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Un livre brulant d’actualité

Eva Joly : " Est-ce dans ce monde là que nous voulons vivre ? "

jeudi 5 août 2004, par Raymond Vasselon

Mis en examen par le juge d’instruction Philippe Courroye, Jean-Charles Marchiani a finalement été écroué. La justice s’intéresse aussi à son patron, Charles Pasqua, actuellement visé par cinq enquêtes mais qui, dit-il, "ne se sent absolument pas concerné".
A celles et ceux qui souhaitent mettre en perspective cette actualité pour lui donner tout son relief nous conseillons la lecture du livre de Eva JOLY : "Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ?", écrit en 2003.

J-Charles Marchiani était sorti de l’ombre en 1995 quand Charles Pasqua l’avait nommé préfet du Var.
Depuis 2000 à quatre reprises, le juge avait, en vain, demandé au Parlement européen la levée de son immunité pour trois affaires de commissions. La première, de 1,3 millions d’euros, aurait été versée par une société allemande pour lever des blocages liés à un contrat de vente, au Moyen-Orient, de chars d’assaut Leclerc entre 1994 et 1999. Le second dossier concerne un contrat sur un système de manutention et de tri de bagages, signé en 1991, entre une société privée et Aéroports de Paris. La commission s’élèverait à 1,48 millions d’euros versés sur un compte en Suisse. Dans la troisième affaire, celle des "otages du Liban", Jean-Charles Marchiani était l’émissaire discret, mais officiel, de Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur de l’époque et l’ombre d’une rançon non versée plane toujours. Son épouse, qui aurait bénéficié des largesses d’un des négociateurs, l’homme d’affaires Iskandar Safia, a été mise en examen pour blanchiment aggravé d’argent dès décembre 2001. D’autres commissions seraient visées : dans l’affaire Elf (4,2 millions d’euros) et celle des ventes d’armes à l’Angola, entre 1994 et 1995 (3,5 millions d’euros).

Pour situer cette actualité dans cet espace politico-financier opaque et glauque ou des "décideurs" de haut rang appartenant aux "élites" prennent des décisions dont nous et les générations à venir devront payer le prix, la lecture du livre de Eva JOLY s’impose (" Est-ce dans ce monde là que nous voulons vivre ? " - écrit en 2003).

Le livre commence par une liste de noms, celle de journalistes et de magistrats qui ont payé de leur vie le refus de la corruption et qui sont morts pour avoir fait avec honneur leur métier.

En instruisant pendant sept ans sur l’affaire ELF, Eva Joly a découvert un monde édifiant : caisses noires, prélèvements en tous genres, sociétés écrans en tous genres, dépenses privées somptuaires, paradis fiscaux. Elle a entrevu les boites noires de la mondialisation. Elle a découvert que la grande corruption s’est développée dans les centres névralgiques du pouvoir.

Son enquête sur le pétrole lui a permis de croiser un autre "secteur sensible", celui de l’armement. Avec Lagardère, Dassault, Thomson ou Giat industries, la France est l’un des premiers exportateurs mondiaux d’armements. Plusieurs témoins, lors de l’instruction ELF, ont raconté que dans ce secteur, les commissions allouées atteignent 20 à 40 %.
Dans son livre, Loïk le Floch-Prigent explique : "je sais, concernant les opérations d’armement, que les commissions sont de l’ordre de 25 % à hauteur du marché contre 2.5 % dans le pétrole".

Ces chiffres sont à rapprocher d’une conversation entre Eva Joly et un général français de très haut rang que l’auteur rapporte dans son livre :
"J’imagine que cela ne doit pas être drôle pour vous tous les jours, Madame. Cette agitation, ces pressions, ces menaces... Mais je pense que vous arriverez au bout".
Puis il reprend "ce sera une autre histoire si vous quittez le milieu du pétrole pour approcher celui des ventes d’armes. Chez nous, il n’y a pas d’avertissement : si vous commencez à enquêter, je vous donne 48 heures...".

Si on ajoute à cela que Dassault et le groupe Lagardère se partagent les médias nationaux...

Pendant 7 ans, en instruisant l’affaire ELF, Eva Joly a été surveillée, intimidée et menacée de mort. Mais elle est allée jusqu’au bout.

"En écrivant ce livre, je veux rendre cette histoire à mes contemporains. Et tirer les leçons du scandale. Nous ne pouvons pas laisser la corruption se répandre au cœur du pouvoir. Des hommes et des femmes, à travers le monde ont décidé de porter ce combat avec moi : c’est la déclaration de Paris. Demain, si nous le voulons, il sera possible d’empêcher d’autres affaires ELF".

Le livre d’Eva JOLY montre que la grande corruption est au cœur "des affaires communes" et non en marge : "La grande corruption est toujours présentée comme une dérive accidentelle, un dérapage, et non comme le système qu’elle est devenue".

"Ma conviction, nous dit-elle, est qu’il existe une question de la corruption liée à la mondialisation, tout comme les démocraties occidentales ont dû affronter une question sociale à la fin du 19ème siècle, avec l’essor de l’industrie lourde".

Son analyse des paradis fiscaux est très pertinente : "La quasi-totalité de ces territoires sont d’anciens comptoirs des colonies britanniques, françaises, espagnoles ou néerlandaises. Ils se sont développés en notre sein. Ils ne sont que des succursales des places boursières de Londres, New York, Tokyo, Francfort ou Paris, là ou bat le cœur de la finance. Le double jeu n’est pas innocent. Comme si une certaine opacité était nécessaire pour garantir des marges que la transparence érode ? C’est un détournement du droit, un abus politique dont les générations à venir devront payer le prix".

Sa réflexion sur la fonction de la justice nous concerne :

"En luttant contre la grande corruption, nous ne cherchons pas à détruire des hommes intrinsèquement mauvais, mais à rétablir l’équilibre entre le faible et le fort. Rendre la justice est une forme de création, qui apaise les souffrances et prévient des malheurs évitables".

Eva JOLY est actuellement conseiller auprès du ministre de la justice et du ministre des affaires étrangères de Norvège. Elle anime le combat international de l’appel de Paris.

La déclaration de Paris énonce trois principes :
- La transparence est le corollaire de la liberté.
- La mondialisation judiciaire est indispensable à la mondialisation économique.
- Le crime des élites est une atteinte aux intérêts supérieurs de la nation.

Pour consulter le site et signer la déclaration de Paris

C’est un travail de courage et d’espoir qu’il faut donc lire et qui est toujours brûlant d’actualité.
Car la plupart de ceux que son enquête avait démasqués sont libres et vivent bien.

Raymond Vasselon.

Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ?  : le livre d’Eva Joly (avec Laurent Beccaria) est publié aux éditions Les Arènes, 352 pages /19,90 euros.
Existe aussi en 6 CD audio - 35 euros, toujours aux éditions Les Arènes.

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