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Loi contre le voile : quelques prises de position discordantes

P. Malartre, K. Livingston, N. Mamère, J. Fraysse...

samedi 14 février 2004

Paul Malartre, secrétaire général de l’Enseignement Catholique

30/1/2004 - Comment doit à notre avis se positionner l’Enseignement catholique français dans le débat de société qui mêle, parfois d’ailleurs très confusément, le voile, les signes religieux et la laïcité à l’école ?... 

"(...) Le glissement qui nous a le plus étonné est celui du voile
islamique à une certaine conception de la laïcité. La laïcité, à partir de
ce point de départ, est alors présentée comme "l’absence de". Nous ne
pouvons pas partager l’idée, exprimée encore récemment, que "les
différences éthiques, culturelles, religieuses n’ont pas leur place à
l’école". Ne risque-t-on pas d’en arriver alors à une laïcité aseptisée où
la non-différence apparente en serait le critère rassurant ? L’école ne
doit pas être le lieu où l’on gomme artificiellement les différences, où l’on
souhaite des élèves standardisés.
(...) La laïcité, et l’école comme l’un des lieux de son expression, nous
paraît être au contraire l’accueil et le respect des différences."

Ken Livingstone, maire de Londres dénonce l’« épouvantable législation » antivoile.

Au moment où les députés français votaient la loi d’exclusion, "Ken le rouge" organisait une "conférence contre l’interdiction du hijab". Entouré de leaders de toutes les confessions, ainsi que de plusieurs femmes voilées, il a accusé « la droite traditionnelle française » de vouloir capter « le vote antimusulman ». « Chirac joue à un jeu très dangereux » dont seuls « Le Pen et l’extrême droite sortiront vainqueurs ». Dans la foulée, un rabbin, un pasteur et des défenseurs des droits de l’homme ont fustigé « une mesure terrible » et surtout « incompréhensible » de ce côté-ci de la Manche.

Intervention de Noël Mamère, à l’Assemblée nationale, le 5 février

"(...) Il y a des controverses qui transcendent les frontières rigides des groupes parlementaires et des opinions tranchées. La discussion parlementaire d’aujourd’hui en fait incontestablement partie. Elle pèsera de tout son poids sur la société. Et ceci est le premier paradoxe de notre débat : alors que la République n’arrive pas à résoudre les problèmes majeurs de notre société : chômage, pauvreté, précarité, crise écologique, elle prétend légiférer pour s’imposer de manière brutale à une partie de ses enfants. Les proportions prises par la « crise du voile » en France étonnent tous les observateurs extérieurs. Ce débat franco-français est en effet aussi passionné que confus. Parce que nous refusons de nous inscrire dans la logique de cette loi, nous n’entrerons pas dans les considérations ridicules d’ordre grammatical et sémantique qui font depuis des mois le bonheur des gazettes. Au regard des enjeux qui sont en cause, la bataille d’Hernani autour des mots « ostentatoire », « ostensible » ou « visible », frise l’indécence. Le jour venu, quand nous aurons voté, quand les décrets auront été publiés, ce sont les enseignants, les parents, les enfants, quelles que soient leurs opinions religieuses, philosophiques ou politiques qui subiront les effets pratiques de cet épisode lamentable. Pour éclairer ce confus débat, je vais essayer de répondre à deux questions simples. Pourquoi cette loi aujourd’hui ? Quels en seront les effets nécessairement pervers ?

- Cette loi, nous la récusons, d’abord, parce qu’elle est une loi de circonstance. Elle survient dans un contexte électoral et contribue au climat délétère qui s’installe dans notre pays. Cette loi n’avait rien d’urgent et la République n’était pas menacée à Aubervilliers par deux jeunes filles. Depuis 1994 et la mise en place de la mission de médiation de Madame Hanifa Cherifi, ces affaires sont passées de 2.000 à 150 grâce à la libre discussion entre les professeurs, les élèves et les parents d’élèves. Il n’y avait donc aucune urgence à légiférer dans la précipitation. Sauf, si l’on s’évertue à vouloir démontrer à une partie de la population de notre pays que, faute d’avoir résolu les problèmes d’intégration dans les quartiers populaires, faute d’avoir investi dans un Plan Marshall contre l’apartheid urbain et la ségrégation sociale, on s’attaque une fois de plus aux mêmes : les enfants d’immigrés. Cette fois-ci, on change d’angle, si je puis dire, en passant de la répression, version Sarkozy et Perben, à celui de la stigmatisation. Cette loi de circonstance ne profitera pas électoralement à ceux qui l’ont initiée et il ne sera pas difficile d’en identifier le bénéficiaire le Front national à qui nous sommes en train d’ouvrir un boulevard.

