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Paysans : ce qui est en train de se passer autour du prix du lait...

jeudi 28 mai 2009, par Roger Dubien

Lire la position de la Confédération Paysanne après l’accord qui vient d’être signé le 3 juin entre l’industrie laitière et la FNSEA, et le gouvernement : http://www.confederationpaysanne.fr. Cet accord fixe le prix du lait à 280 euros maximum les 1000 litres en moyenne annuelle. En réalité, pour beaucoup de paysans ce sera 262 euros. 26,2 centimes le litre, au lieu de 33 au 1er trimestre 2009...
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C’est ce jeudi 28 mai à Paris que le prix du lait devrait être revu au cours d’une réunion de “médiation” à laquelle participeront les grands groupes privés de l’industrie laitière, les coopératives, et des représentants de la seule FNSEA (malgré ses demandes répétées, la Confédération paysanne est maintenue à la porte du CNIEL - Centre National Interprofessionnel de l’Economie Laitière - et des CRIEL, les centres régionaux).
Les décisions sont sans doute à peu près prises depuis quelques jours, même si les actions en cours comme celles à l’initiative de la Conf’ dans la Loire et dans d’autres départements pèseront pour pousser un peu le curseur vers le haut (voir quelques photos des actions dans la loire)

Qu’est-ce qui vient de se passer ? Une chute brutale du prix du lait, payé aux paysans entre 20 et 22 centimes d’euros le litre pour avril 2009. Une chute de plus d’un tiers ! (il était au-dessus de 35 centimes à l’été dernier). Pourquoi ? Et au profit de qui ?
Il suffit de regarder les prix à la consommation des produits laitiers, en particulier dans les grandes surfaces, pour vérifier qu’ils n’ont pas baissé, au contraire. Et pas difficile de trouver qui empoche la différence, même si quasiment personne n’en parle...
Pour les paysans producteurs de lait, c’est un désastre, avec des pertes mensuelles qui atteignent souvent dans la Loire 2000 à 3000 euros pour un mois (la moyenne des quotas de production de lait dans la Loire, département qui compte un peu plus de 2 000 paysans producteurs de lait, est d’environ 160 000 litres/an - La Loire produisant annuellement un peu plus de 330 millions de litres de lait). Alors que les remboursements d’emprunts pour payer les installations nouvelles auxquelles ont été poussés les paysans pour tenir le choc ne diminuent pas, eux...

Comment expliquer cette chute du prix du lait ? L’explication donnée est la surproduction, suite à l’augmentation annuelle de 1% par an depuis deux ans des quotas de production (une sorte de droit à produire et à vendre à l’industrie laitière), par la commission européenne, avant leur suppression totale en 2015. Ultralibéralisme. Evidemment le ministre Barnier, le gouvernement français et la plupart des autres gouvernements européens sont d’accord avec cette orientation. Barnier, par exemple, ne s’est pas opposé à l’augmentation des quotas !
La “surproduction” annoncée n’est pourtant pas si énorme que ça : il suffirait de baisser de 3 à 5% les quotas de production pour revenir à un prix du lait payé aux paysans plus correct (en réalité, il faudrait s’occuper aussi ce qui se passe du côté des exportations : car la France et l’Europe inondent des pays du Sud et tuent leurs agricultures avec des exportations subventionnées...). Mais cet excédent fournit le prétexte pour effondrer le prix payé aux paysans. C’est comme pour bien d’autres produits agricoles : seulement une toute petite partie de ces produits s’échange sur le marché mondial (la plupart sont produits et consommés sur place dans le monde), mais ce sont ceux là qui sont utilisés pour fixer les “prix mondiaux”, ce qui permet de ruiner les paysans producteurs...
Ce jeudi donc, le prix va sans doute être augmenté assez nettement au-dessus de 21-22 centimes d’euros le litre. Parce que ce n’est supportable par personne dans le monde paysan. Vers 30 centimes de moyenne annuelle ? Mais la manoeuvre aboutira à ce que ce prix sera de toutes façons très inférieur à ce qu’il était - au-delà de 35 centimes ; déjà pas terrible...-. En attendant d’autres “crises”, puisqu’ils vont continuer à démanteler les quotas.
Le résultat de tout cela, ce sera une nouvelle saignée du monde paysan. Déjà qu’en 25 ans, le nombre de fermes est passé dans La Loire de 8 000 à 4500, et que chaque année 1 000 hectares de terres agricoles sont saccagées dans le département. Au plan national, il y avait 400 000 producteurs de lait en 1984, il en reste 90 000...

Une chose qui est beaucoup moins perçue, c’est : qui profite de ce saccage ? On peut identifier au moins deux grands bénéficiaires : les grands groupes de l’industrie agro-alimentaires et la grande distribution. C’est très étonnant qu’on n’en parle pas plus, d’ailleurs.

- La grande distribution, on le sait, est devenue le secteur dans lequel on trouve une concentration de grandes fortunes. Sa stratégie est simple : vendre (et donc faire consommer) le plus possible. Avec des prix qui le permettent. Et faire des profits les plus élevés possible. Et avec ce qui reste (sous-)payer les producteurs, ceux du monde agricole comme les autres, d’ailleurs.

