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Maison de la semence de la Loire - Fête des semences paysannes de mars 2014

Bob Brac de la Perrière : "ce que sont les semences paysannes et pourquoi elles sont les sources des plantes de demain..."

Rendez-vous les 20-21 mars 2015 à la 3ème fête des semences, avec Pierre-Henri Gouyon

lundi 2 février 2015

La 2ème fête du printemps des semences paysannes a eu lieu le 22 mars 2014 à la ferme de Pierre Grenier à Marcilly le Châtel dans le Forez. Voici l’intervention de Bob Brac de la Perrière, coordinateur de BEDE- Biodiversité : Echanges et Diffusion d’Expériences, et membre du Réseau Semences Payannes.
Bob Brac a publié à l’automne le livre qu’il préparait au moment de la Fête... Voir une présentation de ce livre : "Semences paysannes, plantes de demain".

“J’ai intitulé “les plantes de demain” parce que je suis en train de préparer un ouvrage qui s’appelle “les plantes de demain - aux sources des semences paysannes”. Il sera édité en été...
ça reflète en fait mon analyse, que je conduis depuis maintenant 35 ans sur cette question : quelles plantes nourriront la planète dans l’avenir ?
Je la conduis... d’abord J’étais un universitaire, un généticien des plantes, mais j’étais un généticien des plantes qui ne faisait pas que du laboratoire. Je faisais beaucoup beaucoup de travail chez les paysans, pour essayer de comprendre leur diversité, la diversité des cultures, et la diversité des variétés qu’ils avaient chez eux, et voir comment ça évoluait, et j’ai travaillé plutôt en Afrique, et au Maghreb, en Algérie... Et après une quinzaine d’années dans ce travail-là, j’ai quitté la recherche, parce que j’ai vu qu’elle n’était pas capable aujourd’hui de répondre aux questions des agriculteurs, et que quelque chose de plus gros arrivait sur leur tête, et qu’il fallait d’autres outils, d’autres méthodes pour pouvoir affronter. Et ces choses grosses qui nous tombent sur la tête, c’est bien entendu toute la transformation génétique des plantes en laboratoire, mais aussi l’appropriation du vivant par les brevets.
Et donc quelque chose qui ne pouvait pas être imaginable il y a quelques décennies : dire qu’on pouvait privatiser une plante, empêcher quelqu’un de replanter sa plante... c’est devenu une réalité, et ça se généralise à l’ensemble de la planète.

Donc, tout d’un coup, il faut réfléchir à : qu’est-ce qui est en train de se passer ? Et donc, après avoir cessé de travailler avec l’Académie, j’ai travaillé avec des ONG et surtout avec cette organisation : BEDE, Biodiversité, Echanges et Diffusion d’Expériences, que j’ai créée il y a 20 ans. Et qui a comme objectif de maintenir la biodiversité cultivée dans les champs, et de se servir de l’expérience des agriculteurs les plus pointus, les plus innovants, pour pouvoir échanger avec les autres. Et donc on organise des espaces de concertation, des échanges, des tournées, on donne de la valeur aux savoir-faire paysans. Et parfois, et là maintenant depuis un an, on a commencé à reprendre des discussions avec les chercheurs pour pouvoir reconduire des recherches différemment, à la demande des agriculteurs, en co-construction des savoirs.

