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A nouveau 20 000 le 4 avril à St-Etienne
L’exigence : abrogation du CPE.
Mais attention à une nouvelle manoeuvre ?
samedi 8 avril 2006, par
Le printemps insiste, et il pourrait aboutir à une vraie victoire de la jeunesse et du peuple. Impressionnant, la puissance et la ténacité du mouvement des jeunes et des étudiants, et le soutien de millions de salariés et de citoyens. Tous les jours des initiatives, un peu partout en France. Et autant de monde dans les manifestations du 4 avril que dans celles du 28 mars, malgré la promulgation de la loi par Chirac et l’annonce de possibles amendements. Du coup, l’exigence a été réaffirmée par l’ensemble des organisations syndicales : abrogation du CPE, d’ici au 17 avril, fin de la session parlementaire...
Comme 257 autres villes, St-Etienne a connu mardi 4 avril un nouveau raz de marée populaire... Le rendez-vous était à 10h devant la gare de Chateaucreux. Rien que ça, ça en dit long ça : des manifs dont le lieu de rendez-vous change d’une fois sur l’autre, pour emprunter des parcours jamais utilisés jusque là, et où il y a un monde fou...
Chateaucreux - Hôtel de ville en passant par la Plaine Achille et Carnot, cela fait à peu près 1 km de plus que la semaine précédente. Pas de problème. Déjà, un peu avant 10h, les rues qui menaient à Chateaucreux commençaient à ressembler elles-mêmes à des cortèges. Et une nouvelle fois la manif est partie à l’heure annoncée pour le rassemblement, des milliers de jeunes en tête. C’est qu’il faut bien faire de la place pour ceux qui arrivent sur le lieu du rendez-vous !
Arrivée dans la Grande rue, une marée humaine. La manif a annexé les trottoirs. Des jeunes partout dans le cortège. Et beaucoup de salariés, avec la présence ce 4 avril de délégations d’entreprises qui n’étaient pas présentes le 28 mars, notamment du privé, avec les différents syndicats. On est là d’abord pour régler son compte au CPE, bien sûr, mais pas seulement, ça se voit bien dans les discussions, les poignées de mains et les embrassades de celles et ceux qui se retrouvent... On a pris des forces, on sent de la confiance et de l’optimisme. C’est peut-être ce qui inquiète du côté du MEDEF et de la droite : le risque de contagion, alors qu’il y a tellement de choses qui ne vont pas...
On est décidé à ne pas lâcher le morceau. Le CPE ne doit pas passer. Et ce n’est pas négociable. Une banderole dit que : "On ne se bat PAS pour VIVRE MIEUX, MAIS pour que ça ne soit PAS PIRE". Autrement dit : on n’a pas l’intention de reculer. A voir sa puissance, on se dit quand même que ce mouvement pourrait bien ne pas se limiter à empêcher le pire...
D’ailleurs, ça commence à bien faire, et c’est dit sur des pancartes individuelles, sur les banderoles, dans les slogans : " gouvernement antisocial", "Dans les lycées, dans les campus, qui sème la misère récolte la colère !", "Villepin t’es foutu, la jeunesse est dans la rue", "Chirac, fais ton sac", "Thiollière, démission !" (la veille, le maire de st-étienne a fait intervenir les gardes mobiles, dans la mairie, contre les étudiants qui manifestaient lors du conseil municipal), et aussi "aux armes citoyens, Sarko a le CPE entre les mains". Prémonitoire ? Et toujours : "A ceux qui veulent précariser les jeunes, les jeunes répondent : résistance !"
Le MEDEF est mis en cause : "Mouvement des Entrepreneurs Désireux d’un Esclavage Forcé", "Travail de nuit moins de 15 ans = esclavage". On continue à recenser les différents sens possibles de CPE. Parmi les nouvelles trouvailles : "Chirac Parisot Escrocs", "Contrat Premier Esclavage", "Contrat Pour nous Evacuer"...
Détermination intacte, donc. Et de plus en plus réfléchie. Combien de millions de discussions "politiques", au bon sens du mot, en quelques semaines ? Toute une génération a peut-être perdu quelques heures de cours mais vient de gagner des années de réflexion sur la société et d’expérience. La jeunesse est l’âme de ce combat et si elle a peu la parole sur les plateaux des médias (où ne sont invités que les membres des "organisations" et "partis"), ce mouvement est le sien et elle le mène dans des formes démocratiques d’une qualité tout à fait nouvelle.
La manoeuvre de Chirac en échec ?
La force des manifestations du 4 avril n’allait pourtant pas de soi après l’intervention de Chirac. Dans les médias et la classe politique, il a beaucoup été question de "l’incohérence" et de la "confusion" de Chirac. Oui, bon. Peut-être pas si fous que ça, Chirac, Villepin et Sarkozy. Soit dit en passant d’ailleurs, au-delà de leurs coups bas pour savoir qui sera n°1, ils sont d’accord sur la politique à mener, et le CPE est leur bébé commun ; et n’est-ce pas Sarkozy qui avait lancé en grandes pompes la pétition de l’UMP pour soutenir le CPE ?...