- Pour ce qui est des grands groupes de l’industrie agro-alimentaire, ça va bien, merci. Dans le lait par exemple, il est instructif de regarder la situation de Lactalis, groupe français devenu l’une des multinationales du secteur. Dans la Loire, Lactalis est le plus gros collecteur de lait, et ce sont les usines Lactalis à Andrézieux et à Balbigny que la Confédération paysanne a bloqué cette semaine (puis aussi l’usine Sodiaal de La Talaudière).
Le groupe Lactalis, qui achète chaque année des entreprises dans le monde entier, c’est 9,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans 148 pays (dont la moitié en France). C’est le 2ème groupe laitier mondial, le 1er fromager européen et français, le 2ème groupe agro-alimentaire français après Danone... Lactalis collecte 9,35 milliards de litres de lait dans le monde, dont environ 5 milliards en France. (voir : http://www.lactalis.fr)
Non, Lactalis et les autres grands groupes de son genre n’ont pas besoin de paysans nombreux, ni intérêt à payer correctement leur travail. Il ne sera pas possible de faire grandir un autre modèle d’agriculture et de société sans remettre en cause leur domination.

Alors bien sûr il y a aussi les coopératives. Comme SODIAAL (usine de la Talaudière, usine de Vienne etc...). SODIAAL, c’est le “premier groupe coopératif laitier français”. (voir : http://www.sodiaal.fr). Le problème de beaucoup de ces coopératives, qui se sont concentrées au fil des ans, c’est qu’elles ont échappé aux mains des paysans, que leurs administrateurs partagent en gros la “philosophie économique” capitaliste des grands groupes privés. Elles sont dans la mouvance de la FNSEA et de sa conception d’une agriculture industrielle et productiviste, sur la même longueur d’onde que les ministres de l’agriculture qui se succèdent depuis des années.

Comment faire autrement ? Tout indique que les solutions sont du côté de l’agriculture paysanne, de l’agriculture biologique, de la relocalisation de la production de nourriture, de la souveraineté alimentaire dans le monde entier.
Les différentes formes de circuits courts sont en expansion rapide en France, même si aujourd’hui leur part est encore marginale. Le 29 avril, au Congrès de la Confédération Paysanne à St-Etienne, on a pu écouter le témoignage de l’italien Andrea Ferrante, président de l’AIAB - l’Association Italienne de l’agriculture biologique. L’expérience italienne n’intéressera pas que l’agriculture biologique. Elle est pleine d’enseignements pour toute l’agriculture paysanne. A noter que l’Italie est un pays qui a su maintenir des paysans nombreux, ce qui est rare (il faut savoir que 3 pays : l’Italie, la Roumanie et la Pologne représentent à eux seuls aujourd’hui 53% des paysans d’Europe...).
Qu’a dit Andrea Ferrante ? Qu’il faut revoir le système de distribution, car “un système de distribution basé sur la grande distribution ne rémunérera jamais le travail des paysans”. En Italie, ou le bio tient une place importante, seulement 25% du bio passe par les grandes surfaces, qui auraient bien aimé le contrôler aussi, comme le reste. Il indique que “toutes les fermes qui sont dans des filières directes de distribution sont en train de s’en sortir. Et les autres, même bio, non”. “on doit mettre en cause la grande distribution”. Quelqu’un lui a fait écho dans la salle, en disant que deux catégories se font rouler par la grande distribution : les producteurs, et les consommateurs ! Ce point là est aujourd’hui mal compris, car il faut d’abord faire l’expérience des circuits courts pour se rendre compte que cela revient moins cher que les grandes surfaces... Andrea Ferrante a lié cela aussi à la question de l’éducation alimentaire : on va dans les supermarchés parce qu’on ne sait plus cuisiner et reconnaître des produits de qualité.

Et Andrea Ferrante a indiqué une autre grande piste, qu’il considère même comme la plus importante : les marchés publics, notamment les cantines scolaires, mais pas que : les hôpitaux etc... “on est en train de sous-estimer le marché des achats publics”, qui est énorme, a-t-il dit. Et si reprendre en mains la restauration collective était un puissant moyen d’échapper à la grande distribution et de payer correctement les paysans ?...

Il y a donc eu au congrès de la Confédération paysanne une discussion sur la grande distribution... Régis Hochart, porte-parole de la Confédération Paysanne jusqu’à ce Congrès, a repris lui aussi cette idée : “on est en train de créer une alternative avec l’agriculture paysanne... Est-ce que la solution n’est pas de dire : “la grande distribution, basta !” ? On ne peut pas rester dans l’idée que le système dans lequel on est va durer”, et il a mis en lien plusieurs mots d’ordre de la la Conf’ : “3 fermes valent mieux qu’une grande”, “le monde a besoin de tous ses paysans”, “promouvoir le travail”... pour proposer : “partageons nos fermes avec les consommateurs et les avec les autres paysans”... Parlant de la PAC il a rappelé aussi que 20% des paysans européens bénéficient de 80% des aides. Et qu’il y a besoin d’une agriculture paysanne dans le monde entier.

Bref, pour conclure, aussi bien pour les paysans que pour toute la société, les raisons s’ajoutent pour développer toutes les formes de circuits courts, de distribution directe. En particulier les AMAP, bien sûr, invention récente (2002 en France, début en 2005 dans la Loire) aujourd’hui en développement rapide mais dont la part est encore marginale. Et pour s’occuper sérieusement de l’approvisionnement dans la restauration collective. Notamment dans les cantines scolaires.
Evidemment, cela passe par une profonde transformation de la PAC, la politique agricole commune européenne, vers une agriculture durable et une alimentation saine.

Ceci n’enlève rien, bien sûr, au besoin de soutenir en ce moment les paysans qui luttent pour le paiement de leur travail par l’industrie agro-alimentaire, notamment laitière, et les centrales d’achat de la grande distribution. Ils font un travail d’utilité publique. Ils ont besoin du soutien de la société !