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Notre responsabilité envers les générations futures...
Le "magnifique monde de la communication" déterritorialise la vie et virtualise le monde
Une vidéo d’une intervention de Miguel Benasayag...
vendredi 14 juin 2013
Voici la vidéo d’une conférence de Miguel Benasayag à l’Unesco à Paris, en novembre 2012, à l’occasion de la journée mondiale de la philosophie...
Le thème de la conférence était : “Notre responsabilité envers les générations futures”.
Son intervention commence (après la présentation) à 18 minutes, la discussion commence à 50 minutes...
Cette vidéo est en ligne à http://www.youtube.com/watch?v=xPP02ngqzWg&feature=endscreen
Miguel Benasayag présente d’abord son point de vue sur les causes de la “rupture de transmission” dont le constat est largement partagé : perte de notre rapport dynamique avec le futur, mais aussi perte de notre rapport avec le passé.
Son “hypothèse : c’est que notre espèce humaine, qui est une espèce biologique et culturelle de façon inséparable, se trouve face à un problème majeur parce que l’axe synchronique, l’axe de “maintenant”, l’axe de "actuellement vivants" de l’espèce est en train de prendre le dessus par rapport à l’axe diachronique. C’est-à-dire que notre espèce humaine est en train de vivre une mutation majeure dans laquelle les "actuellement vivants", par une série de transformations technologiques, culturelles, etc, par une série de mutations très profondes... notre espèce est beaucoup trop centrée sur l’identité et l’existence et la survivance des actuellement vivants que dans l’axe diachronique.”
Quelques extraits... - mais le mieux c’est d’écouter !!
Les “promesses de "tout est possible" s’adressent à une toute petite partie qui va agir comme des hyper-prédateurs.”
(...) “Le-magnifique-monde-de-la-communication" - tout en un seul mot-, opère une mutation d’un point de vue biologique : jusqu’à il y a très très peu de temps on était une espèce qui n’était pas en permanence connectée entre elle : il fallait attendre, ne serait-ce que pour trouver une cabine téléphonique... Donc en très peu de temps notre espèce a acquis - parmi d’autres, mais ne serait-ce que celle-ci - une mutation fondamentale qui est que notre espèce est la seule espèce qui est en permanence en communication en créant ce qu’on pourrait appeler une sorte de monde imaginaire basé sur l’immédiat, l’immédiateté, qui ne laisse aucune place à rien qui ne soit pas l’immédiateté, ni dans le passé ni dans l’avenir ni même dans la complexité des processus de pensée.”
(...) “ Une immédiateté virtualisante, abstraite, globalisante, qui detérritorialise la vie au nom de cette puissance incroyable de communication”. Or, “bien entendu plus ça communique, plus ça cache les niveaux profonds de complexité des processus réels. On est dans le piège de croire que le progrès technique est toujours un plus, et on a beaucoup de mal à penser que dans la complexité organique d’une espèce et d’une culture, jamais il n’y a eu un plus sans un moins. Donc l’homme de la communication immédiate a oublié tout bêtement de se poser la question : cette puissance immense, de quel côté je suis en train de la payer ? (...) Notre espèce, notre culture, n’a pas eu le temps de métaboliser organiquement l’arrivée de cette puissance qui nous a piégés dans un présent permanent”.
C’est d’autant plus embêtant, pour nous Occidentaux, que nous avons perdu le mythe central de notre culture qui était le futur-promesse. (l’idée que dans le futur il allait y avoir la justice, la santé, le bonheur, etc...) Nous sortons d’une époque (la modernité) où les pratiques et la subjectivité étaient ordonnées par la promesse d’un futur, qui légitimait et ordonnait le présent. Notre société (post-moderne) est celle qui a perdu cette promesse. Et pas seulement perdu : le futur, l’avenir, est devenu son contraire : le futur est devenu une menace.
(...) “Quand on parle de notre responsabilité par rapport aux générations futures, (il faut) prendre en compte que ce que nous nommons le futur dans un sens linéaire - ce qui va arriver demain, après demain - évoque quelque chose qui est hors champ de l’immédiateté économique, technique, et culturelle de notre époque (...) quelque chose qui est chargé d’une déception et pire : d’une menace - tout le monde est convaincu qu’il va être noir.