Alors vous savez... : les savoirs scientifiques on les appelle des “savoirs froids”. Et les savoirs populaires, les savoirs paysans, les savoirs d’expérimentation, on appelle ça les “savoirs chauds”. Et il faut apprendre à combiner les deux. Et c’est pas facile parce que les scientifiques se sont mis dans des perchoirs, ou des formes d’aquariums qui sont complètement séparés de la réalité. De la réalité rurale, de la réalité des économies des agricultures paysannes. Et maintenant ils fonctionnent selon des critères qui sont des critères de la financiarisation du monde. Et ils ne seront financés que s’ils produisent des informations qui permettent de mieux s’approprier le vivant.
Donc on se retrouve avec des chercheurs qui se mettent à faire beaucoup de biotechnologies pour identifier les molécules, en disant que c’est ça qui va servir à améliorer les plantes de demain. Et en fait ça sert simplement comme marqueurs pour pouvoir déposer des brevets sur ces plantes-là.
Il n’y a pas une quinzaine de jours, un mois, à l’Office Européen des Brevets, Monsanto a souhaité mettre des brevets sur des séquences d’ADN pour l’espèce soja. Ces séquences d’ADN sont des marqueurs d’adaptation au climat. Donc, sur des sojas qu’ils n’ont pas, eux, ni croisé ni amélioré ni quoi que ce soit... mais simplement ils ont vu que dans le patrimoine de certains sojas, il y avait des molécules ou des parties de molécules qui pouvaient intervenir dans l’adaptation des plantes au climat, et là ils mettent un brevet dessus, ce qui fait que chaque fois que demain vous aurez cette molécule dans vos plantes, ce sera des royalties pour Monsanto...
Donc, ça, c’est l’évolution extrême sur laquelle nous sommes en train d’être, c’est notre réalité, malheureusement...

De retour d’Afrique de l’Ouest...

Mais on vit quand même aussi dans une autre réalité, et je vais commencer par vous donner d’abord le grand salut des paysans de Casamance, que j’ai quittés la semaine dernière, parce qu’il y a une réalité paysanne qui est tout à fait différente, qui est beaucoup plus encore vivante et ancrée dans la société dans les pays du Sud, et en particulier en Afrique de l’Ouest où mon organisation travaille, avec une association qui s’appelle l’Association Sénégalaise des Producteurs de Semences Paysannes.
L’Association Sénégalaise des Producteurs de Semences Paysannes, c’est la soeur, la petite soeur du Réseau Semences Paysannes en France.

Le réseau Semences Paysannes en France, je ne sais pas s’il faut vous le présenter, il est un peu sur toutes ces affiches. C’est un réseau qu’on a aidé à monter il y a 10 ans, en 2003, avec une quinzaine d’organisations, et qui aujourd’hui a plus de 80 organisations, qui couvre l’ensemble de toutes les régions françaises et qui défend la conservation, le renouvellement de la biodiversité cultivée dans les fermes et dans les jardins. Et les droits des agriculteurs à le faire.
Donc, le droit, c’est aussi tout l’aspect juridique que le réseau organise avec une veille juridique - on a une salariée qui est payée pour faire cette surveillance de la réglementation, des lois, et on a le délégué général, Guy Kastler, qui est en permanence dans les différentes instances de négociations pour essayer de faire valoir ces droits-là. Parfois avec la casquette du Réseau Semences Paysannes, parfois avec sa casquette confédérée puisqu’il est à la Confédération Paysanne, parfois avec sa casquette de La Via Campesina... Mais il est l’une des personnes les plus informées, qui aide beaucoup à analyser les mouvements des grosses firmes industrielles aujourd’hui sur la semence et sur le vivant.

En Casamance a lieu tous les deux ans une Foire ouest-africaine de tous les producteurs de semences paysannes. Là, on était 350 personnes, paysans et paysannes, qui venaient du Togo, du Bénin, et de toute la sous-région. Ils échangent comme ça dans leur Bourse toutes leurs variétés et vous verrez... vous verrez la diversité des variétés qui chaque agriculteur peut présenter. Avec la diversité des usages de chacune de ces variétés. Par exemple, sur les mils ou sur les sorghos, il n’est pas rare d’avoir 6-7 variétés par agriculteur. Et chacune a un usage particulier, des caractéristiques particulières, souvent liées à une utilité thérapeutique, parfois aussi pour des raisons culturelles, cultuelles, culturelles dans le sens civilisationnel même.

