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Sale temps pour les paysans et la justice.

La multinationale Lactalis obtient de la Cour d’appel de Lyon une condamnation de la Confédération Paysanne

Le jugement du TGI de St-Etienne est inversé. Le Confédération Paysanne de la Loire est condamnée à payer 3024€ + 1000 € au 1er trust laitier mondial, + frais de justice de 1ère instance et d’appel...

mardi 9 avril 2013, par Roger Dubien

Le 13 mars dernier, le Parlement Européen votait la nouvelle PAC-politique agricole commune, pour les années 2014-2020. Il y avait quelques espoirs, et on nous disait que cette fois-ci, c’était différent, c’est le Parlement qui déciderait, et pas la seule commission européenne directement branchée sur les multinationales. Erreur. Le Parlement a décidé en gros comme la Commission européenne. Contrairement aux commentaires soporifiques de la plupart des médias, il a enterré la réforme de la PAC. Feu vert à l’agriculture industrielle, à la dérégulation et à la poursuite de l’élimination des paysans.
Aujourd’hui par exemple, les aides sont raflées par les grosses exploitations, et un plafonnement des aides était demandé pour soutenir les fermes pratiquant une agriculture paysanne. Ce plafond a été fixé, mais à ... 300 000 euros. Ce qui signifie qu’en France moins de 10 exploitations géantes sont concernées. On continue donc, en pleine politique néo-libérale...
D’une certaine façon, le jugement que vient de rendre la Cour d’appel de Lyon dans le procès fait par la multinationale Lactalis à des paysans de la Loire relève de la même ambiance de fond. Le jugement du Tribunal de Grande Instance de St-Etienne sur cette affaire est ni plus ni moins inversé... Et ce sont encore les paysans qui devront payer. Pour leur apprendre à se soumettre ?

Rappel des faits...

17 août 2009 : en plein effondrement sciemment organisé du prix du lait payé aux paysans par l’industrie agro-alimentaire (tombé entre 22 et 26 centimes d’euros le litre), des paysans de la Loire et du Rhône manifestaient avec la Confédération Paysanne à l’usine Lactalis/Nestlé d’Andrézieux-Bouthéon, alors que les actions des éleveurs laitiers se multipliaient en France et en Europe, et allaient déboucher sur une “grève du lait” sans précédent.

Le géant de l’industrie laitière déposait plainte pour le blocage de son usine. Le procès avait lieu le 1er juin 2011 devant le Tribunal de Grande Instance de St-Etienne. Il donnait lieu à une très forte mobilisation de soutien. Entre 1000 et 1500 paysans et autres citoyens manifestaient de Jean Jaurès au Palais de Justice...
Voir : Le procès à faire, c’est celui de Lactalis et des multinationales de l’industrie agro-alimentaire, pas celui des paysans !


Le TGI de St-Etienne rendait son jugement le 14 septembre 2011. Les juges déboutaient Lactalis, ils prenaient en compte la situation des paysans, et leur droit légitime à se défendre par l’action syndicale.
Lactalis qui voulait faire condamner Philippe Marquet et la Confédération Paysanne de la Loire, et leur faire verser plus de 14 000€, était condamné à leur verser 1500€, plus les frais de justice.


Lire les extraits du jugement du TGI de St-Etienne : La multinationale Lactalis perd son procès contre les paysans

Lactalis ne supporte pas qu’on se mette en travers de sa route...

Mais Lactalis, devenu dans la foulée 1er groupe laitier mondial avec plus de 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires (voir Lactalis joue au Monopoly) - et une fortune évaluée pour le seul PDG Emmanuel Besnier à 4,4 milliards d’euros - n’allait pas s’en arrêter là. Qu’est-ce que c’est que ces paysans qui osent se mettre en travers de ses business plans ?


Lactalis a donc fait appel. Le procès a eu lieu le 5 février 2013 à Lyon. Le jugement vient d’être rendu ce 4 avril 2013. Et il inverse le jugement du TGI de St-Etienne : il donne à Lactalis ce que Lactalis demandait : une condamnation de la Confédération paysanne, une condamnation des actions des paysans.

Qu’a soutenu Lactalis ? Qu’en organisant cette manifestation qui a bloqué l’usine d’Andrézieux quelques heures le 17 août 2009, la Confédération Paysanne a commis un acte illicite engageant la responsabilité de ses membres. Un fait délictueux portant atteinte au droit de propriété et à la liberté du travail, du commerce, d’entreprendre, d’aller et venir. Et que c’est la Confédération Paysanne qui a organisé tout ça. Que son secrétaire Philippe Marquet en a été le coordinateur actif. Que tout ceci a coûté à Lactalis 11.347,41€ + 2.964,35€ + 60,20€ de frais divers (location d’une salle dans un hôtel...). Soit un total demandé de 14.161,96€. Lactalis a par ailleurs demandé 5.000€ de plus et la condamnation de la Conf’ aux dépens (frais de justice).

Il suffit de rapprocher ces sommes du chiffre d’affaires et des profits du trust pour vérifier que Lactalis n’a rien à faire de ces quelques milliers d’euros. Ce qui lui importe, c’est de faire condamner des paysans qui ont résisté. Pour donner une leçon à tous, pour la suite.

