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Pérégrinations

Petite chronique météo

mercredi 6 septembre 2006, par Mohamed Chouieb

A ses collègues qui, devant la machine à café, se demandaient si le beau temps allait tenir jusqu’au week-end, il répondit que oui puisque la veille il avait téléphoné en Algérie et il a su que là-bas, le temps était plutôt à la chaleur. Ce qui, d’ailleurs, n’était pas étonnant pour une fin août, même en cette période de chamboulements climatiques exacerbés. Cette réponse lui valut quelques ricanements amusés, personne n’y voyant de rapport avec le temps qu’il fera en France, en Europe... Et puis, tout le monde sait, merci la Météo, que l’air chaud et le beau temps ne viennent que d’Espagne. Qu’est-ce que l’Algérie a y voir là-dedans ?
Il a l’impression d’être paranoïaque mais, pour lui, il ne fait aucun doute qu’en France, il y a de la discrimination même dans la météo.
Quand il s’agit de l’air froid , la télé montre très bien l’ensemble de la masse d’air se dirigeant vers l’Europe, recouvrant parfois de son immensité l’Océan Atlantique, le Groenland, l’Alaska et même le Pôle Nord.
L’air chaud, quant à lui, les images satellites le concernant viennent rarement d’en dessous du détroit de Gibraltar, comme s’il était inconvenant de montrer qu’il vient de cet immense four solaire de 8 millions de km2 (15 fois la France) qu’est le Sahara et que son territoire commence à moins de 600 Km de la partie la plus méridionale du continent européen.

Il se remémora le temps d’avant, le temps de sa jeunesse et des colonies, le temps où la France allait de Dunkerque jusqu’à Tamanrasset, où on lui expliquait à l’école que le climat sous nos latitudes était soumis à deux influences : le front polaire pour l’air froid et le front saharien pour l’air chaud. Où le temps qu’il faisait était fonction de la prédominance d’un des deux fronts sur la zone considérée selon le schéma suivant : polaire = froid ; saharien = chaud ; polaire + saharien = précipitations.
En ces temps-là, il était de bon ton de dire que l’air chaud venait du Sahara puisque le Sahara était la France, c’était chez nous.
Ces temps ont changé. Il y eu la brouille et la rupture sans jamais avoir soldé les comptes. Sous le tapis d’Evian, on a dissimulé les poussières d’un siècle et demi d’une injustice incommensurable : la colonisation.
Et puis, il y a eu l’Europe, il y a eu Schengen et son espace. Schengen qui a abattu les murs à Berlin et érigé des grandes murailles au Sud. Il y a eu le délire mystique des Américains, toujours en quête de l’ennemi providentiel afin de tracer la ligne de son axe du mal. N’ayant plus d’ennemi à l’est, il s’en est fabriqué au sud. Il y a eu l’ouverture de l’Europe sur l’Est avec pour uniques critères la couleur de la peau et la confession, cette dernière érigée au rang de valeur. Au point qu’au fil des ans, le terme Occident ne désigne plus l’Ouest mais l’Ouest blanc chrétien. Comme si, sur les mêmes longitudes, n’y avait plus de pays plus au sud que l’Espagne.
Dans ce monde cloisonné, muré, classé, fiché, tracé (de traçabilité...) il est normal que l’air que "l’Occident" respire ne provienne que de l’intérieur de ses frontières.
Pas de problème pour l’air froid. Il est clair qu’il a nos valeurs. C’est d’ailleurs lui qui nous donne cette peau si pâle que le monde entier nous envie...
Pour l’air chaud, c’est un peu plus compliqué. Qu’à cela ne tienne ! Désormais, comme pour les bananes de Hollande, l’Europe produira son air chaud en Espagne. Vous comprenez, ça évite les infractions et tout ce qui gravite autour.
Imaginons que ces crève-la-faim du Sud apprennent que l’air chaud remonte du fin fond du Sahara jusqu’en Islande et vous verrez le nombre de clandestins qui vont débarquer avec. Déjà qu’ils sont assez fous - courageux... non ? Ah bon...- pour faire des traversées entassés par dizaines sur des rafiots et même pris des compartiments de train d’atterrissage d’avions de ligne et fait six heures de trajet à moins soixante degrés pour débarquer chez nous ! Bon, ce n’est pas parce qu’ils sont arrivés souvent complètement morts qu’il faut négliger la menace !
Et puis, cela fait désordre de dire à ses citoyens si bien soignés, si bien nourris avec des produits parfaitement tracés, si bien protégés, que l’air chaud, celui qui leur fait voir la vie avec plein d’optimisme, provient du Sud où il a déjà été respiré par des millions de poumons d’êtres décharnés, faméliques et, qui plus est, à la peau souvent très foncée. Non, vaut mieux dire que l’air chaud vient d’Espagne.
Ce n’est pas pareil pour celui qui vient de l’Atlantique, Nord de préférence. Cela sous-entend qu’il est bien né chez nos cousins d’Amérique, qu’il a traversé l’océan qui l’a chargé d’éléments bienfaisants, qu’il s’est imprégné de ses bienfaits et qu’il est le bienvenu. Nous n’avons rien à craindre. Il a déjà nos valeurs.
C’est comme pour Nicolas. Il ne viendrait à l’idée de personne d’insinuer que c’est un fils d’immigré dont il faut mettre la francité à l’épreuve pendant cinquante ans avant de lui confier des responsabilités. Et puis, ce n’est plus un fils d’immigré puisque maintenant, la Hongrie est en Europe ! Ce n’est pas pareil pour Kamel (d’ailleurs l’ordinateur me fait remarquer de son trait rouge que ce prénom ne peut être français...). Kamel dont l’aïeul est mort à Verdun, dont le grand-père s’est crevé à enrichir le colon et le père est éclopé après avoir vissé le même boulon pendant quarante ans. Kamel peut nous trahir à tout instant, il n’a pas nos valeurs.

Mohamed Chouieb

Messages

  • Mohammed Chouieb. J’ai découvert votre verve et cette bonté qui émane des hommes de raison. Mais comment pouvez-vous apparaître si serein en étant si torturé ? Je ne peux m’empêcher de vous idéaliser et ce sentiment émane d’une confiance que l’on ressent sans l’expliquer. Vous avez raison pour tant de choses sauf pour une : je suis le blanc d’occident mis à l’index par votre pensée idéale MAIS j’aime l’humanité qui espère. Tous les "Sahariens" que je croise, je sais les voir avec les yeux du coeur et j’ai du mal quand vous caricaturez ce monde qui, au fond, malgré votre finesse, vous ne voyez que manichéen. Ces derniers jours, Adil, Atika, Mounir me rappellent que, dix ans plus tôt, ils ont partagé des moments forts dans ce goulag, qu’ils en sont devenus plus optimistes et que pour eux c’est aussi cela le progrès. Qu’il est long le chemin qui reconciliera les hommes...
    Amitié
    Florent