Et tout ça, cette diversité, que vous trouvez différente d’un village à l’autre, ou d’un pays à l’autre, fait que les gens sont soutenus par leurs variétés et leur biodiversité. Or, eux aussi, ils ont les mêmes menaces que nous. C’est-à-dire que ce qui s’est passé ici avec l’ère industrielle où on a remplacé toutes les variétés de pays, toutes les variétés paysannes par des “variétés améliorées” de la recherche - nous c’est depuis 50 ans qu’on le vit, jusqu’à ce qu’on n’en trouve même plus... il y a 10 ans on ne trouvait plus de variétés de pays nulle part, pour faire du pain, on ne trouvait que les “variétés améliorées”... - eux, ce n’est que depuis une quinzaine ou une vingtaine d’années qu’ils ont ce phénomène là. Mais tout ce qui arrive en Europe arrive aussi chez eux, et même les lois. Les “lois semences”, qui sont extrêmement contraignantes pour les paysans, arrivent aussi chez eux, et les droits de propriété intellectuelle, les droits de propriété industrielle sur les variétés, qui n’existaient même pas chez eux, mais qui n’appartiennent pas du tout à leur culture, et qui choquent énormément les gens en Afrique, eh bien maintenant elles sont appliquées, et là tout récemment, les variétés de mil paysannes ont été protégées par des droits de propriété intellectuelle par la recherche publique de leur pays.
Alors, des foires comme celle qu’on a organisée à Djimini au Sénégal, sont des foires où on explique dans les ateliers : voilà qu’est-ce ce qui est en train de se passer, et qu’est-ce que vous en pensez ?
Alors, souvent les paysans, ils débarquent, ils se disent : mais comment c’est possible que vous allez me prendre ma variété et puis vous allez dire que vous allez l’améliorer avec 2-3 cycles en station de recherche, et puis après vous allez mettre un droit de propriété privée, intellectuelle, dessus en disant que ça vous appartient ? Mais comment est-ce que vous pouvez ? C’est un vol, c’est de la biopiraterie - on appelle ça de la biopiraterie.

Cette discussion, c’était bien de l’avoir avec les paysans parce qu’ils sont révoltés à ce moment là, et ils sont quand même, en Afrique de l’Ouest, plutôt très bien organisés - les paysannes aussi - en groupements, en coopératives, unions syndicales, etc... Et lorsqu’ils ont l’information, ils savent pas mal se défendre, ils savent porter haut leur parole parce qu’ils représentent 80% de la population. Ce n’est pas nos 3-4% d’ici, et quand on dit 3-4%, si on fait ceux qui font des semences paysannes... C’est 3 pour 1000. On n’est pas encore... On arrive, on arrive, il n’y avait pas de Maison de la semence dans la Loire il y a 3 ans, et voilà... Et vous êtes nombreux... Et dans tous les coins de France où j’ai l’occasion d’intervenir, c’est exactement le même phénomène qui se passe, c’est que des groupes, les petits noyaux de départ deviennent maintenant des groupes importants, et il y a une dynamique qui dépasse seulement les quelques agriculteurs et jardiniers, qui touche des pans entiers de la société, concernés à la fois pour leur alimentation mais aussi pour les droits humains, les droits des agriculteurs, les droits des paysans de ressemer, et le fait d’éviter d’être dans un monde où on sera nourris uniquement par l’alimentation que quelques multinationales voudront bien nous donner, c’est-à-dire forcément des OGM, parce que les OGM brevetés sont ce qu’ils peuvent fabriquer d’innovant, malgré toutes les conséquences et les risques que ça a pour l’environnement ou pour la santé.

Une réflexion sur ce que c’est que ces plantes de demain...

Je voudrais revenir sur quelque chose dont je m’aperçois que les gens ne le comprennent pas bien : c’est le fait que lorsqu’on parle d’une variété, une variété que vous achetez, là, les graines d’une variété, lorsqu’on dit que cette variété, puisqu’elle est paysanne, c’est une population, c’est n’est pas des clones : chaque graine est un peu différente de l’autre...
Comme vous ici vous êtes une population. Vous êtes une population de la Loire, vous êtes la variété Loire, si vous voulez, c’est comme si vous étiez la variété Loire, et chacun est différent. C’est très très important, parce que le fond de l’agriculture paysanne c’est basé sur la sélection évolutive de populations, de variétés de populations. Les variétés de pays, les anciennes variétés de pays qu’on cultivait avant, ce sont des populations, avec des micro-variations entre les différentes plantes, mais elles ont le même type. Voilà, vous avez à peu près le même type, mais vous avez des micro-variations entre vous. C’est à dire que génétiquement vous êtes divers et en même temps, vous représentez une ressource par votre diversité. C’est la même chose pour les variétés paysannes. Les variétés paysannes représentent une ressource par leur diversité interne et génétique.

