Mon site SPIP

Accueil > Quelle connerie la guerre ! > La lettre à Chirac ou qui a assassiné Hariri ?

La lettre à Chirac ou qui a assassiné Hariri ?

mardi 15 février 2005, par Sélim Mehiou

C’était un milliardaire, homme d’affaire et politicien, et surtout grand ami de Jacques Chirac.
Il a milité dans sa jeunesse au sein du Mouvement des Patriotes Arabes, groupe laïque prônant l’unité arabe et la lutte pour la libération de la Palestine et dont l’un des fondateurs n’est autre que Georges Habache, leader historique du FPLP.
Après, il a quitté le Liban pour aller travailler en Arabie Saoudite où il s’est énormément enrichi.

Son retour au pays correspondait approximativement avec l’invasion israélienne de juin 1982. Son entreprise des travaux publics a assuré le déblaiement des rues de Beyrouth après le retrait de l’armée israélienne de la capitale libanaise en octobre de la même année.

Son aura a fortement grandi avec la création de la Fondation Hariri qui a financé les études à l’étranger de milliers de jeunes libanais, de milieux modestes, et majoritairement sunnites comme lui.
C’est l’un des financiers du Lycée Français Abdel Kader de Beyrouth, acheté en 1985 par la mission laïque française et par la fondation Hariri.
Il a à son actif le projet Solidere, qui a permis la reconstruction (non encore achevée) du centre ville de Beyrouth.

Son implication dans la vie politique libanaise, à partir de 1992, fait parti d’un équilibre de fait entre les américains, les saoudiens et les syriens.
Ces derniers n’ont pas laissé émerger, depuis le début de la guerre civile, un leadership sunnite car à leurs yeux, les dirigeants sunnites constituent un soutien à l’OLP (en conflit avec la Syrie) et peuvent avoir des obédiences saoudienne ou égyptienne.
Donc dans l’histoire des syriens au Liban, ce fut le premier notable sunnite de poids qu’ils ont accepté de laisser exister (et de laisser vivre) grâce à l’équilibre d’influence mentionné ci-dessus et qui a fonctionné pendant de nombreuses années.

Le nouveau facteur dans l’affaire est la présence américaine en Irak, pays voisin de la Syrie et les pressions énormes qui s’exercent sur les syriens de la part des américains et des israéliens.
La France est restée à l’écart des pressions jusqu’à récemment où un contrat pétrolier assez consistant au nord de la Syrie devait être donné aux entreprises pétrolières françaises, suite aux promesses faites par Assad à Chirac qui est intervenu personnellement dans l’affaire.
Surprise générale, les syriens donnent le contrat à des entreprises américaines ce qui met Chirac en colère et en même temps, les syriens font voter à l’assemblée nationale libanaise un amendement de la constitution pour permettre au Président maronite de prolonger son mandat. (Président très pro syrien).
Les français soutiennent une résolution de l’ONU portant le n° 1559 (2 septembre 2004) et qui demande le retrait des troupes étrangères du Liban et le retour du pays à la souveraineté.
Autour de cette résolution se sont ralliés l’opposition maronite, le PCL, Walid Joumblat (chef druze et président du parti socialiste progressiste), etc...

Depuis octobre 2004 Hariri a démissionné de son poste de premier ministre et a été remplacé par un autre sunnite plus loyaliste aux syriens.

Donc, l’équilibre est rompu, et de plus, l’ami de Chirac, s’est retrouvé il y a un mois environ à l’Hôtel Bristol à Beyrouth pour assister (de façon très peu ostentatoire tout de même) à une grande réunion de l’opposition.

Est ce un message à Chirac ? Certainement ; Hariri et Chirac étaient liés d’amitié personnelle (le couple présidentiel français est allé dès le matin du lundi présenter ses condoléances à la demeure parisienne de Hariri).
Est ce un message à l’opposition ? Certainement car les gens vont prendre peur à moins que les pressions extérieures ne dissuadent les syriens d’aller plus loin.

D’autre part, vendredi dernier, quatre membres du conseil d’administration d’une association caritative affiliée à Hariri ont été arrêtés à Beyrouth par la gendarmerie ; leur association est accusée de faire campagne pour Hariri en distribuant des aides à la population de Beyrouth (campagne non encore ouverte car une nouvelle loi électorale est encore en discussion à l’Assemblée Nationale Libanaise)...
Le matin du lundi 14, en regardant les journaux libanais sur le net et en lisant la suite de cette histoire d’association caritative, je me disais qu’il risque gros ce Hariri ; se montrer à côté des gens de l’opposition c’est accepter de jouer au leadership et de donner une caution sunnite, fut elle timide, à l’opposition.
Hariri rassemblait en sa personne plusieurs torts : il est sunnite, ami de Chirac et membre de l’opposition. Je me disais qu’il constitue le maillon faible de l’histoire.
Ils l’ont assassiné deux heures plus tard.

