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A propos d’agroécologie, après la rencontre avec Silvia Perez-Vitoria... (1)

Pourquoi parler de “retour des paysans” ?

Comment la “modernisation agricole” de la seconde moitié du 20ème siècle a éliminé les paysans. Et comment depuis les années 1990, de “nouveaux mouvements paysans” agissent pour changer la donne...

jeudi 2 mai 2013

Compte tenu de l’impasse - de plus en plus reconnue - de l’agriculture industrielle, l’agroécologie devient un peu à la mode. Dans les discours en tous cas... car cela ne signifie malheureusement pas qu’elle devienne à l’ordre du jour dans les politiques publiques menées dans le domaine de l’agriculture. Voir ce qui vient de se passer pour la PAC 2014-2020...
Il y a même un risque sérieux que les discours sur l’agroécologie deviennent un “supplément d’âme” utilisé pour couvrir en la déguisant une fuite en avant dans l’agriculture industrielle et le néolibéralisme.
Il est donc très important d’approfondir le sujet...
Le 18 janvier 2013, Silvia Perez-Vitoria a parlé de l’agroécologie et du “retour des paysans” lors d’une rencontre à Feurs, à l‘invitation des Réseaux citoyens et de l’ADDEAR, rencontre à laquelle ont participé environ 80 personnes. Nous allons à travers plusieurs articles revenir sur ce qui a été dit lors de cette rencontre...
La première partie ci-dessous fait l’état des lieux, et montre pourquoi on peut parler aujourd’hui de "retour des paysans"...

Le contexte : Pourquoi parler de “retour des paysans” ?
Silvia Perez-Vitoria : “ce retour, ça peut paraître un peu paradoxal puisqu’on continue à avoir un nombre de paysans qui disparaissent, en tous cas dans nos pays, pas forcément au niveau mondial en termes absolus, mais en termes relatifs oui...
Mais en fait, moi je dis qu’il y a un double retour. Un premier retour qui est le fait qu’alors qu’on ne les attendait pas du tout, on peut dire que les paysans se sont invités au banquet de la mondialisation. Et le 2ème retour, c’est qu’on a beaucoup à réfléchir dans nos sociétés sur ce qu’on a fait de l’agriculture et en fait on peut s’interroger sur le fait que peut-être que la question paysanne est au coeur de l’avenir de la planète, tout simplement. Ce n’est pas du tout quelque chose de marginal. Et donc c’est un double retour...

Les différentes “vagues de modernisation” de l’agriculture au 20ème siècle...

Alors pour commencer je ne vais pas vous refaire l’histoire de l’agriculture, mais simplement essayer de brosser très rapidement les grandes étapes de ce qu’on appelle la modernisation agricole et la mise en place d’une agriculture industrielle qui a fait que ces paysans sont devenus, apparemment, marginaux dans nos sociétés.
Il y a eu plusieurs vagues de modernisation.
La première vague a été la mécanisation et la motorisation. Elle a été très inégalement réalisée dans le monde, puisque selon les chiffres officiels il y a actuellement dans le monde 30 millions de tracteurs, 200 millions de gens qui travaillent avec une traction animale, et un milliard qui travaillent à la main. Donc vous voyez que ça a été très inégalement réparti, la mécanisation et la motorisation...

La deuxième grande vague - ça a été surtout après la 2ème guerre mondiale... - c’est la chimisation, c’est-à-dire l’introduction de produits chimiques qui sont venus remplacer les produits naturels, ce qu’on a appelé “la révolution verte”, qui s’est accompagnée également d’une révolution génétique, c’est-à-dire de l’apparition de nouvelles variétés hybrides, qui allaient avec un paquet chimique... On estime que dans le monde il y a à peu près 800 millions de paysans qui utilisent ce genre de semences sélectionnées, et 500 millions qui n’utilisent ni aucune machine ni aucun produit chimique...

Alors en fait, cette industrialisation, ce n’est pas simplement une industrialisation, une modernisation comme ça a pu se passer dans d’autres secteurs, ça a signifié un basculement fondamental de l’agriculture. L’agriculture dépendait de la nature et tout à coup elle s’est mise à dépendre du marché... Et elle est devenue une matière première pour l’industrie agroalimentaire et un débouché pour toute une série d’industries chimiques, d’industries mécaniques etc... Elle a changé de statut dans la société.