C’est pas toujours facile à dire, mais en fait c’est important quand même de le savoir, parce que, au niveau international, il y a un traité, une convention internationale, qui s’appelle le Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Agriculture et l’Alimentation, le TIRPAA. Alors, quand vous entendez “ressources phytogénétiques”, il y a beaucoup de gens qui ferment leurs oreilles parce qu’ils se disent : qu’est-ce que c’est “phytogénétique” ? C’est un gros mot.
Mais en fait c’est idiot mais c’est très simple : phytogénétique ça veut dire la diversité des plantes, les ressources de la diversité des plantes pour l’agriculture et l’alimentation. Quand on comprend ça, on comprend que ce Traité, ça nous concerne. Et effectivement, dans ce Traité, ça nous concerne parce qu’il y a plusieurs articles qui concernent et qui protègent l’utilisation durable de la diversité des plantes, qui protègent le droit des agriculteurs à continuer à semer, produire, échanger, vendre leurs variétés paysannes. Donc, il existe une convention internationale qui devrait aider le développement des agricultures paysannes. Mais rien que la terminologie est tellement rébarbative qu’aucun agriculteur ne rentre en fait dans ces textes juridiques.

Donc en Casamance, un des ateliers que j’ai eu à animer touche ce Traité, justement pour amener les agriculteurs africains aussi à comprendre que ça les concerne, que leur gouvernement a signé ce Traité-là, et qu’il doit mettre en oeuvre des politiques pour reconnaître leurs droits. Alors, ça tombe au bon moment, d’une certaine manière, parce que c’est au moment où ils ont l’information que justement leurs droits sont en train d’être complètement dévoyés par leur recherche publique qui, elle, rentre dans le moule de “nous allons nous mettre à breveter les plantes”.

Alors, on a eu une discussion, il y a quelques mois, j’étais au Mali et on est allé discuter avec le directeur scientifique de l’Institut d’Economie Rurale - l’Institut d’Economie Rurale, c’est l’INRA, c’est l’Institut de la recherche agronomique du Mali - pour lui demander pourquoi est-ce qu’ils avaient demandé et obtenu une protection intellectuelle sur 50 variétés maliennes, pourquoi est-ce qu’ils étaient entrés dans cette mécanique-là, qui ne correspondait pas du tout à une volonté de la part des agricultures paysannes qu’ils sont censés défendre.
Il nous a dit - on était avec ma collègue Anne, qui travaille en permanence au Mali - qu’il avait reçu de l’argent de la Banque Mondiale, et que la Banque Mondiale leur avait donné cet argent pour qu’ils rentrent dans un mécanisme de protection, par droits de propriété intellectuelle, de leurs variétés. Et que donc il avait eu ... Je crois que ça leur coûtait à peu près un demi-million de francs CFA (autour de 1000 euros) par variété qu’il fallait déposer - parce qu’il y a cette histoire d’argent : quand vous voulez protéger, il faut que vous payiez - Et que, bon, même s’il y avait des critères de stabilité et d’homogénéité, on ne ferait pas attention, ce qui était important c’est qu’ils rentrent dans le mécanisme...
C’est à dire que ce qui était important pour les bailleurs internationaux comme la Banque Mondiale, c’était de faire en sorte que les recherches publiques africaines rentrent elles aussi dans le mécanisme d’appropriation...
Mais comme ils n’avaient pas de variétés à eux, eh bien ils sont allés chercher chez les paysans et puis ils ont fait 3 - 4 cycles chez eux, et puis ils ont dit : voilà, on va protéger cette variété. Ils ont pris comme ça - en dehors de quelques variétés qu’ils avaient croisées eux-mêmes, la plupart étaient des variétés paysannes -, qu’ils ont protégées par un droit d’obtention végétale. Ce droit s’appelle le droit d’obtention végétale. Pour être un “obtenteur”. C’est un droit qui vous protège pour 25 ans. Pendant 25 ans, personne ne peut réutiliser librement cette semence sans vous le demander, ou payer, si vous le faites d’une manière importante hors de votre champ vivrier - il y a quand même des limites... Mais malgré tout, vous rentrez dans cette optique qu’on peut protéger, par des droits de propriété intellectuelle, les semences.