Et si Chirac avait tout simplement tenté une manoeuvre pour sauver le CPE : déplacer l’affrontement du terrain de la mobilisation populaire au terrain institutionnel ? Celui où les jeunes et les millions de citoyens sont spectateurs, devant leur écran de télévision et les agitations, les petites phrases et les coups bas de la classe politique. Certes ça n’a pas fonctionné comme prévu, et la mobilisation n’a pas faibli, mais le calcul était-il "abracadabrantesque" ?
Promulguée, la loi, déclarée en même temps non applicable, pouvait le devenir dans quelques mois, quand la mobilisation sera moindre. Ils peuvent même accepter des aménagements, s’ils parviennent à sauver le noyau dur du CPE. Par exemple : réduire la période d’essai de 2 ans à 1 an, ça laisse quand même une précarité totale de 16 à 27 ans. Et, "en cas de rupture du contrat, droit du jeune salarié à en connaître les raisons" : ceci laisserait totale la liberté de licencier à tout moment et sans aucun recours, en n’obligeant l’employeur qu’à une simple "information" ou "explication" au jeune.
Le noyau dur du CPE est bien sûr l’extension de la précarité (déjà imposée aujourd’hui à des millions de jeunes) à toute la jeunesse, jusqu’à 27 ou 28 ans. Mais plus encore probablement la possibilité de licencier librement, sans autres formalités, sans règles juridiques, avec tous les comportements d’obéissance et de soumission que cette mesure diffuserait non seulement dans les entreprises mais dans toute la société.
Aujourd’hui, le patronat licencie déjà très facilement : il suffit d’invoquer une faute lourde, ou bien des raisons économiques. L’autorisation administrative de licenciement a été supprimée il y a bien longtemps... Mais il y a quand même des règles, et il faut motiver par écrit, et c’est susceptible de recours devant les prud’hommes. Ils veulent balayer ça. S’ils y parviennent, s’il ne reste que la seule obligation pour l’employeur "d’informer" le jeune des motifs de son licenciement, le CPE sera passé, quel que soit même le nom qu’ils pourront lui donner.
C’est pourquoi l’abrogation du CPE est si importante. Et c’est pourquoi, alors même que certains promoteurs du CPE en viennent à dire : "pas maintenant", on en voit d’autres monter au créneau pour défendre le CPE, et surtout pour empêcher une remise en cause du CNE, qui est un CPE non limité aux jeunes, pour les entreprises de moins de 20 salariés (déjà 400 000 contrats CNE imposés ?)...
Ce qu’ils appellent "la réforme"...
Cette politique, c’est ce qu’ils appellent "la réforme", au sens que les forces capitalistes donnent à ce mot : "l’adaptation nécessaire aux réalités imposées par la mondialisation". Dans cette novlangue, "la réforme" est ce qui va dans le sens de l’adaptation à la globalisation capitaliste, et tout mouvement qui porte les droits humains est qualifié de "conservateur". "La réforme", c’est le "nettoyage" de tout ce qui s’oppose au règne du marché capitaliste : le droit du travail par exemple.
C’est l’objectif de Chirac et de De Villepin. Mais de bien d’autres aussi, car cette orientation n’est pas portée uniquement par la droite, au sein de laquelle Sarkozy veut devenir le chef de cette guerre là.
C’est pourquoi il vaudrait mieux éviter toute complaisance à l’égard de Sarkozy. Ce type là est ministre de l’intérieur - c’est à dire de la police - et chef du 1er parti de la droite. Il est le fer de lance de la dérive sécuritaire. Des centaines de jeunes ont été arrêtés en novembre-décembre et dans les dernières semaines. Il traite la jeunesse des quartiers populaires de racaille. Et il se permet de téléphoner aux secrétaires généraux des syndicats avec une posture "d’homme de dialogue" !...
Sarkozy veut aller bien plus loin que le CPE. Il plaide pour "la rupture". Son attitude ces derniers jours n’est que de la "retraite élastique", de la tactique. Il a déjà annoncé la couleur : De Villepin s’y est mal pris, la période n’est pas optimale. Ce qu’il faut faire, il faut le faire dans les 6 mois suivant l’élection présidentielle : en profiter pour cogner quand tout le monde est sous le choc du résultat.
Sarkozy est dangereux. Il prépare ce qu’il appelle "la France d’après", ultra-libérale et ultra-sécuritaire. On paierait cher toute complaisance avec lui.
Gagner des droits pour tous, et démocratiser la démocratie
Obtenir l’abrogation du CPE semble maintenant possible, si l’intervention de la jeunesse et du peuple se poursuit.