L’étape suivante, ça a été la mondialisation. On peut dire que le début de la mondialisation telle qu’on la connaît date de la 2ème guerre mondiale, mais l’agriculture n’est pas tout de suite rentrée dans le libre échangisme, tout simplement parce que les Etats considéraient que c’était trop important pour la laisser au marché. Les Etats considéraient que c’était stratégique d’avoir encore un contrôle sur l’alimentation, et c’est quand les pays occidentaux, c’est-à-dire l’Europe et les Etats-Unis, ont commencé à avoir des excédents du fait de cette modernisation, qu’ils ont décidé de libéraliser, d’ouvrir les marchés, donc en 1986. C’est à partir de 1986 en fait que l’agriculture rentre dans le GATT, dans les accords et dans l’organisation mondiale du commerce, donc très tard par rapport aux autres secteurs.
Et cette libéralisation a accentué le processus d’industrialisation, d’abord parce qu’elle a mis en concurrence des paysans du monde entier qui n’avaient pas du tout le même niveau de productivité - vous pensez bien qu’entre une paysan africain et un paysan de la Beauce, ce n’est pas du tout comparable - et en ouvrant brutalement les marchés on faisait forcément disparaître les plus faibles, donc ça a eu un effet de levier très important dans la destruction de la paysannerie. Et puis la libéralisation va avoir aussi comme conséquence de donner toujours la priorité aux produits d’exportation au détriment des cultures vivrières. Et c’est intéressant de voir que dans l’histoire, il y a une continuité. Au moment de la colonisation, les pays du Sud étaient là pour produire ce dont avait besoin la métropole. Après, on a décidé de les développer, et on leur a dit : pour vous développer, il faut que vous ayez des devises, et pour avoir des devises il faut exporter, pour exporter il faut avoir des cultures d’exportation...
Le “développement”, ça n’a pas conduit du tout au développement, ça a conduit à la dette, parce que c’est ça qui s’est passé : ces pays se sont trouvés endettés. Après on leur a dit : eh bien voilà, pour payer votre dette, il va falloir que vous continuiez à exporter...
Et en plus, on leur a tenu tout un discours - moi je suis économiste et on apprend ça en économie - : vous savez, vous avez intérêt à produire ce pourquoi vous êtes faits, et puis nous on va vous donner ce pour quoi on est fait. Donc vous, vous exportez vos ananas, vos bananes etc, et puis nous on va vous donner les céréales, etc...
Sauf que, comme on l’a vu récemment, quand il y a une crise alimentaire, quand il y a une augmentation des prix, une spéculation à la Bourse, eh bien les gens qui n’ont pas la maîtrise de leur alimentation se trouvent dans des situations de famine et de crise très très graves.

L’effet de la mondialisation, ça a été aussi l’extension de la marchandise à des tas de nouveaux secteurs... C’est le cas du brevet sur le vivant, c’est le cas de ce qu’on appelle actuellement les “services écosystémiques”, c’est-à-dire le fait de mettre la nature littéralement sous forme de marchandises et même sous forme de produits financiers qu’on va mettre à la Bourse. Donc c’est ça aussi la mondialisation : l’extension de la marchandise à des secteurs qui jusqu’à présent avaient pu être préservés.

La mondialisation c’est aussi bien sûr des phénomènes de concentration sans précédent au niveau de l’appareil agroalimentaire. Quand on regarde actuellement la situation du commerce des aliments dans le monde, on s’aperçoit que 74% des ventes d’aliments sont contrôlés par une centaine de sociétés. Vous avez 6 multinationales qui contrôlent 85% du commerce des céréales, 4 qui contrôlent 70% des ventes du café... donc vous avez un phénomène de concentration très très important, qui fait que les producteurs se trouvent dans une situation de très très grande difficulté pour pouvoir commercialiser. Au niveau international, au niveau de la distribution et de la grande distribution, vous avez 3 ou 4 grands groupes qui contrôlent absolument tout ce qui concerne la distribution des aliments dans le monde. Donc ça entraîne pour les producteurs une situation de difficultés très grandes par rapport à ça.