Ce directeur scientifique de la recherche malienne nous a dit aussi : “maintenant nous sommes comme l’oiseau dans la cage. Parce que l’organisme de la propriété intellectuelle africaine maintenant nous demande chaque année de repayer 1000 euros par an pour continuer à maintenir cette protection par variété”. Ce qui fait que sur 50 variétés, ça leur fait 50 000 euros à débourser... Pourquoi ? Ils ne font pas du commerce, cette recherche publique ! Donc on les a mis dans un système, et maintenant ils sont piégés dans ce système, et les fonds publics vont servir à protéger des choses qu’ils ont eux-mêmes bio-piratés à leurs communautés. Donc ça fait réfléchir à : pourquoi tout ça, parce que finalement il y a beaucoup d’incohérences là-dessous ?
Si on réfléchit, on peut analyser le fait que ce nouveau cadre législatif a été imposé par la Banque Mondiale, par l’industrie semencière - l’industrie semencière française est très très présente dans la mise en place de ce cadre réglementaire - en fait par les gros acteurs mondiaux de la semence, qui veulent organiser la concurrence, leur concurrence sur les marchés mondiaux, et l’Afrique comme ailleurs.
Mais comme ils ne peuvent pas organiser un cadre et apparaître tout seuls dans ce cadre, au début on fait venir les autres, les petits, et puis après, comme les petits ne tiendront pas, on va laisser la place aux grands.
Donc, voilà ce qui est en cours aujourd’hui en Afrique. Nous, on a connu ça depuis des décennies...

Et avec nos plantes populations, nos variétés populations paysannes, il y a une autre chose qu’il est important de voir, c’est que ces variétés de populations paysannes, elles sont toujours en co-évolution avec les communautés humaines qui les cultivent ou qui les valorisent. C’est comme si on était - communautés végétales et communautés humaines -, l’une avec l’autre, en tango, en espèce de tango, parce que, en fonction de la diversité des plantes, on peut avoir envie de conserver tel ou tel type plutôt, en fonction de nos besoins, en fonction du climat, mais en même temps des plantes peuvent convenir à tel type de cuisine... Finalement, ce n’est pas seulement l’agriculteur lui-même qui est le sélectionneur dans une agriculture paysanne, mais c’est aussi toute la communauté qui est avec lui, qui va dire comment la variété va évoluer. Et souvent ce sont les femmes qui ont été les plus actives dans cette co-évolution parce qu’elles étaient chargées surtout de la cuisine, de transformer, et donc elles savaient aussi quelles qualités de grains, ou de plantes, elles avaient besoin pour transformer au mieux la nourriture.
Donc des communautés en co-évolution, qui depuis le début de la domestication des plantes - on dit que le tout début c’est il y a à peu près 10 000 ans, quand on sort de la préhistoire, on rentre dans le néolithique où on a commencé à domestiquer les plantes sauvages et à faire que ces plantes sauvages deviennent cultivées... Depuis 10 000 ans, donc pendant des siècles, des siècles, il y a eu une agriculture paysanne, seulement paysanne, dans cette co-évolution.