- Cette loi, nous la récusons parce qu’elle est une loi d’exclusion sociale. Face à la jeune fille, contrainte ou non, qui a décidé, de porter le foulard, la responsabilité de l’école reste entière, dans la mesure où cette dernière a toujours le choix de remédier à une logique d’exclusion en accueillant l’élève, en la soutenant, en l’aidant à se libérer du poids de l’entourage. En plaçant l’élève seule face à ce dilemme, vous prenez le risque de l’abandonner entre les mains des grands frères et des barbus. Vous la laissez seule face aux agents de son exclusion. Vous encouragez la multiplication des écoles coraniques. De fait, vous agissez contre la laïcité. En entérinant l’exclusion scolaire, vous appliquez une « double peine » à ces jeunes filles et vous devenez de fait, coupable de non-assistance à personne en danger. Ce n’était pas le choix qui avait présidé à la politique de médiation pratiquée jusqu’alors. Nous comprenons bien la difficulté de certains enseignants ou de certains proviseurs à prendre une décision parfois douloureuse, mais nous savons qu’il aurait été possible de renforcer la circulaire par le recours à l’autorité du rectorat en cas d’impossibilité de médiation. Le choix d’une loi discriminatoire ne règlera rien. Bien au contraire. Son interprétation va donner lieu à une guerre sans fin et le principe de l’éducation pour tous aura été bafoué. Parce qu’il permet de soutenir, de protéger et d’émanciper les plus fragiles, le droit à l’éducation pour tous et toutes est un acquis démocratique que vous êtes en train de remettre en cause.

- Cette loi, nous la récusons parce que, sous couvert de laïcité, elle détourne les principes de la laïcité. Cette dernière, définie par les lois de 1881, 1882, 1886 et 1905 constitue une garantie pour la liberté de conscience et l’émancipation des femmes et des hommes, en dehors du dogme religieux. C’est une obligation qui concerne les locaux, les programmes scolaires, le personnel enseignant et non les élèves. Aux élèves s’imposent des règles comme l’assiduité à tous les cours (par exemple la gymnastique ou la piscine) comme le respect d’autrui, mais il n’est pas légitime de multiplier les exigences pour les jeunes qui viennent à l’école afin d’apprendre, de se former et de se construire. La présente loi ne vise pas à laïciser les institutions mais à exclure les individus, en les privant du droit à l’éducation. Cette loi ne se rattache pas à la laïcité mais à la tradition de l’anticléricalisme qui s’en prend à la deuxième religion de France. Dans notre pays, la communauté musulmane n’est pas homogène - d’ailleurs, y a-t-il une communauté musulmane ? - et l’acharnement contre quelques croyantes qui ne demandent qu’à étudier au sein de l’école laïque jette dans les bras des imams radicaux des milliers de jeunes filles qui, pour la plupart, auraient pu s’intégrer normalement après quelques années d’études. Il y a bien, ici, affrontement entre une laïcité ouverte, moderne, émancipatrice et un intégrisme laïc qui veut isoler dans un cocon la jeunesse de ce pays au nom d’une société abstraite. Dans ces conditions, Monsieur Ferry aurait du aller jusqu’au bout de sa logique en rétablissant l’uniforme ! Aujourd’hui, la laïcité et l’égalité dans l’école sont bien plus menacée par la marchandisation et l’introduction massive des marques que par quelques foulards et bandanas.

