une zone d’activité économique. En changeant de municipalité ça devient une zone d’activité culturelle. En devenant la vitrine ça nous donne la responsabilité d’avoir une communauté accueillante, d’avoir une communauté dynamique, d’avoir une communauté propre, d’avoir une communauté belle. Que le pauvre, il soit dans la beauté, le pauvre, il grandit dans la beauté. Quand le pauvre est dans la misère, il s’engouffre, il s’enterre dans la misère.
Dans le village on a 80 maisons à faire avec une architecture complètement farfelue. Les maisons, elles se construisent avec l’envie du compagnon. L’important c’est que le compagnon participe, avec son potentiel, son savoir, à la construction de sa maison. Il s’approprie sa maison. Qui d’entre nous n’a pas envie d’avoir sa maison, son intimité ?
Autant on développe le bien être de la personne, autant on développe l’économie d’énergie. Il faut qu’on arrive à sortir des griffes d’EDF GDF. Notre méthode c’est d’isoler au maximum. On a par exemple une maison qu’on appelle la tente canadienne, au sol c’est des vêtements de récupération mélangés avec de la chaux, sur les côtés ce sont des copeaux de bois. Après le matériel qu’on utilise c’est du métis, à partir du papier qu’on récupère, à partir de la ouate de cellulose, on fait du troc avec une société familiale dans les landes. On réutilise les déchets comme isolant. On passe d’une consommation de 900 euros par an à même pas 200 euros. En plus du bien être, économie d’énergie...
Une autre maison est prévue pour l’accueil de jeunes, on fait le volontariat d’été. On accueille plus de 200 jeunes chaque été, dans le cadre du volontariat. Ca permet à des jeunes de découvrir une autre dynamique de solidarité, de découvrir qu’ils peuvent s’engager. Personnellement j’ai découvert Emmaüs à travers des camps de jeunes. C’est aussi l’engagement politique d’Emmaüs, de faire découvrir un autre engagement, de faire sortir les jeunes du consumérisme dans lequel ils sont enfermés par cette politique néolibérale... En même temps on propose à des jeunes de passer 3 semaines au Burkina Faso... Ca interroge, ça interpelle les jeunes. Quand, dans quelques semaines, ils vont prendre leur bulletin de vote, ils vont pouvoir se dire : « la solidarité ça existe ». Ce qui est important c’est d’amener les jeunes à découvrir qu’il y a autre chose à vivre.

L’objectif de cette maison c’est de développer le tourisme solidaire. La personne qui souhaite passer une journée à la montagne, elle va venir passer le samedi avec nous, elle va participer aux activités, elle sera logée, nourrie, elle va découvrir la solidarité, la rencontre. Le Dimanche elle pourra découvrir la montagne.
Je suis convaincu que pour sortir de la misère, pour sortir de l’exclusion, c’est la rencontre. Tous les moyens qu’on peut avoir, on les cherche pour permettre la rencontre.
Il y a également des associations qui utilisent notre espace. Ce Dimanche il y a « les parcours du cœur », ils attendent plus de 1000 personnes qui vont venir à la communauté.
Il y a toute une dynamique, qu’elle soit avec des associations, des particuliers, des entreprises... Quand le maire décide de présenter ses vœux au monde associatif, il décide de le faire à la communauté. Le maire défendant le rôle d’Emmaüs et surtout montrant comment Emmaüs est acteur.
La rencontre est fondamentale pour combattre l’exclusion.

Le village est géré par un maire avec des conseillers. Dans le village, depuis 5 ans, à partir du moment où la personne est chez elle, il n’y a pas d’interdit. Ce que l’on veut de plus en plus dans la communauté, c’est remplacé l’interdit, et permettre à la personne de savoir vivre avec l’alcool. On se rend compte qu’en permettant, on a moins de problème. En même temps, il y a un soutien qui se fait, on a avec nous un psychothérapeute, un psycho alcoologue, on se retrouve... Plus on responsabilise la personne, plus on là considère en tant que personne à part entière, moins on a de problèmes.
Dans le village on a une épicerie, où les gens peuvent acheter des produits à hauteur de 80 euros, il y a de l’alcool. C’est pas tabou. Comme le sexe... La mixité c’est important. L’été les jeunes font des rencontres...Permettre à la personne de se reconstruire affectivement.

La discussion...

Public : Comment tout ça se gère ? Toute cette diversité de personnes c’est pas si simple...