Et puis l’ère industrielle est arrivée. On peut même aller la chercher pas seulement au 19ème siècle, déjà au 18ème elle a commencé à émerger, et avec des idées nouvelles sur comment agir sur les plantes qui nous nourrissent, en disant qu’on allait maintenant choisir une plante un peu d’élite. Dans cette population, on va choisir une caractéristique, par exemple la taille ou la productivité, selon le caractère sur lequel il faudrait qu’on se concentre, et on va prendre l’individu qui a ces qualités, et on va essayer de le cloner, ou de le reproduire le plus possible à l’identique. Donc, d’une diversité de populations, on va chercher l’élite. Et on va essayer de faire des cultures pures de blés par exemple, au départ c’était sur des blés...
Donc on part d’une population à base génétique très large... à des populations à base génétique plus fine, voire, avec des clones, c’est rien, c’est UN génome.
Et donc l’industrie a développé ce concept parce qu’il y avait un double intérêt : premier intérêt c’était qu’on pouvait augmenter dans certaines conditions la productivité, si on pouvait assurer que le milieu ne bouge pas. Et ça c’était le premier truc. Et deuxième chose c’est que l’homogénéité leur permettait de différencier ce qui appartient à l’industriel “A” de ce qui appartient à l’industriel “B”. Parce que là vous avez des trucs purs et distincts les uns des autres. C’est beaucoup plus difficile de différencier deux populations.
Donc, on a donc fait évoluer les plantes cultivées de notre alimentation de populations diverses et en co-évolution avec les communautés paysannes dans des variétés qui étaient au contraire homogènes, stables, qui avaient cette pureté, mais qui demandaient une assistance par rapport au milieu : ça veut dire qu’il fallait mettre un certain type d’engrais, qu’il fallait mettre des traitements...
Effectivement regardez, vous, qui êtes ici, si une grippe arrive, il est sûr que tout le monde ne sera pas malade. Parce que certains ont plus de résistance que d’autres. Mais si tout le monde était sur le même génotype, si vous tombez malade c’est tout le monde qui est malade. En fait, c’est les épidémies de grippe aviaire etc : c’est ce qui se passe : tous les élevages aujourd’hui sont sur des types d’homogénéité génétique, de clones, qui font qu’on augmente très rapidement dans le système industriel la diffusion des maladies.

On a donc changé cette approche-là, et donc peu à peu la communauté qui s’est occupée des plantes, ça a été la communauté des scientifiques, de ce qu’on a appelé les phytogénéticiens. Généticiens des plantes. Qui eux ont dit : nous on va améliorer, pour garder les variétés d’élite, à haut rendement, et c’est ça qu’on va mettre partout. Et c’est ce qu’ils ont fait. Ça s’est fait tranquillement dans les années 50, 60, et puis après ça s’est généralisé partout. De même pour les hybrides.
Et en faisant ça, ils ont incité les paysans à abandonner leurs variétés locales, qui étaient diverses, qui étaient bien adaptées à leurs types d’agricultures, et en leur proposant ces variétés améliorées, ils leur ont proposé engrais et mécanisation, et puis la plupart des paysans ont quitté pour aller dans les villes... Donc ça ça a été un phénomène général.

Mais les phytogénéticiens, après avoir lancé leur grande entreprise de “révolution verte”, ils se sont trouvés embêtés, parce que malgré tout, eux, pour continuer à améliorer les plantes, ils ont besoin des ressources génétiques des variétés paysannes. Or habituellement ils allaient dans les champs des paysans pour aller en rechercher, pour refaire des croisements avec leurs variétés améliorées. Là ils sont retournés dans les champs mais il n’y en avait plus, puisque tout le monde avait changé ses variétés, tout le monde était devenu avec des “variétés améliorées”. Enfin, qu’on appelle “améliorées” mais là on pourra refaire un point de discussion là-dessus.
Et donc, quand ils ont vu ça ils se sont dit : mais ça va être embêtant ça ! Où est-ce qu’on va trouver le gène de résistance à telle maladie, si tout le monde maintenant prend nos variétés homogènes d’élite. Alors ils se sont dit : on va collecter ce qui existe encore, et puis on va les mettre dans des frigidaires, dans des banques de gènes.
Et donc à partir des années 1970-1990, il y a eu un mouvement de collecte de toutes les variétés paysannes à travers le monde, sur les principales espèces cultivées, qui a été phénoménal, qui a été financé par l’organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture, la FAO, des missions où on ramassait tout, on prenait des échantillons de tout, et puis on les a ramenés pour qu’ils soient stockés dans des grands frigidaires, des banques de gènes. Il devait en exister au début des années 70 peut-être une dizaine ou quelques dizaines, à la fin des années 90 il y en avait 1500, banques de gènes, qui ont été construites dans tous les pays du monde. Aujourd’hui elles contiennent plus de 7 millions d’échantillons de variétés dont la plupart sont des variétés paysannes.