Alors bien sûr, ça ne s’est pas fait comme ça, il y a des organismes qui ont largement contribué à cette libéralisation et à cette mondialisation, qui s’appellent : banque mondiale, fonds monétaire international, organisation mondiale du commerce, et pour nous : Union Européenne. Puisque tous ces organismes là ont tous été d’accord, dès la 2ème guerre mondiale, pour considérer que c’est ça l’idéal, que la richesse vient des échanges, ne vient pas de ce qui est produit, ne vient pas de la qualité, ne vient pas de l’emploi, ne vient pas du respect de la nature, mais vient simplement des échanges commerciaux. Alors ça c’est la situation dans laquelle on est et qui entraîne effectivement ce dont parlait Olivier, c’est à dire les concentrations accrues au niveau de la production, la nécessité d’avoir une masse critique du point de vue des terres et de la production pour pouvoir peser sur les marchés, etc.”

Les dégâts du système d’agriculture industrielle

“Les conséquences de ce système là sont quand même assez considérables.

Bien sûr des conséquences très importantes pour la paysannerie : dans nos pays elle a quand même disparu, et là je reviens encore à mes études d’économie : en économie du développement, on nous apprend - c’est écrit dans les bouquins - qu’un pays développé, c’est un pays qui n’a pas de paysans. Et la meilleure preuve c’est que quand les pays de l’Est sont rentrés dans l’Union Européenne, la Roumanie, ou la Pologne qui avaient 20% ou 25% de paysans, la première chose qu’a dit l’Union Européenne : “il y a trop de paysans, il faut trouver un moyen pour diminuer”. Et je peux vous dire qu’ils se sont évertués à le faire, et que ça marche très bien.
Donc il y a cette idéologie-là qui est très forte, qui est difficile à contrer, qui est tout le temps là, contre laquelle il faut absolument aller parce que c’est justement pour ça qu’on a perdu des paysans...

Alors donc, processus de disparition des paysans... processus de dévalorisation aussi : dévalorisation des savoirs, dévalorisation des connaissances, on a passé les paysans, jusque dans les années 80-90, par pertes et profits. C’était fini, les paysans, c’était fini ! Il y avait quelques “agro-business” et il y avait des scénarios qui disaient : bon, voilà, en France, avec 100 000 agriculteurs très modernisés, placés dans les endroits stratégiques, près des ports où arrivent les produits, etc, et où on peut exporter, ça va être fantastique, on va pouvoir nourrir l’humanité, ça va être génial.
Donc, les paysans étaient passés par pertes et profits. Et les savoirs paysans étaient complètement dévalorisés : c’étaient des experts, des scientifiques, des instituts d’agronomie ... qui décidaient, avec la technique. Il n’y avait plus de savoirs, plus de connaissances, il n’y avait plus rien... Et bien sûr une perte d’autonomie considérable, une perte d’autonomie financière - l’histoire de la modernisation de l’agriculture, c’est l’histoire de l’endettement, parce qui dit endettement dit perte d’autonomie. Perte d’autonomie au niveau technique et au niveau des savoirs, et perte d’autonomie au niveau d’une quelconque possibilité de peser sur les marchés : c’est contrôlé complètement... Donc ça a été une des conséquences pour la paysannerie.

Conséquences pour l’environnement : tout à fait considérables. 70% de l’eau douce sur la terre est consommée par l’agriculture industrielle. On nous dit toujours "faut fermer les robinets" et 70% de l’eau !... D’après les chiffres de la FAO, au cours du 20ème siècle, les 3/4 de la biodiversité cultivée a disparu. Je passe sur les pollutions, les contaminations, les destructions des sols : on estime que pendant la deuxième moitié du 20ème siècle, les 2/3 des surfaces cultivées dans le monde ont été dégradées d’une manière ou d’une autre due aux processus agricoles.
Donc ça c’est des destructions nettes... il faut réfléchir à qu’est-ce que ça veut dire d’essayer de les récupérer, d’essayer de les reconstituer, c’est du temps, c’est de l’effort, c’est une énergie, ça ça n’a jamais été... en comptabilité ça ne compte pas, ça n’apparaît nulle part, cette comptabilité là. Pour vous dire que l’économie, il faut vraiment s’en méfier. ..