Germain :
Rien n’est simple... La communauté, ça fait 30 ans qu’elle existe. En arriver là où on en est aujourd’hui, ça c’est pas fait du jour au lendemain. Quand il y a des problèmes, il faut les résoudre rapidement. Moi en tant que responsable, j’interviens. Eh puis il y a des personnes qui sont là depuis 15, 20 ans. Ces gens là se sont appropriés la communauté, ce sont eux qui font les gardes fous. Il y a des limites, et ça se sait. Moi bien souvent j’interviens en tant que responsable juste pour mettre en application ce que me disent les gars.

Alain :
A la communauté de Firminy, on accueille de façon inconditionnelle. On accueille des jeunes qui sortent de foyer, de famille d’accueil, des personnes âgées, nous avons actuellement 12 nationalités qui cohabitent. Il y a de l’autogestion entre ces personnes. Ce qui est important, c’est l’activité. Ce qui nous importe ce n’est pas que tel compagnon produise telle activité en un temps donné mais que la personne à qui on va confier une tache prenne du plaisir à le faire. C’est vraiment la force d’Emmaüs, chaque personne, en fonction de sa capacité physique et mentale, chaque matin, a une tache à accomplir. Qui va faire la cuisine, qui va conduire le camion, qui va réparer des meubles, qui va vendre... Chacun se dit en prenant son repas : « j’ai pas volé du pain, je participe à mon économie ».

Maria :
Il y a aussi autre chose. Dans notre société, on nous a convaincus que pour vivre bien, il faut vivre seul, on nous a poussé à un formatage. Dans le système communautaire, on est ensemble. C’est impliquant, mais tout seul, on risque de s’effondrer. A Emmaüs, on est tous ensemble. On partage les galères tous ensemble. Par contre, celui qui est plus faible que soi, on apprend à l’aimer. Dans notre société, le plus faible est écrasé, dans la communauté, le plus faible a sa place à part entière. On réapprend à regarder celui qui est différent, celui qui est plus fragile, et à le respecter. Le secret, il est là. On va à contre courant du modèle de notre société qui est un modèle qui divise, qui individualise.

Public : Vous démontrez quelque chose à laquelle personne ne croit plus...

Germain :
A partir du moment où, dans une communauté, on recrée tous ces petits métiers.... Nous à Pau on a 20 ateliers, où chacun trouve du plaisir.
Dans le village, on recrée l’ambiance du village, avec l’autodiscipline qui existe dans un village. On accepte, jusqu’à ce que ça commence à ne plus être viable et là on dit stop : ça tu le retrouves partout. On n’invente rien, ça existe tout ça.

Public : Tu dis que tu as mis trois ans pour trouver un hectare, pour te poser quelque part. C’est un problème qu’on se pose ici, si on veut créer quelque chose de symbolique. Il faut trouver du terrain, l’éco-construction, ça ne peut pas se faire sans ...

Germain : L’important c’est notre autonomie financière. Si à Emmaüs on n’avait pas cette capacité grâce à notre activité, on n’aurait rien. Au début on avait 1 hectare, aujourd’hui on en a 11... Ca a pas été facile... Autant avec les élus, autant avec d’autres... ça n’a pas été simple. Quand tu as une conviction, que tu as une dynamique, tu peux créer des choses.

Public : Tu disais tout à l’heure : il faudrait que Emmaüs disparaisse de la société. Moi je crois plutôt, vu la direction que vous prenez, que le reste de la société devrait plutôt suivre votre modèle...

Germain : Je vais te donner un exemple tout simple. Nous allons retourner ce soir à Pau, nous allons passer devant un péage d’autoroute automatique... Où est-ce qu’il est le poinçonneur de métro ? Aujourd’hui, il est à Emmaüs, il est en maison d’arrêt, il est à l’hôpital psychiatrique, il a le RSA... Il zone. Alors que ce gars là, il serait dans un village... Avec une reconnaissance de pouvoir d’achat...
Pour moi il y a deux misères. Cette misère de tous ces gens exclus qu’on enferme dans une misère attentiste, de fatalisme. Il y a cette misère de ceux qui en veulent toujours plus. Ces deux misères-là, il faut les supprimer. Au niveau de Pau, de la déchetterie, les gars ils peuvent tout à fait travailler, habiter dans le village de Lescar Pau... et là Emmaüs peut disparaître.

Alain : Au niveau des déchetteries classiques, on est à 13% des déchets qui sont recyclés. On a une grande marge de progression au niveau des créations d’emploi.

