Mon site SPIP

Accueil > Réseau RESF > Chronique d’un rassemblement interdit de dislocation

A St-Etienne, on teste aussi de nouvelles méthodes policières...

Chronique d’un rassemblement interdit de dislocation

La préfète, le maire et Valls ne supportent pas qu’on s’oppose à l’expulsion de lycéens sans papiers.

mardi 19 novembre 2013, par Roger Dubien

Samedi 16 novembre, une quinzaine de personnes, avec RESF et le collectif “Pour que personne ne dorme à la rue”, ont manifesté avec 2 banderoles devant le centre des Congrès, à l’Espace Fauriel, où se tenait le congrès national du Mouvement de la Jeunesse Socialiste, auquel le ministre de l’Education Nationale Vincent Peillon était présent.
Une demande écrite avait été faite auprès de la Préfecture de la Loire de pouvoir rencontrer Vincent Peillon. Demande tout à fait indiquée, puisqu’il est ministre - et en plus de l’Education - d’un gouvernement qui expulse des jeunes étrangers sans papiers du territoire national (Léonarda, Katchik..., et 5 jeunes lycéens de la Loire immédiatement menacés) et qui expulse par centaines des familles de demandeurs d’asile de leur logement ou de leur hébergement.
La Préfecture était donc parfaitement au courant de ce rassemblement - tout à fait non violent - et elle a tenté longuement de le faire annuler en échange d’une rencontre discrète avec le ministre. Histoire que personne ne le sache...
Le rassemblement ayant été maintenu, la rencontre avec le ministre Peillon a été refusée.
Et ce congrès socialiste s’est d’ailleurs tenu sous la protection d’un nombre considérable de CRS. Les temps changent...
Il est vrai que quelques personnes d’extrême droite sont également venues manifester (contre le mariage pour tous et cie...). Mais elles sont reparties tranquilles, elles, ce n’est pas d’elles que les CRS se sont occupé pendant plusieurs heures.

D’abord, les CRS et policiers en civil ont repoussé, de façon assez brutale, les militants de RESF et de Personne à la Rue jusque sur l’esplanade devant la Chambre de commerce et d’industrie, au bord de la contre-allée du cours Fauriel. Ce qui est déjà en soi inadmissible. Et pas pour les faire se disperser, mais pour les encercler de façon serrée et les retenir ainsi pendant plus d’une heure trente ! Plus de CRS que de manifestants, et des CRS pour empêcher les manifestants de rentrer chez eux ! Du jamais vu par ici !

Le témoignage des séquestrés par les CRS :

“Samedi 16 novembre à 15 heures, du côté du centre des congrès de Saint-Étienne, Vincent Peillon ministre de l’éducation était attendu à la réunion nationale des MJS (mouvement des jeunes socialistes). Le réseau Education sans Frontières, ayant lu cette information quelques jours plus tôt, avait décidé d’appeler à un rassemblement ce jour, pour réclamer un véritable droit à l’éducation pour les élèves, enfants de citoyens roumains ou de familles demandeurs d’asile, sans hébergement.
Nous avions décidé également de contacter la préfecture de la Loire pour obtenir une entrevue avec le ministre.
Vendredi après-midi, Yves Scanu a un premier contact téléphonique avec le secrétariat de Madame la préfète qui lui réclame une demande écrite (à expédier par voie électronique).
La demande étant prête, il l’expédie aussi vite. A 16h15, nous obtenons une réponse positive à notre demande par voie de courrier électronique. Un peu plus tard dans l’après-midi, nouvel appel téléphonique de la préfecture : l’audience sera accordée sous condition de ne pas manifester.
Nous n’avons pas voulu céder à cet odieux chantage et nous avons décidé de maintenir le rassemblement.
Samedi 15 heures, nous sommes une quinzaine de manifestants à être parvenus devant le palais des congrès avant que les policiers ne bloquent tous les accès. Nous n’y resterons pas longtemps, chassés par des policiers en civil. Nous finissons par nous retrouver sur la contre-allée du cours Fauriel où nous retrouvons les copains empêchés de parvenir devant le centre des congrès. Dans un premier temps, les forces de l’ordre semblent avoir pour consigne de nous faire rebrousser chemin mais très vite un contre-ordre arrive dans l’oreillette du responsable. Notre rassemblement est complètement pacifique mais cela ne suffira pas, notre ministre n’entrera pas par la grande porte du centre des congrès mais par une porte dérobée pour éviter sans doute de nous croiser.
À 16h30, nous décidons de mettre fin à notre rassemblement. A notre grande surprise, les CRS nous informent qu’il n’en est pas question et commencent à nous encercler. Si dans les premières minutes, cette attitude surprenante nous a plutôt semblé risible, au fil du temps la plaisanterie n’a plus fait rire personne : 12 CRS ont donc retenu les 14 militants que nous étions pendant plus d’une heure et demi.
Les uns les autres, nous avons tenté d’alerter la presse ou quelques élus ; des responsables syndicaux ont cherché à interpeller les autorités préfectorales, tout cela en vain. Le motif de la retenue : nous n’avions pas déclaré notre rassemblement ! Ce qui n’est que partiellement vrai. Certes nous n’avons pas fait de déclaration écrite mais la préfecture était informée. D’une part, c’était l’objet du chantage « si vous maintenez le rassemblement vous n’aurez pas audience ». D’autre part la directrice de cabinet de Madame la préfète avait rappelé Yves Scanu la veille pour proposer à nouveau une audience contre notre renoncement à manifester. Elle lui avait indiqué qu’il était nécessaire de faire une déclaration écrite de manifestation, ce à quoi il avait objecté que nous appelions à un simple rassemblement qui n’occasionnerait aucune perturbation sur la voie publique. Elle lui a simplement réclamé quelques informations sur le lieu du rassemblement et les associations qui appelaient ainsi que le nombre de manifestants attendus. Il a répondu aux deux premières questions et quant à l’estimation du nombre de manifestants il a donné une fourchette large...de 10 à 200 !
Nous vous livrons un récit factuel de ce drôle de rassemblement car il est important que chacun soit au courant des agissements des décideurs politiques vis à vis de nos mobilisations ! Nous avons décidé de ne pas passer sous silence ces intimidations et nous avons demandé aux organisations syndicales de réagir à cette manière de traiter des manifestants.
Nous vous laisserons apprécier de quelle manière évoluent les libertés publiques dans notre pays.”

