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Faire advenir le salariat pour en finir avec le capitalisme !

Tentative de synthèse de l’intervention de Bernard Friot, auteur de « l’enjeu des retraites » - 19 Octobre 2010 à St-Etienne.

vendredi 17 décembre 2010, par Laure Clerjon

J’ai essayé de préparer une synthèse de l’intervention de B. Friot, le 19 octobre au Remue-Méninges. Elle n’est pas complète, certainement imprécise, mais je compte sur vous et sur nos échanges pour compléter et préciser ! Précisons d’emblée que les analyses de B. Friot s’appuient sur une expertise économique de la société française.

J’ai choisi d’appeler cette synthèse « Faire advenir le salariat pour en finir avec le capitalisme ! », parce que ce que nous propose B. Friot pour en finir avec le capitalisme, avec les marchés financiers et le marché du travail qui sont deux institutions du capitalisme, c’est de faire advenir le salariat, c’est à dire pour lui la qualification et le salaire à vie pour tous comme un droit politique.

Il dit que c’est possible parce qu’il existe déjà des institutions subversives du capitalisme qui sont issues des batailles passées et qui sont des anticipations puissantes du salaire à la qualification. Il insiste sur le fait que nous devons les voir, les reconnaître et nous appuyer sur leur réussite pour pouvoir aller plus loin.

Ce que j’ai entendu dans le discours de B. Friot que j’avais jusqu’ici moins entendu ou compris que la critique des marchés financiers, c’est la critique très forte du marché du travail et de l’emploi. J’ai donc envie, avant de m’intéresser aux institutions subversives, de revenir sur cette idée que « l’emploi c’est capitaliste ».

Pourquoi le marché de l’emploi c’est capitaliste :

 Parce que dans le cadre du marché de l’emploi, ce sont les postes qui sont porteurs d’une qualification et non les personnes.  Pour lui, l’emploi nie les personnes comme porteuses d’une qualification.

De plus comme la qualification du poste est définie par l’employeur, - et c’est aussi lui qui décide qui travaille, où, quand, comment, pourquoi ... et finalement,  dans l’emploi, les travailleurs n’ont aucun pouvoir sur le travail. L’emploi fait des travailleurs des « mineurs sociaux » qui vont d’emploi en emploi demander l’autorisation de travailler ! 

Pour lui, le marché du travail crée des demandeurs d’emploi qu’il pousse à se battre « pour le plein emploi » et pour « une solidarité avec les victimes », victimes que le marché de l’emploi a lui même créées.

 Pour lui, parler de « travailleurs pauvres », de « précaires », c’est participer à la logique capitaliste qui nie la qualification des personnes et les réduit à des victimes . L’exigence de solidarité avec les victimes se fait au service du maintien de la dictature de la valeur travail capitaliste (sous la tyrannie du temps de travail abstrait qui caractérise la production de marchandises capitalistes).  Il nous faut donc dénoncer la victimisation ainsi que la solidarité nationale pour la remplacer par une solidarité salariale . Pour imaginer cette solidarité salariale, il faut comprendre ce qu’ont de subversives du capitalisme certaines institutions déjà existantes.

Les institutions subversives du capitalisme :


(Fonction publique, retraite, sécurité sociale)

La fonction publique est une institution subversive parce qu’on attribue une qualification, un grade irréversible, aux personnes et non aux postes (si absence de poste, il y a quand même rémunération).  Le fonctionnaire est défini par son niveau de qualification et non par son emploi. 

Le système des retraites par répartition est une autre institution subversive du capitalisme aujourd’hui. En effet,  les retraités qui bénéficient d’une pension de retraite suffisante , c’est à dire d’un salaire continué suffisamment proche de leur dernier salaire,  sont enfin heureux au travail parce qu’ils n’ont plus à subir l’emploi. Ils ont enfin la liberté d’exprimer leur qualification. 

Pour B. Friot, ces institutions nous montrent que nous pouvons nous passer de l’emploi pour travailler et avoir un salaire. On peut mettre en place un salaire à vie pour tous, salaire qui pourrait être financé par une caisse des salaires, elle-même alimentée sur le même modèle que les caisses de sécurité sociale ou familiale.