Germain : A Pau quand on dit : on a une épicerie, on a la ferme, on fait des concerts... On crée une économie. Qui s’inscrit dans une économie sociale et solidaire.

Alain : Si demain on décidait de remplacer les pompes automatiques par des pompistes, des laveurs de voiture. Cet après midi on parlait d’autres pays...

Germain : Le Togo supprime les petits métiers au Togo... En Amérique Latine, Chavez donne une couverture sociale à tous ces petits boulots.

Maria : Si de plus en plus de personnes se mettaient à revivre ensemble, à faire ensemble, à proposer de nouvelles alternatives, on pourrait faire pencher la balance. C’est ce que Emmaüs veut faire, par son expansion, ses alternatives, elle cherche à développer autre chose. Il n’y a pas que le modèle communautaire, il y a d’autres choses. Mais je pense qu’il y a cette dimension visionnaire au sein d’Emmaüs.

Public : Aujourd’hui on parle de plus en plus de nouvelle monnaie. J’ai connu l’expérience des SEL, système d’échange local qui existe depuis 20 ans. J’ai l’impression que ça revient avec de plus en plus de force. Est-ce qu’à Emmaüs vous avez l’expérienced’unemonnaielocale ?

Germain : On s’est posé la question au village, mais on ne savait pas comment faire pratiquement. A l’épicerie, chacun a unmontantde 80 euros fictifs, au-delà de cette somme, il paye en euros.
On a une épicerie normale, avec une éthique. On met en vente les produits issus de l’agriculture paysanne de 3 petites fermes, plutôt que d’enrichir une grosse exploitation. A deux kilomètres de chez nous, il y a Euralis, une des plus grosses coopératives.

Public : ce que je trouve excellent c’est toute cette ouverture sur l’extérieur....Qu’est ce qui se développe à partir de ces relations à l’extérieur ?

Germain :Le fait d’avoir sa maison,ça développe une autre image sociale que celle de vivre en caravane. Dans toutes les manifestations publiques, l‘important pour nous c’est que les gens se rencontrent. L’objectif qu’on a à travers toutes ces rencontres, c’est de donner envie de construire des alternatives. Pour sortir de ce consumérisme. Moi ce qui m’intéresse c’est d’interpeller des gens pour leur donner envie de créer des alternatives. Notre slogan c’est : « oser l’utopie avec et pour l’homme »

Public : Ce qui me tracasse... Je percute bien avec tout ce que vous venez de partager, le témoignage de ces deux communautés d’Emmaüs... Avec Adeline, on a démarré une action sur un quartier réputé le plus précarisé de St-Etienne. On a répondu à une demande d’enfants qui a un moment donné sont venus dire assez concrètement : « après l’école on s’emmerde ».
Ils n’ont pas accès aux centres de loisirs parce que c’est un coût trop lourd pour les parents, ce sont aussi des démarches administratives et que c’est trop lourd pour des familles qui passent leur vie à faire des démarches qui n’aboutissent pas... C’est des mômes qui s’ennuient et qui sont venus nous dire « on a besoin d’adultes parce qu’on est mal tous seuls dans la rue » ; ça a produit très rapidement quelque chose de très positif. On ne se pose jamais la question de savoir si ce qu’on fait a une utilité, apporte quelque chose, la réponse est oui. On sent qu’on a complètement notre place, que ça reconstruit, que ça revitalise ce quartier. Tout irait très bien. Mais ce qui est vraiment difficile, c’est ce problème de l’autonomie financière. Tout est tellement étriqué. Le centre de loisirs, ils ont une visée à 6 mois, ils ne savent pas si au bout de 6 mois les contrats seront renouvelés. Ils passent leur temps à se battre là-dessus, ils ne construisent plus rien avec les gosses, le centre social c’est pareil. On a senti avec ces partenaires une réelle animosité, on est devenu des concurrents. On continue notre démarche, les enfants, ils sont là. Notre démarche est simple : on est sur le terrain de jeux de Tarentaise, on apporte des tapis, on met des jeux à disposition. On a cette éthique : on propose un accueil libre, gratuit inconditionnel, on vient quand on veut, on accueille tout le monde... ça fonctionne vraiment, les mères, elles sortent de chez elle... J’ai toujours cette impression quand on arrive, c’est de faire sortir les gens de chez eux. C’est vraiment ce qu’il faut. Mais là où on épuise nos forces... Il y a des moments où je me dis je ne vais pas tenir, ce qu’on sent vraiment, c’est qu’à un moment donné ça grippe et ça s’agrippe pour nous empêcher d’exister. On ne veut pas être des concurrents, on n’a aucun intérêt pour les familles du quartier à devenir concurrents des autres structures. C’est l’idée que ça apporte quelque chose de plus dans ce quartier et que ça le rend plus vivant. Les mères nous disent « quand vous êtes là on laisse sortir nos mômes si vous n’êtes pas là ils restent à la maison ». On a consacré des heures à faire des appels à projets, ceux qui subventionnent ont la pleine bouche de démocratie participative et on nous contraint à rentrer dans dix lignes en précisant que si on ne rentre pas dans les cadres on ne lira même pas notre projet. Je me dis : il ne faut pas trop faire d’appels à projet parce qu’on en perd son âme. Il faut même utiliser un certain vocabulaire, il y a des mots magiques et des mots clés : « soutien à la parentalité » qui ne sont pas du tout notre éthique et notre démarche. J’entends très bien, ce besoin d’autonomie financière, mais pour nous, c’est même pas la peine d’y penser...

