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La pédagogie sociale en acte

L’expérience de Terrain d’entente à St-Etienne

mercredi 30 avril 2014, par Josiane Reymond

La pédagogie sociale rappelle des principes essentiels qui nous ont fait percevoir la nécessité de nous engager dans un travail de rue :

1 - Nous sommes collectivement responsables de l’éducation des enfants et de leur protection. Depuis près de 3 ans, en proposant une présence régulière sur le terrain de jeux de Tarentaize, nous apprenons à poser des actes concrets pour exercer de façon effective cette responsabilité, à l‘échelle du quartier.

2 - Nous nous efforçons de transformer, avec les personnes concernées, des situations qui ne sont pas acceptables. Pour ce qui nous concerne à Terrain d’entente, nous cherchons des réponses aux questions de l’aggravation de la pauvreté pour de nombreuses familles, avec toutes ses conséquences en terme d’exclusion, d’isolement, de difficultés d’accès aux structures du quartier...

3 - Nous sommes engagés auprès des personnes que nous rencontrons semaine après semaine, tout au long de l’année. Et vivre les choses au plus proche des personnes exclues, dans leur réalité, permet de comprendre avec plus d’acuité ce qui est enjeu aujourd’hui : les conceptions, les orientations du travail social et ses conséquences.
Les membres de l’association Terrain d’Entente sont donc présents, sur le terrain de jeux de Tarentaize, le mercredi et le samedi après midi. Chacun peut nous rejoindre d’une façon libre, inconditionnelle et gratuite. Depuis Février 2014, nous venons également un Dimanche par mois.



Quelle est la raison d’un tel enthousiasme ? Beaucoup de choses en fait.
Sentir d’abord que nous faisons sortir des personnes de chez elles. Plusieurs mères du quartier nous rejoignent sur le terrain, au cours de ces après midis, certaines nous confient leurs enfants et elles partagent entre elles un après midi de détente. C’est notre façon de contribuer au mieux être des familles. Des familles qui nous disaient il y a plusieurs mois déjà, « il faut se méfier de tout le monde et faire confiance à personne ».
C’est compliqué de mesurer l’impact de ce petit acte. Ca parait tellement banal. On sort de chez soi et on rencontre les voisins... Quand on y regarde de près, on comprend que le quotidien de ces familles est en fait un véritable combat, et parfois, un combat perdu d‘avance. Ces femmes nous confient parfois leur épuisement : « c’est trop dur, je suis toujours fatiguée, j’ai toujours des démarches à faire... » Dernièrement, une mère a consacré toute son énergie, et ce pendant 3 semaines, pour obtenir la confiance d’un bailleur et acquérir un logement adapté. Elle est seule, elle perçoit le RSA, elle n’a pas de garants. Ca fait plus de deux ans qu’elle recherche un appartement. Depuis ces dernières années, elle est le témoin impuissant de cris et de la violence de ses voisins. Elle n’ose pas appeler la police, elle a peur de représailles. Nous sommes les seuls à entendre ses confidences. Nous sommes devenus ses proches. Nous confier tout ça lui permet peut être de ne pas s’effondrer.
On pourrait donner tellement d’exemples où on est témoin des actes héroïques du quotidien posés par ces femmes pour offrir le meilleur cadre de vie possible à leurs enfants.

Face à ces réalités, quelle est la réponse sociale ?
D’aucuns s’inquiètent souvent du fait que ces mères préfèrent passer du temps entre adultes et nous laisser pendant deux petites heures la responsabilité de leurs enfants. Aujourd’hui, dans le climat ambiant qui prône la responsabilité individuelle, dans toutes les situations de notre quotidien, ça parait presque indécent de voir des sourires complices qui s‘échangent, d’entendre rire des mères, qui devraient plutôt passer leur temps à s‘occuper de leurs enfants.
On ne s’inquiète jamais, par contre, des parents qui confient leurs enfants au centre de loisir, et ce pendant toute la semaine, voire toutes les vacances scolaires. La différence est peut être tout simplement dans le fait qu‘ils payent cette prestation. La gratuité est devenue intolérable dans ce système où tout s’achète et tout se vend !
Le fait d’être juste présent de façon fidèle, même jour, même lieu, même heure, nous permet d’agir et d’évoluer à partir des réalités.


Sortir de chez soi avec ses enfants, pour rejoindre d’autres adultes, dans ce contexte, ça manifeste une réelle volonté de se mobiliser. Le premier pas vers une démarche citoyenne active de prise en charge des problèmes. Un pas qui en permet d’autres, des rencontres collectives plus organisées comme celles des « pays d’origine » par exemple.
Quand on mesure mieux le quotidien de ces femmes, on peut apprécier la valeur de cet acte. Mais aujourd’hui encore, certaines femmes du quartier n’arrivent pas à faire ce pas. J’entendais dernièrement une mère me confier : « j’aime beaucoup ce que vous faites, je suis contente pour mon fils, mais je suis tellement fatiguée » ....Notre pas à nous c’est d’être présents et d’accueillir.