Pour mieux comprendre, on a besoin de se mettre d’accord sur ce qu’on entend par travail et par salaire...

Quelques Définitions pour comprendre et pour aller plus loin :


B. Friot insiste sur le fait que « travail » et « monnaie » sont des conventions.

 * B. Friot définit Le travail :  comme une part de notre activité.
C’est la part de notre activité qui a une valeur économique, mesurée par de la monnaie.

L’ensemble de nos activités sont pour la plupart des activités de production de biens et services et représentent ce qu’il appelle la richesse. La richesse d’une société est la somme de ces activités utiles, au service de notre humanisation collective.
Le travail lui ne représente que la part de nos activités auxquelles on accorde une valeur économique et donc qui apparaissent dans le PIB.

Ce qui a valeur de travail a évolué dans le temps et nous avons accordé de la valeur à de plus en plus d’activités utiles non marchandes (par ex. les soins apportés par des religieuses étaient « une activité utile » jusqu’à ce qu’ils deviennent « du travail infirmier »).

 Dans le capitalisme, la transformation d’une activité en travail se fait par l’emploi.  C’est l’emploi qui transforme l’activité en travail et parfois même, non pas des « activités utiles » mais aussi des activités dangereuses, en travail (cf. les professeurs de gestion financière, les lobbyistes, etc...).

 Mais nous avons une autre institution que l’emploi qui pourrait transformer l’activité en travail : c’est le salaire à vie.  Cela marche déjà pour les retraités, en effet c’est parce que les retraités ont un salaire à vie qu’ils travaillent.

D’où l’importance pour lui de reconnaître que les retraités travaillent et que leur pension est un salaire et non un revenu.

En effet si nous considérons que les retraités sont des anciens travailleurs qui ont droit à une pension parce qu’ils ont suffisamment cotisé et qu’ils auraient donc maintenant droit à un revenu pour subvenir à leur besoin de consommation, on tient un discours qui entre dans la logique capitaliste, qui nie les retraités comme travailleurs. Nous devons considérer que les retraités sont payés parce qu’ils continuent à travailler pour le bien commun (« ça c’est voir le révolutionnaire déjà là ! » comme dit B. Friot).

 Vouloir supprimer la fonction publique et les retraites par répartition, c’est ne laisser que l’emploi comme institution qui permet la transformation de l’activité en travail et donner plein pouvoir au capitalisme.

Pour comprendre ce qui permet de payer des activités non-marchandes et de les transformer en travail, il faut revenir sur les notions de valeur et de monnaie.  

* Valeur - Monnaie :  

On va pouvoir comprendre ça à travers l’exemple de l’impôt.

 L’impôt c’est la reconnaissance de la valeur que nous attribuons au travail des fonctionnaires.  La valeur correspondant à cette monnaie qu’est l’impôt est produite par les fonctionnaires et non pas par les contribuables. Nous sommes a un état de civilisation où nous attribuons de la valeur au « non-marchand ». Dans le prix des marchandises est alors incluse la valeur attribué au travail non-marchand des fonctionnaires : c’est l’impôt.

 De même la cotisation sociale est la valeur que nous attribuons au travail des personnels du soin (infirmières, médecins, etc...) 

 De même les pensions de retraite constituent la valeur que nous attribuons au travail des retraités. 

 Ainsi nous devons faire attention à notre vocabulaire et à notre façon de formuler les choses. Nous devons bien comprendre que ce ne sont pas les actifs qui financent les inactifs, pas plus que le privé ne finance le public, pas plus qu’il y a de la solidarité intergénérationnelle. 

En effet pour B. Friot, il est important de ne pas confondre le flux de monnaie qui va de la marchandise vers les activités non-marchandes, avec le fondement de la valeur de la monnaie, c’est à dire le travail (des fonctionnaires, des retraités, des parents pour les cotisations familiales, etc...).

La valeur de la richesse créée par les fonctionnaires, les soignants, les retraités, transite par les marchandises. Mais ce n’est pas un transfert de valeur, ce sont bien les travailleurs fonctionnaires et autres.... qui produisent la richesse à laquelle est attribuée la valeur correspondant à leur qualification.