Germain : Tout ce qu’on a fait... Si on devait faire des demandes de financements... Si on devait faire des demandes de permis de construire... Ce qui va arriver dans quelques temps... Même pour les maisons individuelles il va falloir construire en prenant toutes les mesures nécessaires pour l’accessibilité des handicapés. Au rythme où l’on va, comme nous sommes une communauté, il faudrait que pour toutes les maisons, il y ait une accessibilité aux handicapés. Si on faisait toutes ces demandes, on ne ferait rien, et la communauté n’en serait pas là.
A partir du moment où on est intouchable économiquement et socialement... Tu imagines le préfet qui vient démonter les maisons parce qu’il n’y a pas de permis de construire ? On veut essayer de régulariser, mais on construit...
L’abbé Pierre était intouchable : ancien curé, ancien résistant, ancien député... Moi je ne suis rien, mais je dis : la communauté d’Emmaüs, elle existe de façon économique, sociale et culturelle, elle est intouchable.
Quand tu vois le monde qui vient chaque jour... Rien que pour la déchèterie, il y a tous les jours 600 voitures qui viennent décharger, on a presque 1000 personnes par jour qui viennent au bric à brac... Tu crois que le maire il a envie de venir nous faire chier ? On peut faire un ramdam énorme par notre crédibilité.
Ce que l’on fait, le village, c’est quelque chose d’original, c’est beau. Ce n’est pas dangereux, farfelu, ça tient la route.

Alain : C’est comme pour les sans papiers, on accueille tout le monde de façon inconditionnelle, on dit qu’on les accueille et on revendique cet accueil. On prévient le préfet... La police n’est jamais venue dans une communauté pour venir chercher un sans papier. A Marseille, ça s’est produit, mais c’était à l’extérieur de la communauté.

Germain : Ça m’est arrivé une fois de défendre un gars sur l’extérieur. La BAC m’a dit : « vous savez ce que vous risquez ? » Je leur ai répondu « pas de problème mettez-moi au trou ».
Ils mettent 2 ou 3 types au trou, tu as la presse qui rapplique... Ça bouge, ils le savent.
Ce qu’il faut aussi savoir c’est qu’un type sans papiers qui est accueilli à la communauté, ça coûte pas un centime à l’état. En plus on paye les taxes professionnelles, les taxes d’habitation.
Faut pas rêver, les 130 personnes qui sont accueillies à Emmaüs, qui coûtent pas un sou, elles emmerdent personne... Si on dérangeait à l’extrême, il y a longtemps qu’on serait rayé. Faut pas rêver, on rend un réel service... Ne serait-ce que la gestion de la déchèterie, elle nous a coûté 450 000 euros, nous assurons la gestion administrative... Vous vous rendez compte le fric qu’on fait gagner ?

Public : Ça peut être le piège. C’est comme ce qu’on fait avec le collectif « que personne ne dorme à la rue ». En réquisitionnant un immeuble, on enlève à l’Etat une charge en assumant d’une façon... on fait le boulot de l’Etat. Il faut également interpeller les pouvoirs publics.

