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La multinationale Lactalis perd son procès contre les paysans

Lactalis demandait 14 000 euros à Philippe Marquet et à la Conf’ Paysanne de la Loire. Il est condamné à leur payer les frais de justice et à leur verser 1500 euros.

mardi 27 septembre 2011, par Roger Dubien

Mercredi 14 septembre, la 1ère chambre civile du Tribunal de Grande Instance de St-Etienne - présidée par le juge Jean-Michel Denizon - a rendu son jugement dans le procès fait par Lactalis à Philippe Marquet et à la Confédération paysanne de la Loire pour des actions menées en 2009 au moment de la grève du lait.
Lactalis voulait faire condamner les paysans et leur faire raquer 14 000 euros, pour leur apprendre à résister.
Le 1er juin 2011, une forte journée de mobilisation avait eu lieu à St-Etienne.
Voir :
- Nous sommes solidaires des paysans !
- Le procès à faire, c’est celui de Lactalis et des multinationales de l’industrie agro-alimentaire, pas celui des paysans !
- "Paysans - citoyens même combat"

Le jugement rendu par le Tribunal de St-Etienne ne va pas dans le sens de ce qu’attendait la multinationale de la collecte du lait et de la fabrication de fromages. C’est Lactalis qui est condamné. Et c’est une belle victoire, sur le terrain de la justice et de la loi, qui vient d’être remportée pour l’agriculture paysanne.

La Confédération Paysanne avait donné rendez-vous devant le Palais de Justice ce vendredi 16 septembre après le rendu du jugement.


“Le verdict vient réaffirmer notre droit légitime à défendre nos droits, à ne pas céder à l’intimidation des puissants du monde (...) le Tribunal n’est pas resté insensible à la légitimité de notre combat” , a dit François Pitaval, secrétaire de la Confédération Paysanne de la Loire.
On peut ajouter que ce procès aura été pour beaucoup de monde l’occasion de comprendre un peu mieux la situation des paysans, et ce qui se joue actuellement pour l’agriculture et la production de notre nourriture à tous. Ce qui n’est pas sans conséquences...

 Voici des extraits du jugement :    :


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(...)


(...)







L’agriculture paysanne, c’est celle qui permettra de nourrir le monde

Le résultat du procès Lactalis contre paysans fait réfléchir...

D’abord, ce n’était pas évident, parce que Lactalis est puissant : 15 milliards d’euros de chiffres d’affaires, c’est le 1er groupe laitier mondial, il joue quotidiennement au Monopoly en achetant tout ce qui touche au lait et au fromage sur toute la planète, puis en restructurant et en uniformisant à son image pour faire un profit maximum - la seule chose, le seul critère qui ait un sens pour lui, tout le reste n’étant que des utilisables.
Parmi les derniers méfaits : comme il a fermé l’usine de Balbigny en février 2011, Lactalis vient d’annoncer la fermeture de l’usine de Xertigny, dans les Vosges, qui fabrique du Munster.
Et c’est donc ce géant qui vient de perdre contre des paysans qui demandent que les prix - du lait comme des autres produits agricoles - que leur paient l’industrie agro-alimentaire et les centrales d’achat de la grande distribution, cessent d’être des prix à perte, et leur permettent de vivre de leur travail.

Ensuite, ce jugement signifie aussi quelque part que les juges ont jugé en prenant en compte le contexte, et reconnu légitime la lutte des paysans. Parce que ce n’était pas évident le procès lui-même. Lactalis avait choisi d’attaquer au civil, et sur l’épisode très précis du blocage de l’usine d’Andrézieux, pour écarter justement une discussion sur le contexte et la situation des paysans, pour ne pouvoir parler que d’aspects très techniques : oui ou non blocage d’une usine, atteinte à la propriété, etc. Sur ce terrain très étroit, la condamnation paraissait assez probable, quel que soit le bon droit des paysans par ailleurs.
Eh bien, démenti. Pour dire le droit, les juges ont élargi l’horizon de la justice, pris en compte la réalité de la situation, condamné Lactalis et donné raison à la conf’ paysanne.
La journée du 1er juin avait montré - à tous ceux qui veulent bien regarder de près - la puissance et la justesse de la mobilisation paysanne, et l’écho et le soutien que le combat des paysans rencontre dans la société civile.