Il y a d’autres pas, comme celui de venir dire « ça ne va pas », et d’accepter d’être un peu épaulé. C’est aujourd’hui un acte profond de vérité et de courage de savoir évoquer ce qui ne va pas, une véritable prise de risque dans cet univers où tout doit être lisse, où chacun doit tout tenir, même l’intenable. Ces paroles simples, cette manifestation d’humilité, nous ouvrent à nouveau un espace qui s’est profondément verrouillé tout au long de ces années. Nous nous retrouvons dans notre humanité.
Nous ne sommes pas des robots qui vivent les choses mécaniquement. Nous ressentons, nous éprouvons, nous souffrons. Ce partage nous apprend à reconstruire des liens où nous comptons les uns pour les autres, où nous existons pour l’autre. Ca fait rêver non ?!
Aujourd’hui, l’excellence est de pouvoir dire qu’on n’a besoin de personne, qu’on n’est pas un assisté. Retrouver cette relation de confiance où on confie ce qui est difficile nous ouvre un autre espace, nécessaire pour exister pleinement.

On accepte aujourd’hui comme une vérité que la société est une somme d’individus, les uns à côté des autres, étrangers, voire même concurrents. Rien n’est moins vrai. Nous sommes construits, pétris de tous nos liens, de toutes nos rencontres. C‘est le sens même de notre existence. Nous sommes le fruit de nos relations, de nos engagements les uns vis-à-vis des autres. Faire société c’est donc apprécier les liens qui se tissent entre tous, les interactions, le fait de pouvoir compter les uns sur les autres. Ces petits espaces collectifs qui se construisent peu à peu dans cette démarche de travail de rue, nous permettent justement de refaire société. On se rappelle alors que notre humanité repose sur des liens d’entraide et de solidarité.
C’est une bonne nouvelle en fait. Ce n’est pas un acte de faiblesse que de pouvoir accepter l’aide de l’autre, c’est une juste reconnaissance de ce que nous sommes véritablement, des êtres de relation, dépendants les uns des autres. C’est pourquoi nous sommes collectivement responsables de l’éducation et de la protection des enfants. C’est notre affaire à tous ce qui se passe pour les uns et les autres. Ce sont nos affaires sociales.


Depuis 3 ans, nous voyons se transformer les comportements ; une autre raison de notre enthousiasme.
Sur le terrain, il nous est arrivé parfois d’avoir à intervenir dans une dispute entre mères. Ce sont chaque fois des moments terribles pour notre petite communauté. Parfois ces adultes perdent le contrôle d’eux même et disent l’inacceptable. Les répercutions sur l’ensemble des personnes témoins sont fortes, chacun en ressort humilié, blessé. C’est dire l’impact que produit pour chacun ce que vivent les autres. Il n’y a pas les autres et moi, il y a tous les liens qui nous construisent ou nous détruisent parfois, jour après jour.
Notre présence permet de soutenir les efforts des uns et des autres pour traverser ces incompréhensions et arriver peu à peu à se réconcilier. Pour les enfants, c’est plus rapide. Nous remarquons que sur le terrain de foot, les enfants sont de plus en plus autonomes pour mener le jeu avec des enfants d’âge très différents, régler les conflits. Ils apprécient cette capacité qu’ils ont développée à partager de belles parties, ce qui leur permet aujourd’hui de savoir assumer une frustration.
Les adultes portent en eux un poids. Peut être celui de ne pas s’être senti suffisamment accepté, compris, aimé ? Peut être celui de ne pas sentir possible de construire une vie meilleure...
Une mère avait la réputation sur le quartier d’insulter tout le monde, d’être violente avec ses enfants. En écoutant simplement ses confidences, suite à une violente dispute avec une de ses voisines, j’ai pu comprendre combien elle avait à faire face à tellement d’inquiétudes, de détresses. Son fils aîné a des troubles importants du comportement qui nécessitent de nombreuses prises en charge, des rendez vous chaque semaine. Les revenus de cette famille sont trop serrés pour faire face à toutes les dépenses... Mais surtout peut-être pour elle, la souffrance de se sentir rejetée par ses voisines. Aujourd’hui, elle sort nous rejoindre, elle a pu dernièrement trouver les mots justes pour dire son mécontentement à une mère concernant le comportement de son fils.
C’est une sensation très forte, ces moments d’apaisement. Dans ces expériences partagées, nous comprenons combien nous sommes concernés, tous, par ce que vit chacun.


Nous comprenons mieux, en le vivant ensemble, les aspirations profondes de tout un chacun. Nous avons tous envie de construire, petits et grands, des relations positives avec les uns et les autres, mais nous n’y arrivons pas toujours. Chaque fois qu’on y arrive, nous retrouvons du bien être ensemble. S’entraider pour y arriver, nous permet de tous nous élever en humanité.

Donc, dans ce petit collectif, nous ne parlons pas en terme d’assistés, ni de responsabilisation. Nous apprenons à nous connaître en saisissant toutes les opportunités pour partager des expériences, vivre des moments de rencontre et reconstruire de la confiance. Nous cherchons tous les possibles pour nous entraider, pour pouvoir compter les uns sur les autres, en construisant, semaine après semaine, des liens qui nourrissent chacun. En assurant une vraie présence on l’on s’implique, en vivant ensemble les choses, on crée une véritable autonomie. Parce que le chemin vers l’autonomie c’est de tisser des liens d’entraide. Parce qu’on n’est jamais autonome tout seul.

Josiane Reymond
josianereymond@orange.fr

Avril 2014

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L’association Terrain D’entente tiendra son Assemblée Générale le Samedi 24 Mai
et sa fête le Dimanche 22 Juin, "vous souhaitant nombreux à l’occasion de ces deux rencontres, ce qui serait pour nous un encouragement à poursuivre dans la durée cette démarche particulière et exigeante dans le contexte actuel."