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Le vocabulaire de Nicolas Sarkozy correspond bien à son projet

jeudi 3 novembre 2005, par Raymond Vasselon

Beaucoup de commentateurs reprochent à Nicolas Sarkozy d’utiliser un vocabulaire trop excessif, trop agressif lorsqu’il traite des "événements de type Clichy sous Bois".

Mais il ne s’agit pas d’une affaire de vocabulaire, de simple communication. Nicolas Sarkozy expose, avec les mots qui lui conviennent le projet politique auquel il adhère avec conviction et que d’ailleurs il met en oeuvre. Ce projet, c’est celui de la société sécuritaire qui traite par la répression les situations produites par l’explosion des inégalités, des frustrations, des exclusions. Ce projet ignore délibérément la fabrique sociale de colère, de désespoir et de ressentiment que constituent l’échec scolaire, le racisme, les discriminations à l’emploi, au logement, l’enfermement dans des territoires stigmatisés, les humiliations, la précarité. Les adeptes de ce projet considèrent que toute réflexion, toute tentative d’explication de ce type de crise par les conditions de vie est une marque de faiblesse, de laxisme, d’incompétence, voire de complicité avec les casseurs.

Ce projet sécuritaire accompagne efficacement le développement du dogme néo-libéral contrairement à l’idée que le libéralisme économique conforte la démocratie politique libérale.

Selon ce projet, on ne travaille même pas à réduire les inégalités car elles sont inévitables, inhérentes à la société humaine. Dans cette conception, les inégalités sont le résultat de la compétition et de la concurrence qui sont les moteurs du progrès humain. Dans ce contexte de compétitivité mondiale, il faut être performant, tout le monde ne peut pas suivre et on ne fait pas d’omelettes sans casser quelques œufs. Quelquefois, au cœur même de ce projet, la panne de l’ "ascenseur social" est déplorée par des personnes un peu plus compatissantes. En ce moment, Monsieur Azouz Bégag s’efforce de réparer cet appareil, mais il a des difficultés car Nicolas Sarkozy veut des résultats. Or il est assez clair qu’il est plus simple et rapide d’envoyer un jeune de banlieue en prison que de l’aider à devenir collaborateur d’un ministre ou de l’état major d’une grande entreprise, ou bien universitaire. Donc Nicolas Sarkozy a toutes les chances de déployer sa brutale efficacité dans un délai assez court. Azouz Bégag lui en est réduit à commenter la situation.

Toujours dans cette conception, les classes les plus pauvres sont porteuses de risques, elles ont tendance à refuser les règles, elles ont besoin d’être encadrées par les autorités. Souvent, toujours bien sûr dans cette conception, elles sont pauvres parce qu’elles ne veulent pas travailler, pas prendre de risques et manquent de mobilité. Elles ont tendance à profiter des politiques d’assistance et plombent donc la compétitivité de ceux qui foncent vers l’avenir. Il faut les surveiller, vérifier si elles-mêmes et leurs enfants cherchent bien du travail. D’ailleurs, depuis longtemps, la tradition de la planification du développement des villes françaises installe ces classes en banlieues et il y a souvent des problèmes dans ces lieux.

Nicolas Sarkozy veut nettoyer les banlieues. Le préfet Haussman avait déjà fait percer dans Paris les grands boulevards pour assainir le centre ville, "pour y voir clair". Leur largeur permettait d’installer 8 ou 9 pièces d’artillerie en parallèle car la racaille de l’époque était portée à s’insurger et dans les petites ruelles, elle pouvait mettre la pagaille puis s’échapper par les traboules et les passages secrets.

De même, dans le projet de société dont Nicolas Sarkozy est adepte, les espaces publics sont placés sous le contrôle de la vidéosurveillance.

Et d’ailleurs, tout cela se précise. La "sûreté" avance à grand pas dans l’approche des problèmes des villes. Les projets d’urbanisme, la conception des espaces publics intègrent de plus en plus la vision sécuritaire de la société, on voit apparaître des préconisations de nature à mettre les villes en état de siège permanent (voir le rapport Benisti).

Nicolas Sarkozy est-il seul à porter ce projet politique au plus haut niveau des institutions ? Un ministre de "gauche" avait parlé de "sauvageons" (vocabulaire peut-être plus soft, mais finalement avec une consonance coloniale assez choquante) et semble aujourd’hui confirmer son propos. Et quand on fait le tour des sites Internet des villes française, de droite et de gauche, on découvre la plupart du temps que le dispositif le plus réactif est non pas celui de l’aide aux sans toits, aux sans droits, aux isolés, aux faibles, mais celui qui permet de veiller à la sécurité des espaces publics : Une zone d’ombre, un groupe suspect, un banc public mal occupé, appelez-nous !

