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Jusqu’à quand le soutien aux dictatures en Afrique ?

Borry Bana

Instructive soirée débat de Survie à l’Université de St-Etienne...

mercredi 26 janvier 2005, par Roger Dubien

Une centaine de personnes, en majorité des étudiants, a participé à la soirée débat organisée par Survie et le collectif Yankadi à l’Université de St-Etienne le 20 janvier.

Contribuer à "éveiller les consciences occidentales sur l’Afrique, car l’action n’est pas à la hauteur des problèmes qui s’y posent", c’était l’objectif de cette soirée. Une question : pourquoi n’y a-t-il pas plus de protestations sur ce qui s’y passe ? Derrière ce peu d’engouement, "n’y aurait-il pas une forme de racisme latent ?", qui fait accepter la présentation faite par la plupart des médias. "On s’habitue facilement à l’idée de guerres tribales". "On peut s’insurger par rapport à une élection truquée en Ukraine. Mais au Cameroun ? Pourquoi nous présente-t-on ça comme normal ?".
Ce qui fait penser à cette question posée par l’écrivain et prix Nobel nigérian Wole Soyinka, suite à la déclaration de Chirac en 1986 à Abidjan, disant que "l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie" (idée très largement reprise) :
 "On a souvent coutume de dire que l’Afrique n’est pas prête pour la démocratie. Je m’interroge : a-t-elle jamais été prête pour la dictature ?" .
Survie dénonce la politique africaine de la France, travaille pour "assainir les rapports nord-sud", essaie "d’aider à ce que cette Afrique s’en sorte, qu’il y ait moins de guerres, moins de misère". Survie se bat contre les génocides, comme celui du Rwanda...

La soirée a commencé par la projection du film "Borry Bana" ("La fuite est terminée", en bambara), qui retrace l’engagement, et l’assassinat en 1998, du journaliste burkinabé Norbert Zongo. Ce film documentaire de Luc Damiba et Abdoulaye Ménès Diallo, a été présenté jeudi par le romancier Loro Mazono, ami de Norbert Zongo et auteur d’un petit livre à sa mémoire ("Un homme face à son destin ou la parole du lion"), livre dont l’argent va à la famille de N. Zongo et au Collectif COFANZO (Collectif de France Affaire Norbert Zongo) créé pour obtenir "justice et vérité".

Au Burkina Faso, pays des hommes intègres

Norbert Zongo avait 49 ans, il était directeur du journal "L’indépendant", qu’il avait créé à Ouagadougou en 1993. En décembre 1997, il s’est saisi d’un cas de torture et d’assassinat d’un jeune chauffeur du frère du président Blaise Compraoré.
Compraoré, c’est celui qui a organisé l’assassinat du Président Thomas Sankara, jeune leader de la révolution burkinabé qui voulait faire de l’ex-Haute Volta "le pays des hommes intègres". Et lui avait donné ce nom, "Burkina Faso". Assassiné à 37 ans, en 1987.
Pour l’assassinat du jeune chauffeur, Zongo a mené l’enquête. "Il a dit : Non, assassiner, cela ne doit pas se faire dans un état de droit". Le 13 décembre 1998, il a été assassiné à son tour avec 3 amis. Cet assassinat a provoqué un énorme mouvement populaire, et la création d’un collectif de forces qui ont refusé la thèse officielle de l’accident de voiture. Car ils ont été assassinés par balles, puis leur voiture a été brûlée. Il y avait un témoin.
Un magistrat a dû être nommé pour instruire le dossier. On attend encore les conclusions officielles. "Il faut laisser la justice suivre son cours" dit le pouvoir... Un pouvoir qui manoeuvre, qui a lâché du lest et offert des postes à des membres du Collectif. Pas sans résultats, d’ailleurs, car "généralement, les politiques visent le pouvoir, alors que la société civile veut changer la société..."
Zongo avait dit : "Borry Bana" : "La fuite est terminée". Il dénonçait le caractère maffieux du régime. Un homme d’autant plus dangereux qu’"à chaque problème, il essayait de proposer des pistes de solutions". Il a été prévenu, mais n’a pas cédé. Ils l’ont tué. Le film montre les témoignages de la mère très digne de N. Zongo et de plusieurs de ses amis, les manifestations populaires à Ouagadougou...