- Cette loi, nous la récusons parce qu’elle est une loi d’exception, discriminatoire, visant de fait une seule religion. Ce ne sont pas " les signes religieux " que vous visez ici (la kippa ou les grandes croix ne sont que des alibis), c’est une loi sur le voile et sur l’islam, deuxième religion de France pratiquée par près de 5 millions de nos concitoyens. Il faut pouvoir le dire clairement : si cette loi ne sert pas la laïcité, elle alimente l’islamophobie ambiante en stigmatisant, une fois de plus, une fois de trop, les musulmans et, de fait, une grande partie des jeunes issus de l’immigration, expression écran pour ne pas dire issus de nos anciennes colonies. Monsieur Darcos l’a d’ailleurs illustré le mardi 14 octobre quand, évoquant l’affaire d’Aubervilliers, il déclarait avec des accents dangereux : " Si l’on n’aime pas la république française, il faut aller ailleurs ". Il parlait pourtant de deux enfants nés en France, de nationalité française, dont les arrières grands parents et les grands parents ont servi la France... Il n’a fait que contribuer à la diffusion de la méfiance généralisée dont les signes inquiétants se manifestent ostensiblement : ici, c’est un commissariat qui refuse de recevoir la plainte d’une femme voilée, là une banque, ailleurs un médecin qui refuse l’entrée de son cabinet aux femmes qui portent un signe religieux musulman...Vous êtes en train de manipuler un bâton de dynamite et vous attisez attisent le feu de la haine qui couve dans nos banlieues.

- Cette loi, nous la récusons, parce qu’elle renforce la fracture coloniale dont notre pays a tant souffert. Les conditions dramatiques de la décolonisation de l’Afrique du nord et tout particulièrement de l’Algérie continuent de diffuser leur onde de choc dans la société française. Des millions de personnes ont vécu ces évènements dans leurs chairs (algériens immigrés, harkis, pieds noirs et juifs, soldats du contingent français), des millions d’autres, les descendants des immigrés, algériens, tunisiens, marocains, en subissent toujours douloureusement les effets. Il s’agit donc non seulement du passé de la France coloniale et de l’outremer, mais aussi de son présent. La persistance d’un racisme post-colonial a pris en France une dimension particulière qui devient très intime et donc très violente et complexe, pour les originaires d’Afrique du nord et tout particulièrement d’Algérie. Ils constituent aujourd’hui, la majorité de la communauté juive de France et l’énorme majorité des musulmans de notre pays. Cette fracture coloniale, à l’origine du racisme anti-arabe, explique en partie pourquoi la question du voile est devenue récurrente en France contrairement à ce qui se passe dans le reste de l’Europe, où ce problème est géré plus sereinement.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, si la société française veut sortir par le haut de l’impasse dans laquelle ce débat l’a jetée, il faut partir d’un constat : l’arbre du voile masque la forêt du recul de l’intégration. Sa mise en scène illustre le développement réel du communautarisme et de l’ethnicisme dans les quartiers populaires. Mais on ne combattra pas ces pratiques, ni l’oppression des femmes, par l’exclusion de quelques jeunes filles des lycées de la République. Nous ne devons pas rester passifs face à ceux qui veulent restreindre d’une manière ou d’une autre la liberté des femmes. Partout où l’émancipation et le droit des femmes sont menacés, nous devons combattre avec fermeté. Comme nous avons combattu contre l’excision ou pour le droit à l’avortement libre et gratuit. Plutôt qu’une loi d’exclusion, travaillons à un Pacte national contre les discriminations qui comprendrait à la fois la reconnaissance du droit de vote pour tous les étrangers extra communautaires, la lutte contre les ghettos adossée sur un financement massif du logement social, sur des mesures contre la discrimination dans le logement, le travail et les loisirs, sur la lutte contre les violences imposées aux femmes et sur la protection des jeunes filles menacées et contraintes. Ce pacte devrait être une priorité nationale. Il s’inspire du rapport de la Commission Stasi dont le constat était clair : ce sont les discriminations raciales et sociales qui sont la cause de la montée du communautarisme et non l’inverse. Votre loi trahit le rapport Stasi, elle jette un voile pudique sur votre politique de régression sociale et de recul des libertés...Mais la réalité du mal français est là. En l’ignorant, vous prenez le risque de la déstabilisation et de l’explosion sociale. Un jour, il vous faudra rendre des comptes. "


Jacqueline FRAYSSE députée-maire de Nanterre, le 6 février à l’Assemblée Nationale

Débat sur les signes ostensibles à l’école : la laïcité, un principe à défendre et à développer dans notre société

Dans les jours qui viennent, l’Assemblée nationale devra se prononcer sur le
projet de loi interdisant les signes religieux « ostensibles » à l’école. Je
sais que des discussions, parfois passionnées, ont lieu entre collègues de
travail, entre élèves, dans les familles ou entre amis. À l’occasion du débat au Parlement, j’ai souhaité vous donner
mon point de vue.