Alors quand nous parlons de la difficulté de la responsabilité envers les générations futures, la pire chose à faire, c’est de penser aux générations futures. Parce que la question de la responsabilité envers les générations futures est une question qui nous regarde, nous avec nous. C’est-à-dire : dans quel piège nous nous sommes aujourd’hui, de ce présent permanent qui écrase toute trace de dispositif complexe : individuel, social, recherche, économique...
Pour moi, la question de la responsabilité envers les générations futures, ce n’est pas de la futurologie, ce n’est pas d’essayer d’imaginer... C’est d’avoir le courage de voir que notre futur - notre espèce et notre monde - est piégé dans un présent absolument permanent et saturé, dans lequel il n’y a que l’immédiat, et cette immédiateté rend ipso facto abstraite et lointaine toute autre chose qui ne soit pas cet éternel immédiat. Or, sortir de l’éternel immédiat, ça ne peut pas être quelque chose qu’on pourrait faire en imaginant des abstractions. Au contraire. Je pense que la question des générations futures est une question qu’il faut traiter d’un point de vue plus anthropologique - "la fonction anthropologique du futur"...
(...) Chaque société a une fonction du concept de futur, d’avenir - donc d’identité entre hier, aujourd’hui et demain -, différente, chaque culture construit une fonction future différente. Nous, nous sommes les orphelins de toute conception sérieuse du futur (cad) dans le sens : qui protège la vie.
Si je suis dans une dynamique circulaire - ce sont des sociétés qui sont dans l’histoire, différente de l’histoire linéaire de l’Occident - j’ai une certaine conception du futur. Donc je n’ai pas à "être responsable des générations futures". Mes actes mêmes, organiquement, incorporent ce devenir.
Si je suis dans la modernité, le futur c’est ce qui ordonne mon présent.
Et nous - post-modernité - nous sommes une culture d’un terrible entre-deux (espérons que c’est entre-deux, que deux va arriver...) qui a perdu toute conception concrète - concrète, ça veut dire que je suis touché par ça - toute possibilité d’être affecté concrètement par ce qui va venir après nous.
Ce qui va venir après nous, pour chaque grand corps anthropologique (modernité...), est incorporé ici et maintenant : le futur est une pratique ici et maintenant.
Comme dit St-Augustin : le présent a trois dimensions : la dimension du passé qui structure ce qui existe, la dimension du futur : les ouvertures, les virtualités ici existantes, et la dimension du présent où on agit. Donc il n’y a pas d’autre futur que le futur présent.
Notre culture en crise a perdu cet élément là au présent. Nous n’avons pas perdu la possibilité de nous projeter. Nous avons perdu ce que dans le présent nous devons réarticuler de façon organique : notre synchronie - (cad) le désir que chaque fourmi a qu’on l’écrase pas-, avec la diachronie - qui est quand même que ce qui compte, c’est la fourmilière.
(Pour) nous aujourd’hui, comme dit Mme Thatcher, la société n’existe pas, il n’y a que des individus. Des individus associés rationnellement entre eux... Si effectivement nous ne sommes plus capables de concevoir les liens autrement que comme des liens optionnels, rationnels, utilitaristes, de nous échapper de cet archi-nominalisme qui est que tout ce qui existe c’est l’individu comme réalité dernière, eh bien notre société est menacée par ce qui arrive quand on perd toute dimension du futur-passé : la barbarie.
La barbarie de dire que la seule chose qui nous importe c’est de jouir dans l’immédiat...
Et que personne ne se trompe, parce que dans certains îlots de l’Occident nous sommes très polis entre nous, et on dit bonjour à la dame, mais que quelque chose commence à manquer, que des crises arrivent, que l’apartheid se développe... et vous verrez comment ce que Freud appelle le petit vernis de la civilisation saute en l’air. Parce qu’une culture qui est dissociée du passé et du futur est une culture qui est en grand danger d’une violence et d’une barbarie...”