Est-ce Assad qui en est responsable ? Je ne le crois pas. Je pense que les services syriens continuent à gouverner la Syrie (et le Liban) sans se soucier du niveau politique qui risque de payer très cher cet assassinat. A moins que l’analyse de la situation faite par les politiques syriens ne considèrent les américains en grand échec en Irak et donc que leur capacité de réaction sera très limitée.
Il y a également la piste des services libanais, très intimement liés aux syriens depuis des années, et qui aurait pris l’initiative de le faire.
Reste la possibilité d’un coup israélien. C’est vrai que nos voisins du sud sont aussi machiavéliques que nos voisins de l’est ; ils ne sont pas non plus à un coup d’essai près. Beaucoup d’assassinats non élucidés au Liban leur sont imputés (pour être honnête, c’est assez bien réparti entre les deux). Leur intérêt dans cette affaire serait de faire pointer les doigts vers leur ennemi syrien, déjà dans une situation délicate au niveau régional.
Cette piste me laisse un peu septique tout de même et je privilégie la piste de responsables des services syriens, habitués à ce genre de coup de force.
Reste la piste du groupe islamiste (ou de l’individu à visage découvert) qui a revendiqué l’attentat.
C’est une hypothèse peu probable ; je cite ce que disait un intellectuel libanais au plus fort de la guerre civile : les présidents et les chefs sont rarement assassinés par des individus. Ce sont des Présidents qui ordonnent l’assassinat d’autres Présidents.

Salim Mehiou

Messages

  • Permettez-moi de réagir à cet article.
    L’auteur considère que l’assassinat de Hariri est une lettre à Chirac. Or, il est clair que la France a pris depuis un certain temps une position coloniale envers le Liban, voulant intervenir dans ses affaires internes, par le biais de l’opposition. Hariri, bien que proche de Chirac, ne représentait pas l’opposition. L’assassinat de Hariri vise en fait de créer les conditions pour intervenir dans le Liban, considéré comme le point faible de l’alliance Liban-Syrie-Iran, face à l’Irak sous occupation américaine et Israël. Dans ces conditions, à qui profite le crime ? A ceux qui cherchent par tous les moyens à intervenir au Liban pour interdire le Hezbollah, pour mettre le Liban sous la coupe américaine, avec l’alliance de l’opposition, qui appelle déjà à cette intervention.

  • Monsieur le Président de la République,

    Citoyen éveillé et responsable de ce pays riche, puissant et influent que vous gouvernez, et par-delà ma simple citoyenneté française, âme consciente des tristes réalités accablant une grande partie de la planète loin de nos frontières préservées, je m’adresse à l’homme de pouvoir que vous êtes.

    En vertu de mon droit inaliénable (et de mon devoir de citoyen éclairé) d’exercer liberté d’expression, énergie et intelligence aux services du bien public, du progrès social et humain, de la fraternité et de la justice universelles -valeurs suprêmes dont la France républicaine s’enorgueillit traditionnellement de manière très officielle lors de cérémonies magnifiques et coûteuses-, je vous rappelle simplement que l’on meurt encore de misère en 2006 dans ce monde censé être réglé par un humanisme occidental dominant, cher aux dirigeants des nations les plus nanties.

    Humanisme pompeusement revendiqué par une poignée de pays s’appropriant d’autorité la presque totalité des richesses du globe pour les gaspiller à des fins de confort et de bien-être dont les excès indécents sont devenus la norme, même chez les plus pauvres de leurs chômeurs. Pays prétendument civilisés, exemplaires dont fait partie la France. Je constate que le cynisme, Monsieur le Président, est toujours du côté des plus forts qui ont l’immense avantage de pouvoir manger même quand ils n’ont pas faim, d’emmener leurs chiens chez le vétérinaire au moindre aboiement de travers, de s’offusquer quand leur avion décolle avec un quart d’heure de retard ...

    Solidarité, altruisme, partage, justice : vains mots dont use et abuse notre république plus soucieuse de lustrer sa façade à coup de défilés militaires dispendieux et d’augmenter le niveau de vie de ses habitants toujours plus avides de confort, de vacances à la mer, de nouvelles chaînes de télévision, de matchs de football que de se serrer nationalement la ceinture avec héroïsme et pédagogie afin de mettre en pratique les valeurs les plus fondamentales qu’elle prétend défendre.