En fait, quand on regarde bien ce type d’agriculture : tous les cycles de la nature sont perturbés. Puisqu’en fait le principe c’est de remplacer la nature. C’est à dire se passer de la terre si c’est possible, se passer des climats si c’est possible, se passer de tout ce qui est naturel si c’est possible, donc c’est absolument modifier complètement tous les processus naturels, ça s’appelle la modernisation, ça s’appelle le progrès agricole...
Alors sur le plan climatique ... moi je ne suis pas une grande spécialiste du climat, mais il y a quand même des chiffres : 25% des émissions de dioxyde de carbone, 60% des émissions de méthane, 80% des émissions de protoxyde d’azote, donc aussi un poids considérable pour l’environnement.
Pour l’alimentation : on peut se dire c’est très moderne, c’est fantastique, au moins ça nourrit ... eh bien ça nourrit pas : 1 milliard de gens qui mangent pas et 1 milliard de gens qui mangent trop. Alors ça ne nourrit pas et ça nourrit mal, donc c’est ça le bilan.
40% des céréales qui sont utilisées pour le bétail, et un tiers de la pêche qui sert aussi à l’alimentation du bétail... Et en plus vous commencez à avoir notamment dans nos zones agricoles des baisses de rendement par exemple du blé, qui font que peut-être y compris de ce point de vue là il n’y aura pas de sécurité que la production de blé pourra au moins se maintenir de façon à pouvoir alimenter les populations.
Pour la santé, là aussi je vais passer rapidement... les maladies diverses et variées ... parce que quand même, un des gros arguments, c’était de dire : mais quand même la qualité, on mange mieux, c’est plus sain, c’est plus propre... leur vache folle, salmonellose, listeria, grippe aviaire, j’en passe et des meilleures. Donc même du point de vue de la santé ça pose des problèmes...
Du point de vue de la consommation d’énergie on estime que pour une calorie qu’on mange il y a 13 calories de dépensées, dont la moitié en pétrole. Donc vous voyez, le bilan au total, on ne voit pas trop...
Alors à qui il profite ? Si, effectivement. Il profite à quelques entreprises, des grandes entreprises, quelques agriculteurs, quand même, il y en a quelques uns ... je pense que les gros agriculteurs du Brésil, producteurs de soja, ma foi ça va très bien pour eux. Et dernièrement je voyais des amis du Brésil ou d’Argentine qui me disaient : on ne va jamais les convaincre de changer de système tellement ils gagnent d’argent. Alors pour eux ça va très bien...
Pour les agriculteurs de chez nous, tant qu’il y a les subventions de la PAC, ça peut aller aussi pas mal, pas sûr que ça dure... Mais vous voyez c’est une toute petite minorité de gens, par rapport à un système totalement dévasté, qui ne nourrit pas, qui a détruit, et qui pose des graves problèmes pour l’avenir en termes de santé et d’environnement.

L’émergence des “nouveaux mouvements paysans”

Après "Les paysans sont de retour", en 2005, Silvia Perez-Vitoria a publié en 2010 "La riposte des paysans" (Actes Sud)

Et c’est dans ce contexte là que commencent à émerger ce qu’on pourrait appeler - je mets entre guillemets parce qu’ils ne sont pas vraiment “nouveaux” - mais ce qu’on pourrait appeler des "nouveaux mouvements paysans". Ils sont nouveaux pas parce qu’ils naîtraient de rien : ils sont tous nés à partir de mouvements qui existaient. Toute l’histoire de la paysannerie... les paysans se sont toujours battus dans leur histoire, il y a eu des luttes paysannes dans le monde entier, des syndicats, des organisations, il n’y a là rien de nouveau... mais il y a une recomposition de ces mouvements qui leur donne une coloration un peu différente, qui fait qu’on peut les qualifier de “nouveaux”...
Alors je vais donner quelques dates pour montrer comment ça se construit... Et c’est vraisemblablement d’ailleurs ce phénomène de mondialisation, et la prise de conscience que c’est la dernière étape - parce que la mondialisation, c’est-à-dire le processus de destruction accélérée, plus les pertes d’autonomie très importantes... je reviendrai sur la question des semences, les derniers bastions d’autonomie qui restaient à la paysannerie sont également menacés - donc il y a un sursaut des mouvements paysans.