Une commission d’enquête indépendante a été formée. Elle a abouti à la conclusion de l’assassinat. Et désigné 6 suspects, militaires de la garde présidentielle. Deux sont déjà morts, d’autres sont déjà en prison dans l’affaire de l’assassinat du jeune chauffeur. Car il a bien fallu lâcher un peu de lest...
Alors Compraoré a essayé de reprendre l’initiative. Il a mis en place une commission de 16 sages, pour la conciliation, présidée par l’archevèque de Ouagadougou. Il a organisé une "journée nationale du pardon", dans un stade. Une mauvaise imitation de ce qui s’est passé en Afrique du Sud. Car là-bas, avant de pardonner, ils ont cherché à dire la vérité sur ce qui s’était passé. Au Burkina, la vérité n’a pas été dite. Comproré a demandé "pardon"... sans dire de quoi, sans citer le nom de Zongo, sans juger les assassins ni les commanditaires ("laissons la justice faire son travail", toujours pas terminé en 2005, 6 ans après...). Et en faisant proposer par des intermédiaires de l’argent à la mère et au fils de Norbert Zongo. Indécent.
Chaque année, des milliers de personnes commémorent l’assassinat de N. Zongo et demandent vérité et justice. "A quand la justice pour Norbert Zongo ?", c’était aussi la question posée lors de la manifestation qui a eu lieu à Paris le 19 octobre 2001, au moment de la visite officielle de Compraoré, invité par Chirac.

"Disqualifier le soutien de la France aux dictatures"

Au delà du Burkina Faso, la soirée a permis à François Xavier Verschave de parler de la situation dans l’Afrique des dictatures. Car il n’y a pas que des dictatures en Afrique, mais il y en a de nombreuses. Et la France est souvent dans le coup.
François Xavier Verschave est l’auteur de plusieurs livres, qui décortiquent "la Françafrique", le vrai rôle que la France a tenu et tient encore en Afrique.
La France a participé en première ligne à la traite des noirs, à l’esclavage. Elle a été un des principaux protagonistes de la colonisation. Vers 1960, "il s’est passé quelque chose qui a trompé les français. On a pensé qu’avec la guerre d’Algérie, la colonisation était finie, qu’une autre ère s’ouvrait. Mais De Gaulle, acculé à acorder l’indépendance, a chargé Foccart de faire l’inverse : mettre en place un mécanisme qui niait l’indépendance, qui organisait le maintien de la dépendance. Parfois en pire". F-X Verschave appelle ce dispositif la "françafrique".
Le moyen principal a été le choix fait par Foccart de gouvernements à la peau noire. La plupart liés aux services secrets français... En Afrique, les tortionnaires de la guerre d’Algérie, de l’OAS, ont tout de suite repris du service. Eloignés de la France mais recyclés dans les polices des dictatures. On sait aussi maintenant qu’ils ont coatché les dictatures militaires d’Amérique du sud.

Mainmise politique. Et pillage économique. Le pétrole. Elf. Le détournement de plus de 50 % de l’aide publique au développement. L’escroquerie de la dette : ils n’avaient souvent pas vu la couleur des prêts... "Un système de criminalité économique et politique parfois pire que la colonisation". Des guerres. "Parfois la France finançait les deux camps dans la guerre civile. Comme en Angola." Et même en côte d’Ivoire aujourd’hui. Des sommets de cynisme et de manipulation. Une criminalité politique toujours liée à la criminalité économique.

De ce côté là, on rencontre aussi la question des paradis fiscaux, qui sont des instruments du pillage et de l’oppression du Sud. Et du détournement de l’argent public au Nord. Toutes les puissances coloniales ont leur paradis fiscaux...

Il y a eu en Afrique de nombreux massacres, souvent inconnus. Comme celui du Cameroun. En 10 ans, 100 000 à 400 000 morts. Ce n’est dans aucun livre d’histoire. Des assassinats des leaders anticolonialistes. Patrice Lumumba au Congo en 1961, Silvanus Olympio, premier président du Togo assassiné, en 1963 par le sergent de la coloniale Eyadema toujours au pouvoir en 2005. Sankara en 1987....

Parmi les pires manipulations, l’ethnisme. On a vu où ça mène, au Rwanda. "Bientôt sera publié le rapport de la commission d’enquête citoyenne sur le Rwanda, accablant pour la France".

Après la chute du mur de Berlin, il y a eu un mouvement de démocratisation en Afrique : des Etats généraux ont eu lieu dans plusieurs pays ( Bénin etc...). Mais des mécanismes de mécanismes de confiscation ont été mis en place. Avec l’organisation d’élections truquées dans la quasi totalité des "démocratures". (Cameroun, Gabon, Congo Brazzaville avec Sassou Nguesso etc...). Dans une douzaine de pays, des dictatures se maintiennent surtout grâce au soutien de la France.
Ce qui fait penser au mot de Mobutu, vers la fin de son règne : "Je suis prêt à faire des élections. A condition que ce soit la France qui les organise"...
Mais il y a aussi des espoirs, avec ce qui se passe au Mali, au Niger, au Sénégal, à Madagascar.