    Partager les richesses Monsieur le Président, que dis-je partager, simplement ôter aux gavés que nous sommes une petite partie du surplus qui nous asphyxie afin d’en faire profiter les damnés qui n’ont pas eu l’heur de naître entre nos frontières dorées, partager les richesses disais-je, est-ce un objectif si inatteignable, si révolutionnaire, si impopulaire que ça dans un monde où, pour prendre un exemple étranger qui cette fois n’offensera pas votre fibre civique, il y a quarante ans un citoyen américain marchait sur la Lune au prix faramineux de millions de dollars pour chaque pas effectué, compte tenu des dépenses pharaoniques qu’exigea un tel programme spatial ?

    Est-ce donc plus simple de faire sortir de nos usines républicaines canons, bombes et autres ingénieuses inventions martiales à la pointe de la technologie afin de répandre souffrances, misères, destructions pour des raisons qui Monsieur le Président curieusement vous apparaissent toujours excellentes, pourvu que ces engins si utiles au bien de l’humanité soient vendus aux belligérants à des prix hautement patriotiques ?

    Est-ce si insurmontable que ça de distribuer équitablement ces richesses qui nous étouffent, tellement encombrantes qu’elles débordent de nos poubelles ? Je ne parle pas politique ni grandes et complexes affaires économiques ici. Il est juste question de bon sens, de calcul basique, d’humanité élémentaire accessible même au plus borné des esprits. Pas de sentiments ni d’idéal, uniquement une réflexion froide, raisonnée, détachée, sommaire, confondante de simplicité : d’un côté on meurt d’excès, de l’autre on meurt de carences dans un monde où techniquement, matériellement il est possible de subvenir aux besoins vitaux de chaque individu, où qu’il se trouve sur la surface du globe.

    Faut-il Monsieur le Président être nécessairement bardé de diplômes, avoir fait des années d’études supérieures, sortir de l’ENA pour saisir cette effroyable réalité ?

    Nous nous scandalisons à juste titre pour les conséquences funestes dans nos maisons de retraite d’un été virulent long de trois semaines. La catastrophe des pays les plus pauvres est quotidienne cependant, et pendant ce temps nous nous battons pour des chartes de qualité à propos de vacances, nous nous engageons pour des revalorisations de salaires, nous nous agitons pour le respect de normes européennes au sujet de la composition de nos crèmes solaires anti ultra-violet... Chaque jour de l’année les victimes de la faim sont cent fois plus nombreuses qu’un été de canicule en France. 365 jours par an, des êtres humains de tous âges meurent sous les regards certes apitoyés, compatissants, révoltés, mais parfaitement passifs de républiques très solennelles (dont la France), très dignes et très à cheval sur les principes sacrés de fraternité universelle, d’altruisme, de solidarité qu’elles incarnent...

    Il est grand temps de dénoncer ce cirque Monsieur le Président. Les clowns ventrus du haut de leurs trônes compassés sont bien sinistres dans leur rôle de défenseurs des Droits de l’Homme...

    Les premiers droits, qui consistent à manger à sa faim, à accéder aux soins et à l’éducation, ne sont-ils pas bafoués éhontément par ceux-là mêmes qui sont censés les défendre becs et ongles, qui ont le pouvoir matériel, logistique, politique, humain de réparer la grande injustice alimentaire dont il se sont rendus coupables à travers le pillage historique, méthodique des richesses coloniales et qui ne font rien ou si peu ? Jamais la république du commerce des armes ne s’est aussi bien portée qu’aujourd’hui ! Nos usines à canons tournent à plein régime, l’Europe engraisse, l’Afrique crève, que demande le peuple ?

    Encore plus de beaux défilés militaires, encore plus de feux d’artifice, encore plus de congés payés.

    Vous me pardonnerez d’avoir succombé à l’emploi d’expressions triviales afin de vous exprimer ce que je crois être l’essentiel en tant que citoyen français. En des circonstances particulières, un langage virulent sied mieux qu’un autre, plus formel, moins éloquent. J’ai eu le courage Monsieur le Président de faire mon devoir de citoyen français, même si cette lettre est surtout symbolique.

    A vous de faire preuve de courage dans votre rôle de chef d’Etat d’un des pays les plus riches, et paraît-il, les plus vertueux de la planète.

    Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à ma parfaite considération.

    Raphaël Zacharie de Izarra

    Voir en ligne : La plume et l’épée