Dans son livre, B. Friot développe l’idée que pour sortir de cette confusion il faudrait changer le système de création monétaire et créer de la monnaie à partir de la qualification des salariés et non plus à partir de la marchandise capitaliste... mais je suis bien incapable de mieux expliquer tout ça !

 * PIB :  

 Le Produit Intérieur brut correspond à « ce à quoi nous attribuons de la valeur ».
Le produit Intérieur Brut représente la valeur ajoutée apportée par notre travail collectif, c’est à dire la somme des valeurs ajoutées de toutes les entreprises.
 

Le mouvement historique du PIB est d’attribuer progressivement de la valeur à une production qui jusqu’ici n’en avait pas (cf. travail infirmier). Dans les années 60, on intègre aussi l’activité des fonctionnaires au PIB. Avant, leur activité n’étant pas dans l’emploi n’était pas intégrée au PIB.

Un pays peut avoir une grande richesse, c’est à dire de nombreuses activités utiles produisant des biens et services, et un faible PIB, si on n’accorde pas de valeur économique à toutes ces activités utiles. (Par ex. quand on n’accorde pas de valeur aux services aux personnes âgées qui sont alors pris en charge bénévolement par les familles).

En 2010 en France, nous avons produit 2000 Milliard d’euros.
Ces 2000 milliards sont produits par le travail, il n’y a pas d’autres moyens de produire de la monnaie.
Ces 2000 milliards d’euros se partagent entre salaire (60%) et profit (40%).
(en 1980 c’était 70 % pour les salaires et 30% pour le profit. On a donc perdu 10 % pour les salaires soit 200 milliards...)

Voici un tableau qui résume la répartition du PIB en France aujourd’hui :



Tout est pris sur le travail, que ce soit le salaire, les cotisations sociales ou le profit.
Ce qui est intéressant c’est de savoir au nom de quoi cet argent est prélevé sur le travail :

- Les 550 milliards de cotisations sociales et les 150 milliards de salaires des fonctionnaires échappent aux institutions capitalistes. Ces deux institutions ponctionnent de la monnaie au non du salaire.
- Les 550 milliards pour les salaires du privé sont prélevés au nom de l’emploi qui est une institution capitaliste qui fait que nous n’avons aucune maîtrise sur le travail et qui nous exproprie comme producteurs.
- Les 800 autres Milliards sont pris sur le travail au nom du droit de propriété lucrative.

 * Droit de propriété lucrative - « Investisseurs » - Marchés financiers 

Pour bien comprendre, il faut que nous revenions sur ces notions...

 Avoir un droit de propriété lucrative c’est avoir droit à un patrimoine qu’on ne consomme pas, mais dont on tire un revenu . C’est différent du droit de propriété d’usage, qui est le droit d’avoir un patrimoine que l’on consomme (une voiture que j’utilise, un logement où j’habite).

 Aujourd’hui, quand un investisseur prétend apporter 1 million d’euros, en fait il possède un droit de propriété lucrative qui l’autorise à ponctionner un million de monnaie sur le travail que les travailleurs sont en train de faire. 

Un investisseur a des titres qui lui permettent de ponctionner de la monnaie sur notre travail et de décider à notre place qui travaille, où, quand et pourquoi...
Il faut bien se représenter que lorsqu’un investisseur « investit », en fait il nous vole et nous aliène dans une même opération. Il nous vole parce qu’il ponctionne de la valeur de la production contemporaine, et il nous aliène parce qu’il transforme les producteurs en « force de travail » exploitable qu’il contraint à produire les marchandises qu’il a décidé de produire...

Dans la réalité économique, ces soit-disant investisseurs, ce qu’on appelle les « marchés financiers », ponctionnent bien plus qu’ils n’apportent dans l’économie. Aujourd’hui seule 20% de l’accumulation financière va dans l’investissement, le reste est de la valeur qui part en fumée ( spéculation etc...).

 B Friot insiste sur le fait que l’accumulation financière n’est pas un mal nécessaire que nous devrions accepter et qu’il faut vraiment en finir avec le droit de propriété lucrative. 