Survie a donc décidé de mener une campagne "dictateurs". Avec notamment l’objectif de disqualifier le soutien de la France aux dictatures. Aider ici, à déverrouiller les choses là-bas. Disqualifier ce qui en France continue de trouver normal que les peuples soient soumis à des dictatures qui sont de l’esclavage.

La situation en Cote d’Ivoire est très grave. FX Verschave y voit certaines choses communes avec ce qui s’est passé au Rwanda. Comme le rôle des médias de la haine, la propagande sur l’"Ivoirité", la présence d’escadrons de la mort.
Depuis Houphouët Boigny, la France est omniprésente en Côte d’Ivoire, avec Bolloré, Bouygues, dans le cacao... Elle a des liens dans les deux camps. Il y a le camp Bagbo. Mais Compraoré joue aussi un rôle dans la guerre civile en Cote d’Ivoire...
FX Verschave estime que la France est disqualifiée en Côte d’Ivoire. Elle a montré notamment avec le mitraillage de la foule depuis l’Hôtel Ivoire qu’elle ne peut pas jouer le rôle d’arbitre."C’est aux africains de prendre le problème en charge". C’est pourquoi, pour la Côte d’Ivoire comme pour les autres pays, FX Verschave place beaucoup d’espoir dans les tentatives d’unité africaine. Tous les leaders africains étaient panafricains, voulaient dépasser les frontières issues de la colonisation. "la voie royale de l’indépendance, c’est l’union africaine." Entre autres parce qu’elle permet de travailler ensemble, entre africains issus de plusieurs colonisations, et alors que, selon lui, il y a dans les pays anglophones plus d’indépendance par rapport à la colonisation.

FX Verschave a regardé de près les réseaux de la Françafrique. Quels sont les réseaux qui tiennent l’Afrique depuis 40 ans ? Il a rencontré le rôle central de J. Chirac, dans l’entourage de Pompidou, Juillet, Dassault. Avec Foccart et son n°2 Pasqua. Il a rencontré les 3 E = l’Elysée, Elf ("le navire amiral", l’Etat major (tiens, au fait, ça rappelle le livre d’Eva Joly :  "est-ce dans ce monde là que nous voulons vivre ?"
Selon Verschave, c’est d’abord la droite qui a organisé la Françafrique. Une question a été posée : et Mitterrand là dedans ("si tant est que Mitterrand ait été de gauche") ? Arrivé à l’Elysée, il a ouvert quelques dossiers, fait faire quelques révélations. Et obtenu une part du gâteau. Et voilà pourquoi Jean-Christophe, "la françafrique socialiste"... Ensuite, c’est H. Vedrine, un proche de Mitterrand, qui s’est occupé du Rwanda.

C’est bientôt que va être rendu public le rapport de la commission citoyenne d’enquête sur le génocide du Rwanda. "Ils ont inventé au Rwanda la 4è arme de destruction massive pour faire tuer 1 million de personnes par 2 autres millions. Les médias de la haine."
Un génocide jamais reconnu, dans lequel la France à une terrible responsabilité. La France a fait la guerre contre le FPR depuis 90 et a toujours continué. Des conseillers français. Avec l’appui total de Mitterrand. FX Verschave conseille le livre "L’inavouable" de P. de St-Exupéry.
Pourquoi la France a-t-elle fait ça ? "On ne sait pas encore le fin mot de l’affaire, il y a un secret d’état sur les raisons".

FX Verschave pense que la rivalité annoncée de la France et des USA en Afrique n’est pas si réelle que ça, à y regarder de près. Sur l’argent, ils se mettent d’accord. D’ailleurs, on retrouve Falcone parmi les financeurs importants de la campagne de Bush... Autre indication : "c’est mal connu, mais Khadafi est un grand allié de la Françafrique"...

Roger Dubien.

Des livres de F-X Verschave pour s’informer :  

- "Noir Silence" - Les Arènes, 2000.
- "Noir Chirac" - Les Arènes 2002.
- "La Françafrique, le plus long scandale de la République" - Stock 1998.
Ces trois livres sont disponibles à la bibliothèque de Tarentaize à St-Etienne.

- "Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda" - La découverte 1994.
- "L’envers de la dette" - Editions Agone 2002 dossier noir n°16.

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