Séparation des Églises et de l’État, liberté de conscience, pluralisme
religieux pacifique, confrontation des idées dans le respect de l’autre sont
autant de progrès obtenus par les défenseurs de la laïcité qui se retrouvent dans la loi de 1905.

La laïcité c’est aussi le mariage civil, l’autorisation du divorce, l’école
publique, l’exercice légal de la médecine, la légalisation de l’IVG... qui
sont autant de valeurs inclues dans le patrimoine culturel et social de notre pays.

La loi proposée par le gouvernement permettra-t-elle de garantir l’existence
de tous ces acquis ? Je ne le pense pas. Sous couvert de défense de la laïcité, ce texte ne vise qu’à stigmatiser le port du voile, par des jeunes filles, à l’école
publique.

Je combats le port du voile comme une obligation faite aux femmes de cacher
leur corps et leur féminité. C’est pour moi l’instrument d’une domination inacceptable.
Je considère indispensable, que soit mené, avec toutes et tous les
intéressés, un débat sans complaisance pour faire évoluer des comportements
dont les femmes sont les premières victimes.

Avec la même vigueur, je refuse de réduire l’islam à ces pratiques.

Ce projet de loi a déjà pour conséquence de flatter les dérives populistes
qui alimentent l’extrême droite et les intégristes. Au bout du compte, loin
de faire reculer les conservateurs et de faire progresser les droits des femmes, ce texte comporte le danger d’aboutir à l’inverse.

La montée des intégrismes est une question complexe. Il est dangereux de la
limiter au seul intégrisme musulman ; récemment, devant l’Assemblée
nationale, des intégristes catholiques manifestaient pour la remise en cause
de l’IVG. L’entreprise de stigmatisation de la seule religion musulmane
risque de jeter dans les bras des intégristes ceux qui ne le sont pas.
L’immense majorité des musulmans vit sa foi dans le respect des lois de la
République, le principe de la liberté de culte doit s’appliquer pleinement à leur
religion, comme l’a d’ailleurs préconisé le Haut Conseil à l’Intégration.

Notre pays est fort quand il sait s’enrichir de la diversité des cultures de
ses habitants.

Aussi, il ferait bien de reconnaître la citoyenneté de résidence. Les
étrangers, quelle que soit leur nationalité, doivent avoir le droit de voter
dans le pays où ils vivent. À cet égard, je regrette vivement que le
gouvernement de gauche n’ait pas accordé le droit de vote et d’éligibilité aux étrangers. La droite a rejeté cette proposition au début de cette
législature. Comme je l’ai fait l’an passé, en organisant un débat sur ce
thème dans la circonscription, je continuerai à agir pour que ce droit légitime leur soit reconnu.

Quand on sait qu’en 2003 le gouvernement a gelé plus du quart des crédits
accordés au Fonds d’Action de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre
les Discriminations (fasild), on mesure le cynisme dont il fait preuve concernant les atteintes aux droits des femmes immigrées. Or ce fonds sert, notamment, à financer des associations qui assurent la socialisation des femmes.

Il y aurait beaucoup à faire pour l’égalité et les droits des femmes -pas
seulement des femmes musulmanes- car les discriminations à leur égard sont
nombreuses dans notre société. Par exemple : retraites et salaires plus bas à qualification égale, moindre
accès aux postes de responsabilité dans les entreprises et les administrations et seulement 13,83 % de femmes élues à l’Assemblée nationale.

Notre pays a besoin d’un grand débat sur la laïcité, sur l’immigration et
sur les droits des femmes, dont devraient découler des mesures de progrès
social, ambitieuses. Tout confirme que ce n’est pas la démarche envisagée
par le gouvernement. La loi qu’il propose est inacceptable. Pour cette
raison, je voterai contre.