C’est donc très important cette victoire, pour le combat des paysans, évidemment, mais aussi parce ce qui a été fait là est une victoire pour tous ceux qui résistent. Il y a des situations un peu pareilles dans bien d’autres domaines, et des gens qui mènent des luttes légitimes, parce que porteuses d’exigences de justice et de liberté.
Parfois, pour résister, il faut pousser un peu les limites des lois actuelles, parce que telles qu’elles sont aujourd’hui elles ne réussissent pas à assurer la justice, et donc il faut les faire bouger.
C’est ce que font par exemple les Faucheurs Volontaires et tous ceux qui mènent le combat contre les OGM, qui est aussi un combat pour l’agriculture paysanne.
Ces temps-ci les actions se multiplient contre les tournesols OGM. Et en ce moment même, s’ouvre un autre procès, à Colmar, celui de 60 paysans et autres citoyens qui ont arraché le 15 août 2010 un essai de vigne OGM en plein champ.
Le cinéaste Eyal Sivan nous avait fait connaître au printemps cette belle phrase du philosophe américain Ralph Emerson : "good men must no obey the laws too well”, que l’on peut traduire par : "un homme honnête ne doit pas obéir à la loi trop bien".
Au fond à chaque fois qu’on agit, qu’on ne se résigne pas à subir, qu’on ne préfère pas l’injustice au désordre, on prend un risque, on n’est pas sûr de gagner, mais on peut faire bouger les choses, et même obtenir que la Justice et la loi donnent raison à ceux qui disent : pas d’accord pour l’injustice, et demandent que les lois elles mêmes soient mises à jour, pour rendre légal ce qui est devenu légitime.

Une autre chose à remarquer est que très souvent, pour nous faire nous résigner à la loi du profit et des multinationales, on entend : c’est cuit d’avance, c’est le combat du pot de terre contre le pot de fer. En plus, les paysans, c’est le passé, la modernité c’est la poursuite de l’industrialisation de l’agriculture, la concentration des fermes, les usines à lait, les agro-managers, etc...
Ces idées là ont été envoyées à la figure des paysans, et de bien d’autres producteurs et créateurs des richesses, dans d’autres domaines.
Eh bien la situation est en train de basculer, et les choses peuvent s’accélérer.
Les paysans et tous ceux qui défendent une agriculture paysanne, la relocalisation et la réappropriation de la production et de la distribution de la nourriture, ne sont pas des restes du passé condamnés à disparaître, mais au contraire des modernes, ceux qui ont plusieurs coups d’avance.
C’est une petite ironie pas prévue de l’histoire, mais avec les questions du réchauffement climatique, et avec l’explosion inéluctable du coût des énergies fossiles dont la moitié des réserves a déjà été consommée - énergies fossiles à bas prix sur le gaspillage desquelles repose elle aussi l’agriculture industrielle -, et avec l’explosion du coût des transports qui en dépend aussi, la donne est en train de changer.
C’est la relocalisation de l’agriculture, les relations les plus directes et courtes possibles entre paysans et familles qui mangent, c’est le maintien des fermes et l’installation de centaines de milliers de nouveaux paysans qui deviennent : moderne, actuel, réaliste, si l’on veut pouvoir se nourrir, et nourrir toute l’humanité, parce que ce problème est universel.

Evidemment, le mieux est de ne pas rester spectateur dans cette situation. Tout le monde peur aider. En soutenant, bien sûr, quand les paysans exigent des firmes et des gouvernements des prix justes, des politiques agricoles plus justes. Mais aussi très concrètement, au quotidien, avec les AMAP, Alterconso, la FAQ, les magasins de producteurs, les achats à la ferme, aux paysans sur les marchés, aux commerçants de quartier qui réfléchissent à la possibilité de travailler avec des paysans.
il ne tient qu’à nous tous et à chacun de nous personnellement que toutes les formes de partenariats locaux solidaires se multiplient.

Roger Dubien.