Germain : Je suis entièrement d’accord, qu’on ne fasse pas que de la gestion de la misère que développe le système néo libéral. Le danger c’est qu’Emmaüs développe une gestion institutionnelle. A partir du moment où on obtient des subventions directes ou indirectes, on est coincé. Il faut garder notre liberté autant pour des actions qu’on peut mener mais pour notre parole politique.
L’autre jour Bertrand Delanoë me demande s’il peut venir faire un meeting chez nous, on a un grand parc... J’ai dit non. On m’a demandé si Martine Aubry pouvait venir manger à la communauté. Qu’elle vienne manger, ça m’est égal, elle ne vient pas faire un meeting. Si j’avais des subventions, qu’est-ce que je fais ?

Public : Nous on travaille dans une grosse association, avec des personnes qui sont aussi dans la galère par rapport à leur handicap. Nous, on a viré de l’autre coté... Enfin nous, je ne me sens pas personnellement concerné, je fais partie de ceux qui essayent de transformer justement.
Tout est comptabilisé : un handicap, c’est un coût. Le collectif « le travail social » permet la rencontre, et le fait de se rencontrer permet de réaliser qu’on galère tous. Je bosse avec des gens qui sont majeurs protégés. Protégés, je me demande de qui, de quoi ? Avec le collectif, on s’est rencontré autour de ça, pour nous dire : qu’est ce qu’on peut faire de différent ?
Moi ce qui m’inquiète, c’est par rapport à l’utopie. Dans le centre où je travaille, on organise des rencontres en assemblée une fois par semaine, où on se met d’accord tous ensemble pour prendre des décisions. On s’est rendu compte que moins on en faisait, plus les gens ils en font. On se rend compte que certaines personnes ont vécu 30 ans en institution, elles n’en seraient pas là si on avait su s’organiser autrement autour d’elles. Sans utopies, je ne sais pas où on va, mais c’est le problème de l’engagement. Dans notre grosse association, on a de sacrés moyens. Le problème ce sont les gestionnaires qui sont démissionnaires. Nous à l’intérieur on commence à faire des trucs, on est 3 ou 4 sur 50 établissements, tant que ça ne fait pas de bruit, on nous laisse tranquille. Je crois à l’autonomie financière, il y a cette clé là... Et puis arriver à transformer les choses là où elles sont, et ça passe que par la rencontre. Je connaissais peu Emmaüs, mais je me retrouve dans la démarche participative. Je pense à une personne qui est dans notre centre depuis deux semaines et qui parle de son utilité.

Germain : C’est fondamental, on a tous besoin d’être reconnu. Quand quelqu’un arrive à la communauté, il boit le café, il visite, il a sa piaule, et en fonction de l’heure, il participe à l’activité. On n’est pas dans une dynamique de rentabilité, on est dans une politique participative. Le mec, il participe avec ses capacités physiques et morales. Comme dans toutes les communautés, certains, par leur handicap physique ne peuvent pas gagner ce qu’ils mangent. Mais il n’y a aucune discrimination. Par contre quelqu’un qui ne joue pas le jeu, qui flémarde, on lui fait pas de cadeaux. Tout le monde doit travailler avec ses capacités. Donc tout le monde se sent utile. Et c’est là que tu te rends compte que l’inutilité enfonce la personne. Le week-end, tu en vois certains qui tournent, et c’est là le risque qu’ils s’enfoncent, qu’ils retrouvent leur maîtresse, c’est-à-dire le canon, et ils se cassent la gueule. L’inutilité, c’est dramatique sur ce plan-là mais aussi par rapport à l’exclusion de la société. C’est ça qu’il faut combattre, l’inutilité.

Public : Par rapport à la citoyenneté... Notre foyer existe depuis 19 ans. On a changé notre regard par rapport aux résidents. Il n’y a que deux personnes sur 30 qui s’expriment, qui disent : on a quelque chose à dire... C’est très peu.
Moi je ne crois plus aux manifestations...

Germain :Il est important de s’indigner, mais derrière l’indignation, il faut s’engager.

Public : Je suis pour le droit de grève, le fait de défiler, mais ça doit s’accompagner de faits marquants. Dire dans la rue pendant 3 ans : « on est contre les OGM ». Ils passeront quand même.

Germain : On n’a pas dit que « non », pour les OGM. Quand on va faucher les OGM, on n’y va jamais avec un outil, on y va avec les mains. Heureusement qu’il y a eu toute cette campagne des faucheurs d’OGM, tout ce travail qui a été fait. Va voir dans d’autres pays, va voir en Espagne...
L’indignation elle est importante, mais il faut savoir agir. Pour les retraites l’an dernier, on a tout arrêté alors que le nabot, il aurait pu être viré.
Le danger c’est qu’on arrive à décevoir des jeunes.