Aujourd’hui, le droit de propriété lucrative paye plus que le travail parce qu’il pille les salaires et met donc en grande difficulté le droit de propriété d’usage. Pour B. Friot, l’accumulation financière, le crédit bancaire ou la bourse sont des institutions parasitaires qui peuvent être remplacées en transposant pour le financement de l’investissement l’expérience de la cotisation sociale, c’est à dire par la cotisation économique.

 Pour lui la cotisation sociale à débarrassé notre quotidien individuel des usuriers et la cotisation économique devrait nous débarrasser dans notre quotidien collectif de la bourse et des banquiers. 

Les revendications pour en finir avec les institutions capitalistes...

Pour en finir avec les institutions capitalistes que sont le marché du travail et les marchés financiers, B. Friot propose d’étendre la logique des cotisations sociales et des retraites en créant :

- Une cotisation salariale qui permette de financer un salaire pour tous
- Une cotisation économique pour l’investissement sans aucun taux d’intérêt
- Une hausse des cotisations sociales

Voici à titre d’exemple d’un autre modèle économique possible :


La valeur ajouté est toujours produite par le travail !
  
Mais tout ce qui est pris sur le travail est pris au nom du salaire.
Chaque entreprise cotiserait à hauteur des pourcentages proposés sur sa valeur ajoutée, à des caisses (caisse de sécurité sociale et familiale, caisse des salaires, caisse économique).

 * Quelques conséquences en termes de réorganisation sociale :   

- Chaque personne se verra attribuer une qualification et un salaire comme un droit politique.
- On libère les entrepreneurs de leur fonction d’employeur.
- Les entrepreneurs ne devront plus payer des salaires mais une cotisation « salaire » au prorata de leur valeur ajoutée.
- Les salariés seront payés par la caisse des salaires et non plus par les employeurs.
- Si un entrepreneur (ou un collectif de travailleurs) licencie quelqu’un, parce que cette personne « ne fait pas l’affaire », la personne ne sera pas disqualifiée et ne perdra pas son salaire. La personne pourra aller ailleurs mettre sa qualification en action. Le changement ne passera pas par la case chômage.
- Ça sera l’occasion de se ré-approprier collectivement les questions qu’on nous a confisquées comme : quel travail ? Où ? Quand ? Pourquoi ? ...
Et donc par exemple supprimer les travaux dangereux pour la santé, mécaniser les travaux pénibles, organiser un « turn-over » pour les travaux « fatigants » « dégradants », etc...

Conclusion :

Faire advenir le salariat, c’est attribuer à chacun-e une qualification, c’est à dire un niveau de participation potentielle. C’est lui attribuer un droit politique. Si le salaire est un droit politique, notre citoyenneté s’élargit et ne reste pas confinée dans l’électorat. L’économie devient un élément de notre citoyenneté. Si la préoccupation économique entre dans le champ du politique, la question du partage de travaux « pénibles » par exemple pourra s’assumer par le biais d’une éducation civique enrichie.

Bien sûr de nombreuses questions restent en suspens et à réfléchir, notamment sur les modes d’organisation et de représentation pour les prises de décision quand à l’attribution des qualifications, au choix des productions, à l’organisation du travail, etc...

L’intérêt que j’ai trouvé dans l’analyse et les propositions de Bernard Friot, c’est qu’il libère à nouveau l’imaginaire ! Avant on parlait d’économie politique, mais depuis plusieurs décennies déjà le vocabulaire à changé et on nous parle de « science économique ». Or parler de « science économique » nous fait croire qu’il y aurait des règles économiques contre lesquelles on ne pourrait rien. Cette pensée dominante vise à étioler notre imaginaire politique en limitant son déploiement à l’intérieur de ces fameuses « règles économiques » contre lesquelles nous ne pourrions rien et qui ne sont pourtant rien d’autres que les règles de l’économie libérale.

Les analyses de B. Friot remettent l’économie au service du politique et non l’inverse. Elles nous permettent de réinventer ensemble la société dans laquelle nous voulons vivre. Elles nous permettent de comprendre comment et pourquoi nos utopies peuvent devenir concrètes.

Laure Clerjon
Pour le groupe « travail-travail »

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