Le jugement de la Cour d’Appel

La Cour d’Appel s’est limitée à un tout petit morceau de la réalité. Elle indique qu’il y a bien eu blocage. Que c’est bien la Confédération Paysanne qui a appelé à l’action et animait cette action (des articles de presse sont même utilisés pour appuyer ce rôle de la Confédération Paysanne). Cette action de blocage constitue des faits illicites voire délictueux. La responsabilité personnelle de Philippe Marquet n’est pas engagée, dit la Cour, car il agissait en tant que secrétaire du syndicat paysan. Mais “la Confédération paysanne de la Loire dont la responsabilité est retenue devra réparer le préjudice causé à la société LNUF Marques par le blocage de son site le 17 août 2009”
Au final, la Confédération Paysanne est condamnée à payer à Lactalis 2.964,35€ + 60,20€ (la location d’une salle à l’hôtel) soit 3024,55€. Plus 1000 € + frais de justice de 1ère instance et d’appel.
Evidemment Lactalis se moque bien de 3024,55€. Ce qui compte, c’est la condamnation en Justice des paysans.

Télécharger le jugement de la Cour d’appel de Lyon

Et si on revenait au fond du problème ?

On ne peut pas dire que ce jugement fasse avancer la justice !

Même en restant centré sur les quelques heures de cette action du 17 août 2009, il saute aux yeux que des éléments importants n’ont pas été pris en compte.
D’abord il s’agissait d’une action syndicale. En France, le droit syndical existe encore, à ce qu’on sache. Il est légal de se défendre collectivement. C’est d’ailleurs ce droit qui est mis en cause par Lactalis, qui ne veut voir face à lui que des paysans individuels isolés, à sa merci.
Les paysans qui étaient là le 17 août ne se promenaient pas à Andrézieux-Bouthéon et ne se sont pas arrêtés par hasard devant Lactalis/Nestlé parce que l’idée leur est passée par la tête d’embêter quelqu’un. Ils sont venus manifester devant la société qui prenait leur lait en le payant en dessous de son coût de production. Et en les empêchant ainsi de continuer à travailler et à vivre. Le lait produit dans sa ferme par Philippe Marquet lui-même était acheté (mais pas payé correctement) et transformé dans cette usine, juste de l’autre côté de la barrière d’entrée.
Les rapports entre les paysans et l’industrie laitière sont quand même très particuliers : les sociétés ramassent le lait, sans que les producteurs-vendeurs ne décident du prix de vente, et elles le paient au prix qu’elles décident plus tard. Même si ces producteurs ne sont pas d’accord avec le prix qui leur est payé...
Dès lors quand des paysans manifestent contre Lactalis, ça a quelques ressemblances avec un conflit du travail, avec un débrayage dans une entreprise. Ces paysans ne viennent pas chercher des histoires à quelqu’un qui n’y est pour rien. Ils viennent demander des comptes à des responsables de leur situation quotidienne.

La condamnation qui vient d’être prononcée, c’est un peu comme si des travailleurs d’une entreprise qui débrayent et arrêtent la production étaient condamnés en justice à payer le manque à gagner pour l’entreprise suite à cette perte de production.
C’est vrai que par les temps qui courent, un droit syndical - reconnu bien sûr, ça ne mange pas de pain, mais vide - qui coexisterait avec une interdiction aux intéressés de bouger en quoi que ce soit, ce serait le top pour les trusts. Ce jugement met donc en cause aussi les droits syndicaux, chèrement gagnés en France et ailleurs.

Et puis n’a absolument pas été pris en compte le contexte de cette action, et les raisons pour lesquelles les paysans se sont mobilisés en 2009 et après.
On peut penser que le TGI de St-Etienne avait pris en compte, lui, cette situation, que les évènements depuis cette date n’ont fait que confirmer.
Avec la suppression des quotas, l’augmentation des quantités produites, la mise en concurrence des paysans pour produire plus car étant payés moins, tout avait été mis en place pour aboutir à faire s’effondrer les prix. Les règles ont sauté. “Tout est possible”, y compris de payer des paysans en dessous des coûts de production, avec une rémunération nulle ou même négative de leur travail.
Tout cela débouche à la fois sur l’élimination des paysans (30 000 éleveurs laitiers disparus depuis 2009, au bénéfice de l’agrandissement de fermes devenant des usines à lait) et sur de gros profits pour les multinationales.
C’était ça le contexte de l’action du 17 août 2009. C’était une action pour fixer et répartir autrement la valeur créée par ceux qui travaillent.

La cour d’appel de Lyon vient de donner raison au plus fort. Il aurait été mieux de donner de la force à ceux qui ont raison et demandent justice.

Ce jugement met aussi en évidence la terrible faiblesse des responsables politiques aujourd’hui. Il est urgent de remettre de la justice, de la culture, de la civilisation, de la politique, dans l’économie. D’affronter le néolibéralisme. Un choc anti-néolibéral, peut-être ?

Roger Dubien.