Jeanne PONCIN, Jacqueline CROZET, Myriam GARCIA, Vincent BASABE, Jean-François PEYRARD, Françoise PERRIN, Juliette CROZET, Philippe BARIOL, Yves SCANU

Voir aussi sur http://stockinfos.over-blog.com/2013/11/chronique-d-un-rassemblement-interdit-de-dislocation.html

Cette façon de faire, c’est une première dans la Loire. On avait déjà vu des policiers essayer de disperser une manifestation. Mais jamais encore des CRS empêcher des manifestants de se disperser et de rentrer chez eux !
On n’avait pas encore vu non plus, c’est vrai, un procès contre un manifestant accusé d’avoir participé à une manifestation ayant bloqué pendant quelques dizaines de minutes la circulation des trams. Eh bien on va le voir, avec la convocation du jeune Miguel Nguandji au Palais de Justice vendredi 29 novembre prochain à 9h.

Du du jamais vu ici jusqu’ici, donc. Et ce sont des décisions politiques. Des décisions qui sont prises forcément par la Préfète de la Loire, forcément en lien avec le maire de St-Etienne et avec le ministre de l’intérieur Valls, en application de ses directives.
Une question au passage : que pensent de ces atteintes flagrantes aux libertés les autres principaux élus du département, députés et sénateurs, et les élus municipaux de St-Etienne ? On attend avec curiosité leur protestation ou même simplement leur demande d’explications...

Faire chauffer la marmite ?... Comme à la manifestation pour le droit au logement à Paris mi-octobre

L’argument des responsables des forces de Police, et de la préfecture, pour justifier cet encagement des manifestants : c’est parce que la manifestation n’avait pas été déclarée en Préfecture (papiers à signer, loi anti-casseurs etc...) - alors que l’extrême droite elle aurait pu se balader tranquillement parce qu’elle avait déclaré sa manifestation -, ne tient pas la route. D’abord, parce qu’il y a chaque année et depuis des décennies des dizaines de manifestations dans ce cadre là, ce qui n’empêche pas que la préfecture soit tout à fait au courant - et samedi, elle était parfaitement prévenue, avec demande de pouvoir rencontrer le ministre.

Ensuite, il faut savoir que la même chose s’est produite à Paris samedi 19 octobre 2013, contre un rassemblement du DAL-Droit au Logement, dans le cadre de la journée de mobilisation européenne pour le droit au logement. La manifestation avait été déclarée dans les règles, et autorisée. Mais les CRS sont intervenus brutalement contre les 200 personnes présentes, qu’elles ont ensuite “encagé” pendant 3 heures, interdisant de partir, d’aller aux toilettes, et interdisant à un médecin de venir apporter des soins. Plusieurs personnes - des mères de familles présentes avec leurs enfants - ont été frappées, avec un acharnement spécial contre Jean-Baptiste Eyraud, animateur du DAL parfaitement connu et reconnaissable, qui a eu deux côtes cassées.

Lire un compte-rendu de ces évènements sur le site de Médiapart

Ce qui s’est passé à Paris met évidemment en cause très directement la responsabilité du ministre de l’intérieur Valls.

Alors, selon divers échos, il apparaît que cette méthode policière qui consiste à encercler des manifestants et à les séquestrer, à les retenir pendant des heures, ne relève pas de l’improvisation. C’est quelque chose de tout à fait réfléchi.
Cette méthode est apparue sous Sarkozy - Hortefeux. Apparemment elle a été testée la première fois en grand sur des jeunes lyonnais, avec le bouclage de plusieurs centaines de jeunes sur la place Bellecour, pendant plusieurs heures, le 21 octobre 2010, au moment des manifestations contre la réforme des retraites.

La méthode consiste à faire chauffer la marmite, pour qu’elle bout. Juqu’à ce qu’elle explose si possible ? Histoire de faire peur à certains et de les décourager d’y revenir. Et d’en matraquer d’autres, si la pression et l’absurdité de cette situation font que l’énervement prend le dessus chez les manifestants.

C’est sous Sarkozy que cette méthode est apparue. Qu’elle soit appliquée sous Valls - le ministre soutenu par 80% de la droite et de l’extrême droite dans l’affaire des expulsions de jeunes lycéens réfugiés - n’est pas surprenant.
Valls a choisi la même stratégie que Sarkozy. Et ils ont un ami et inspirateur commun pour leur politique sécuritaire et répressive.
Voir (parmi tant d’autres) ces infos de Rue 89 : Alain Bauer, ami de Valls et Sarkozy
Et aussi : L’ancien conseiller sécurité de Sarkozy relit les discours de Valls
Ou encore dans l’Express : Alain Bauer, l’ami de trente ans de Manuel Valls

Pas surprenant donc, mais que fait Valls dans un gouvernement qui se réclame de la gauche ? Il y a une erreur quelque part.

Roger Dubien.