Les budgets que les villes consacrent aux polices municipales, à leur fonctionnement et à leur équipement, à la vidéo surveillance, augmentent. Il y a aussi dans ce domaine beaucoup d’investissements privés. On est donc bien en présence, non pas d’un dérapage médiatique choquant, mais de la mise en œuvre d’un projet d’organisation des relations entre groupes sociaux et entre territoires.

Il s’agit bien de nettoyer, comme l’a dit M. Sarkozy. Ce mot avait été utilisé par des militants du droit au logement à propos des premières démolitions médiatisées d’immeubles dans certains territoires de banlieues : nettoyage ou renouvellement urbain demandaient-ils, ils ont maintenant la réponse.

A cette inquiétante conception de la société, il faut avec opiniâtreté opposer le développement de la démocratie et la participation citoyenne à la gestion de la cité, de tous les territoires qui la composent. Il faut revendiquer la participation citoyenne à la conception de l’action publique et de son financement. Une autre ville que la ville sécuritaire est possible : celle des expériences partagées, celle où l’autre n’est pas un danger mais un partenaire, celle où les différences n’opposent pas mais sont l’occasion de construire une culture plus universelle. Celle que portent les multiples collectifs d’habitants, de jeunes, qui travaillent au quotidien pour rendre la vie possible, qui travaillent sans cesse à la recomposition collective du tissu social.

La réappropriation de la gestion des villes et des espaces par leurs habitants, voilà la réponse moderne à la crise des quartiers. La co-élaboration des projets et des actions avec les citoyens est aujourd’hui une nécessité largement reconnue. Les problèmes des services publics de proximité, de l’emploi, de l’espace public, de la culture, de la lutte contre l’échec scolaire et l’exclusion, de l’habitat, doivent être étudiés en partant du sujet, c’est à dire avec les personnes concernées. On ne peut plus construire les solutions aux questions sociales sans la participation active des intéressés c’est à dire de ceux qui sont systématiquement exclus de tous les débats.

Il faut développer une approche citoyenne des territoires qui respecte à priori leurs richesses humaines et qui s’appuie sur les multiples collectifs d’habitants et de jeunes qui travaillent au quotidien pour rendre la vie supportable. Sans eux, sans leur énergie, sans leurs connaissances, sans leur créativité, rien n’est possible. Ce sont eux qui peuvent construire les solutions, leurs solutions. Il faut leur donner les moyens de les mettre en œuvre. Il faut donner des moyens pour transfigurer les lieux de misère à ceux qui en sont capables, leurs habitants.

Plutôt que de vouloir sans cesse restaurer "l’autorité" et plutôt que de s’acharner sans succès à réconcilier des "citoyens exclus" avec des institutions qui confisquent tous les pouvoirs, travaillons à en construire de nouvelles avec eux.

Travaillons à construire de nouvelles institutions qui permettent à toutes et à tous de s’approprier le fonctionnement de la société. Mettons en place des mécanismes, des outils et des canaux garantissant une participation effective de tout citoyen. C’est la seule politique qui peut permettre de dégager un intérêt commun à tous.

Travaillons à construire de nouvelles formes d’autorités publiques citoyennes et démocratiques orientées vers la production de justice sociale et de rencontre autour d’intérêts communs, d’un intérêt général légitime. C’est possible car en France, en Europe et ailleurs, beaucoup de travail a été fait pour repenser la démocratie délégataire, pour développer des formes de démocratie participative à tous les niveaux, pour développer le contrôle citoyen, sur la définition des priorités et sur l’allocation des budgets publics.

Le déferlement de discours sécuritaire ne doit pas masquer la recherche en cours pour mettre les institutions et les instances de gestion en adéquation avec les aspirations des citoyens. Cette recherche est animée et portée par de nombreux collectifs, mouvements, des responsables administratifs, des élus. Dans des villes, des quartiers, on commence à imaginer des instances nouvelles permettant de débattre, d’expérimenter, afin de mettre en oeuvre les projets issus de "l’art de faire" de la société.

Des expériences prometteuses sont en cours et beaucoup de travail a été fait pour repenser la démocratie. Elles reposent bien sur une autre vision de la vie en société que celle de Nicolas Sarkozy. Il faut les faire connaître, échanger et réfléchir ensemble pour avancer.

Raymond Vasselon