Public : Par rapport à la question de l’engagement... Des manifs, oui il faut en faire, mais seulement dénoncer c’est très insuffisant. Les enjeux sont tellement importants. On parlait des OGM, derrière les OGM, c’est des milliards de profit pour des dizaines et des dizaines d’années. C’est pas simplement en dénonçant qu’on va régler ça, il faut s’attaquer au réel. S’attaquer au réel en construisant des choses et en démontrant qu’on peut faire autrement. La grosse question ce sont les alternatives.
Le maire de St ETIENNE quand on lui parle des Rroms et des demandeurs d’asile, il répond : « il n’y a pas d’alternative aux politiques d’expulsion ». Il faut que nous on montre, dans les faits, qu’il y a des alternatives.
Ce qui m’intéresse dans ce que vous construisez à Pau, c’est ça, ce sont des alternatives. Produire des idées, du dynamisme qui peut être ailleurs va pouvoir émerger sous d’autres formes. Tout ça, ça crée de la résistance et ça démontre qu’il y a des choses qui sont possibles, ça développe des idées.
Quand on a décidé de réquisitionner un immeuble pour y mettre dedans des gens qui sont à la rue, c’est dans le cadre d’un mouvement qui part de valeurs qui dit que ce n’est pas normal que des personnes dorment à la rue, sur le principe du droit au logement pour tous. Donc on trouve des solutions. Dans la région stéphanoise, il y a beaucoup de logements vacants, donc il faut mettre les gens dans les bâtiments vides. On dit : « ce n’est pas possible, la population elle veut pas »... Nous on le fait et on démontre que ça marche... Et on continue la bataille, on dit il y a d’autres immeubles à réquisitionner pour installer des gens sous diverses formes. On s’attaque au réel et on construit des alternatives qui peuvent permettre de développer des processus.
On démontre à la Perrotière qu’on peut loger des familles, elles y vivent, il n’y a pas de problèmes majeurs avec le voisinage...
Pour les OGM c’est pareil, il y a eu les faucheurs volontaires qui on dit : « toutes les fois qu’il y aura des OGM on le saura et on fauche ». Ils n’ont pas fait que faucher, des scientifiques ont participé, il y a eu des débats qui ce sont développés dans la société... Mais ils ont continué à faucher. Faire aujourd’hui de la politique transformatrice, ce n’est pas seulement dénoncer, se présenter aux élections. Faire de la politique aujourd’hui, s’est s’attaquer aux réalités, construire des alternatives et produire des processus.

Public : Quand les gens n’ont pas le moral, je leur dit : « écoutez carnet de campagne sur France Inter à midi et demi, ce sont 20 minutes de bonheur ». Ce sont des échanges d’expérience. On nous casse la tête avec toute une série de faits divers horribles...

Germain : Juste un petit exemple par rapport à ce que tu dis... L’an dernier à l’époque de la Sainte-Catherine, on a planté 500 arbres, de variété régionale, en partenariat avec le conservatoire végétal d’Aquitaine. On a proposé aux gens d’acheter les arbres. Une centaine de gens sont venus les planter. Il y a eu des temps très forts. Un instit a proposé à sa classe de venir faire l’école à Emmaüs pour planter l’arbre... L’importance de l’arbre, sa valeur, redonner un sens à la nature...
S’est retrouvée une diversité de gens à la communauté qui a planté. Ce qui est important, ce qu’on veut défendre... : Un, les variétés d’arbres régionales, mais aussi en lien avec la fédération des chasseurs... Toute cette petite faune qui disparaît, tout ce déséquilibre... On a replanté des haies.
On fait du maraîchage bio avec des semences qu’on achète à Kokopelli. Tout ça on veut le défendre, à notre niveau. On dit très clairement une autre agriculture est possible. Aujourd’hui le paysan n’est plus qu’un ouvrier, il a mis à la disposition d’une coopérative son propre terrain, il a perdu toute sa valeur de paysan. C’est là qu’il y a tout un travail à faire. Quand tu vois un gars comme Pierre Rabhi qui défend l’agro écologie que ce soit au Burkina Faso ou dans la zone Saharienne... C’est ça qu’il faut qu’on arrive à défendre. C’est là où on doit tous s’engager chez soi pour défendre une autre agriculture. Il y en a plus qu’on ne le croit, des gens qui font des choses extraordinaires. Mais le problème, il est qu’à la télé on nous met des conneries, je te tue, tu me tues, on se tue...