Alors quelques dates...
En 1984, apparaît au Brésil le mouvement des Sans-Terre du Brésil. Le Brésil sortait d’une dictature, il y avait des ligues paysannes qui étaient très importantes qui ont été complètement décimées par la dictature, mais il restait un problème très important au Brésil qui est l’inégalité de répartition des terres, et c’est sur cette base-là au départ que se créé le Mouvement des Sans-Terre du Brésil.
En 1993 apparaît le mouvement Via Campesina, qui est le mouvement de petits paysans, paysans sans terre, femmes rurales, peuples indigènes... Et c’est la première fois dans l’histoire de la paysannerie, du monde, qu’il y a une organisation mondiale des paysans. Et en plus qui se détermine comme paysanne - parce qu’il en existe une autre, la FNSEA est dans une autre organisation, de gros agriculteurs -. Et là, ce qui est très intéressant c’est de voir qu’en fait on peut dire maintenant que le clivage n’est plus entre le Nord et le Sud, mais il est entre deux agricultures, qui vont du Nord au Sud. Entre un gros producteur de blé de la Beauce et un gros producteur de soja, ils ont beaucoup de choses à se dire. Par contre un petit paysan africain et un petit paysan de la Confédération Paysanne, eh bien ils ont aussi beaucoup de choses à se dire. Et ils ont beaucoup plus de choses à se dire qu’avec les deux autres. Donc en fait, le vrai clivage n’est plus Nord-Sud, il est entre deux types d’agriculture : une agriculture industrialisée et mondialisée, qui travaille sur les marchés internationaux, qui est cotée en Bourse, etc, et une agriculture paysanne, vivrière, multiple, très diversifiée - je reviendrai après sur la question de l’agroécologie - et le clivage, il est là. En tous cas dans l’agriculture, je ne dis pas dans tous les secteurs, mais dans l’agriculture on peut le considérer vraiment comme ça. Et donc ce qui est intéressant, c’est que ce mouvement Via Campesina se détermine comme un mouvement paysan, absolument paysan, dans sa diversité, dans sa multiplicité, et c’est la première fois dans l’histoire du monde paysan qu’il y a un mouvement international qui se réfléchit en tant que mouvement paysan.
Et en 1994, au Chiapas, c’est le soulèvement zapatiste, qui est un mouvement indigène, paysan aussi, et d’autant plus paysan que ces dernières années ils ont travaillé à constituer sur leurs territoires des formes agricoles autonomes justement, agroécologiques, de façon à gagner en autonomie, à pouvoir vivre et à pouvoir se maintenir dans leurs territoires, donc c’est vraiment un mouvement paysan...
Depuis les années 90, on assiste à la multiplication des mouvements, en particulier en Afrique - et on reviendra sur la question de l’Afrique, qui est absolument fondamentale : c’est un enjeu fondamental pour le processus d’avancée de la modernisation et de la mondialisation -, donc il y a une multiplication de mouvements paysans en Afrique, également en Asie, en Amérique Latine, et aussi dans plein de pays ; donc il y a une nouvelle dynamique qui est en train de naître, qui est complètement nouvelle. Pour la France, deux syndicats sont membres de Via Campesina : c’est la Confédération Paysanne et le MODEF...

Alors ce qui est intéressant dans ces mouvements, c’est qu’ils sont sur deux registres : le premier registre c’est un registre de revendications, de luttes : ils demandent des choses, mais pas uniquement : ils mettent en place aussi. Il se trouve que les paysans sont parmi les groupes sociaux qui ont encore une marge de possibilités de faire des changements : un ouvrier dans une usine, quand l’usine ferme, eh bien très souvent il se retrouve à la porte. Un paysan, son marché s’effondre, il va pouvoir peut-être s’adapter, trouver peut-être des formes... Il y a une petite marge de manoeuvre... et cette marge de manoeuvre est utilisée actuellement par les mouvements paysans pour essayer de mettre en place des alternatives.

Alors, sur quels thèmes sont en train de se battre ces mouvements ?