A ce sujet, il n’y a pas que l’UMP pour souhaiter qu’on en revienne à une situation "normale", c’est à dire contrôlée par la classe politique. N’est-ce pas le sens de cette déclaration de Hollande pour le PS : "La mobilisation exprime la volonté d’en terminer une bonne fois pour toutes. Je souhaite que l’on en termine avec ce conflit qui n’a que trop duré, que cette manifestation soit la dernière". Il a certes ajouté : "mais s’ils n’ont pas compris, on en fera d’autres", mais c’est quand même significatif. Cela veut dire : vite, qu’on puisse reprendre la main ! Qu’ils puissent rentrer chez eux ! Et qu’on laisse faire les professionnels !.. Vous reviendrez voter dans un an, quand on vous le dira. Comme si la question était d’abord de remplacer une partie de la classe politique par une autre, et non de trouver des voies pour faire prévaloir les exigences de justice et de liberté de la société.
Dans la même veine, on a entendu aussi pas mal de discours sur la peur d’une situation "incontrôlable“...
Il n’y a pourtant pas que le CPE comme problème à régler. Et l’expérience prouve qu’on ne peut espérer en régler aucun sans cette participation populaire.
La question est posée de mener maintenant le combat pour le respect des droits humains pour tous. Que fait-on par exemple de plusieurs mesures de la "loi pour l’égalité des chances" ? L’apprentissage à 14 ans. Le travail de nuit à 15 ans... Que fait-on avec les jeunes des quartiers populaires qui se sont révoltés en novembre-décembre et dont des centaines ont été lourdement condamnés ? En se mobilisant contre le CPE, les étudiants et les lycéens mènent un combat pour l’ensemble de la jeunesse et le visage de la société demain. Mais que fait-on avec et pour les millions de jeunes qui vivent déjà la précarité totale ?
Les derniers jours ont permis aussi de regarder de plus près le fonctionnement des institutions, de la démocratie.
Le Conseil constitutionnel par exemple. Qu’est-ce que c’est que cette bande de sages qui dit faire respecter le droit et la Constitution en validant une loi institutionnalisant la précarité et discriminant les jeunes ? C’est un organe du pouvoir. Un groupe de serviteurs politiques de ceux qui les ont nommés.
Et qu’est-ce que c’est que cette 5ème République où un homme a des pouvoirs à ce point exhorbitants, qui lui permettent de prétendre imposer quelque chose que les trois quarts de la société ne veulent pas ? Et en plus il existe un projet - Sarkozy - de renforcer les pouvoirs du président !
Voici donc un autre chantier urgent : inventer de nouveaux espaces démocratiques, des institutions qui permettent à la société civile de faire prévaloir ce qu’elle veut, qui fassent que les "élus" se considèrent comme des "chargés de mission" de la société. Pourquoi ne pas s’inspirer un peu du principe politique zapatiste selon lequel les dirigeants ont le devoir de "commander en obéissant" au peuple ? Au lieu d’avoir une classe politique de professionnels obnubilés par la conquête et le maintien au pouvoir, sourds à la société mais pressés de servir les privilégiés et le système...
Vers quoi va-t-on dans les tous prochains jours ? Est-ce que Chirac, Sarkozy et Villepin vont prendre acte de la situation et abroger le CPE, ou bien vont-ils inventer un nouveau stratagème pour transformer leur recul obligé en nouveau pas en avant pour leur politique ?
A écouter certains commentaires, on peut craindre que la "proposition de loi" en préparation pour remplacer l’article 8 (CPE) de la "loi sur l’égalité des chances" cherche à imposer une application du CPE (même rebaptisé) à une partie de la jeunesse : celle qui est aujourd’hui sans qualification, celle qui est déjà dans la précarité la plus totale, qui n’est pas en situation de refuser quoi que ce soit, et sur laquelle ils mettraient en place cette obligation d’obéissance absolue (pouvoir total de licencier, à tout moment et en dehors de toute règle) qui est au coeur du CPE.
Remplacer le CPE pour tous les jeunes par un CPE "pour les jeunes sans qualification" ? Ne pouvant pas imposer l’esclavage à toute la jeunesse de 16 à 28 ans, est-ce qu’ils vont tenter de le légaliser pour la partie de la jeunesse qui subit déjà les plus grandes injustices ? Au nom de son bonheur, évidemment...
Quelque chose de positif quoi qu’il en soit : nous allons avoir dans les prochains jours une discussion à l’Assemblée nationale d’une loi sous le regard de millions de citoyens, alors que dans la démocratie représentative délégataire et partidaire sous laquelle nous vivons, les lois sont faites à l’abri des regards. Et presque tout le monde s’en fout, car personne n’est au courant ni consulté, puisque le pouvoir est confisqué par la classe politique. Cette fois, une brèche a été ouverte dans le système. Il sera instructif de voir qui va proposer quoi. Et on peut continuer à intervenir...
Roger Dubien
Photographies : Jeanne Roux, MC.
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