Bien sûr l’accès à la terre et à l’eau, ça c’est quelque chose de très important.
Alors, dans des pays comme le Brésil, ou l’Amérique Latine, depuis la colonisation il y a une inégalité de répartition des terres, c’est très important. Mais vous avez du entendre parler en Inde : il y a une marche très importante des sans-terre d’Inde, qui ont gagné d’ailleurs, qui ont réussi à avoir des terres en octobre de l’année dernière...
Et puis il n’y a pas besoin d’aller si loin : actuellement vous avez deux occupations de terres en Andalousie, en Espagne. Vous savez que l’Espagne est dans une crise très très grave, les gens n’ont plus de travail, et donc vous avez des occupations, il y a un mouvement qui déjà dans les années 80 avait occupé des terres, il s’appelle le SOC - maintenant il parte un autre nom il s’appelle le SAC, mais c’est le syndicat des ouvriers del campo, des ouvriers agricoles, qui dans les années 80 avait fait déjà des occupations de terres et a obtenu un tout petit peu de terres -, et là maintenant ils sont carrément en train d’occuper des terres et en train de mettre en place des systèmes alternatifs de production...

Donc ça c’est très important la question de la terre, et c’est d’autant plus important que comme vous avez dû en entendre parler, on assiste actuellement à un énorme processus d’accaparement de terres par des fonds d’investissements, par des gouvernements comme les Emirats arabes, par la Chine, etc... on parle beaucoup du Mali... moi j’étais il y a 3 ans au Mali, il y avait 100 000 hectares qui avaient été donnés - donnés ! - par le gouvernement malien au gouvernement libyen justement, et en contrepartie de rien du tout, 100 000 hectares dans lesquels travaillaient des centaines de paysans, qui avaient leurs villages, leurs manières de vivre... qu’on a expulsés, on a même détruit les cimetières - comme le disait une paysanne, on ne peut même plus mourir chez nous... En échange de quoi le gouvernement libyen faisait faire par des chinois - vous voyez la multinationale de leur côté est très développée - des travaux hydrauliques, parce qu’on est sur le fleuve Niger, pour produire - j’ai eu le contrat en mains, enfin c’est pas un contrat c’est un don, avec vaguement des clauses, pour produire - c’est écrit d’ailleurs, de l’agriculture industrielle, en fait pour produire des produits d’exportation qui devaient aller en Libye. Alors maintenant qu’il y a la crise en Libye, il y a crise au Mali aussi, mais avant ce qui se passe au Mali actuellement, le gouvernement libyen avait été remplacé par un fonds d’investissement libyen. Donc vous voyez : guerre ou pas guerre, les affaires continuent...
Donc il y a un phénomène très important d’accaparement de terres dans le monde, et donc c’est très très important pour les paysans effectivement de résister, et je pense - pareil, pas besoin d’aller très loin, en Roumanie vous avez exactement le même processus : en Roumanie il y a aussi des agriculteurs européens qui sont en train de prendre des terres - les gens là-bas ne sont pas capables de les cultiver ! - le problème c’est qu’en Roumanie il y a nos produits qui arrivent bien meilleur marché et qu’ils n’ont aucune aide pour pouvoir récupérer leurs terres, donc effectivement, ils sont pas capables de travailleur leurs terres, comme on dit...

Vous voyez, il y a un phénomène très important, et d’ailleurs pas simplement la terre, il y a aussi l’eau derrière. Et en tous cas pour l’Afrique très clairement : pas simplement la terre, il y a aussi des visées de récupérer l’eau. Alors ça c’est donc une lutte traditionnelle si je puis dire des paysans, mais qui prend une nouvelle coloration avec ce qui est en train de se passer actuellement à l’échelle mondiale.

L’autre lutte très importante c’est la lutte pour récupérer les savoirs et les connaissances. ça c’est très important. Comme je l’ai dit tout à l’heure, les paysans ont été dépossédés, en fait, de leurs savoirs, et désormais, comme vous le savez, il faut être certifiés par des organismes pour pouvoir s’installer, pour pouvoir être reconnus comme agriculteurs, et donc actuellement, vous avez... Et c’est là qu’on retrouve l’agroécologie...

 A suivre - (la partie de l’intervention de Silvia Perez-Vitoria sur l’agroéologie sera mise en ligne prochainement)