Donc ressources phytogénétiques ça veut dire semences paysannes. C’est important de le savoir. Parce que ce qu’il y a dans les banques des centres de recherche, ce sont les variétés de vos parents. Mais quel statut elles ont, à qui elles appartiennent ? Ça c’est très compliqué, je ne peux pas aller trop dans le détail. Mais sachez seulement que lorsque les gens ont collecté entre 1970 et 1990, elles n’avaient aucun statut reconnu, c’était la chose sans droit. On disait même que c’était “le bien commun de l’humanité”. Alors on peut dire, oui, c’est vrai que c’est le bien commun de l’humanité, mais...
Moi je suis un paysan d’une communauté sénégalaise, où j’ai une variété qui est une variété particulière, que nous avons fait co-évoluer avec ma communauté depuis des années, elle a un nom, elle a une histoire, elle appartient à cette communauté, on sait comment l’utiliser, elle rentre parfois dans des cérémonies religieuses... je ne peux pas dire qu’elle n’appartient à personne, elle est sous le droit collectif de ma communauté. Lorsque le chercheur vient et dit : c’est le bien commun de l’humanité, et le prélève, cette variété qui a un nom, par exemple, le mil des falaises Dogon, qui s’appelle torignon (??) - c’est un grand mil très particulier, dans les falaises dogons, ce sont les falaises dans le nord du Mali - avec un savoir faire et une civilisation très forte du peuple Dogon. Elle va devenir un numéro dans une banque de gènes. Là, elle n’est plus rien du tout, elle est simplement un numéro. Or elle a une histoire...
Donc cette diversité là, dans la banque, est-ce qu’elle va être toujours en lien avec la communauté ? Probablement pas...

Maintenant, de ce statut-là, elle a changé de statut en 1992 pendant le Sommet de la Terre de Rio, la convention sur la diversité biologique. Vous l’avez entendu, cette grande convention sur la biodiversité qui a eu lieu à Rio il y a plus de 20 ans...
Et là dans cette convention, il y a eu une négociation parce que les pays du sud ont dit : écoutez, vous êtes en train de nous dire que tout ce que vous prenez chez nous c’est le bien commun de l’humanité, vous vous les mettez dans vos banques, et là dans vos banques, au bout d’un moment vous les prenez pour des croisements et vous déposez un droit de propriété intellectuelle dessus. Vous ne trouvez pas que c’est injuste ? Et donc ils ont obtenu le fait qu’à partir de cette convention, les ressources génétiques des plantes et les variétés paysannes sont sous la souveraineté des Etats. Donc, on a changé... Maintenant... que les droits des communautés soient reconnues. Mais comment ? Ça dépend de l’Etat. Si l’Etat veut négocier avec la communauté, elle peut. Mais par contre, si un Etat dit : non, de toutes façons, c’est moi qui suis souverain, c’est moi qui traite avec l’industriel qui veut venir accéder à vos ressources, c’est un autre problème...
Parce que finalement cette convention, elle dit que les ressources génétiques sont sous la souveraineté des Etats, elle oblige les Etats à avoir des politiques d’utilisation durable de ces ressources, et aussi elle parle du “partage des avantages tirés de l’utilisation de ces ressources”. Ça veut dire : si vous gagnez de l’argent en utilisant ma variété, vous devez considérer que vous l’avez prise chez moi. Donc on est rentré dans un marchandage, un grand marchandage international depuis 1992. Tout ce qui a été collecté avant 1992 est resté sous statut “bien mondial de l’humanité”, on ne peut plus revenir dessus, c’est à dire que les Etats ne peuvent pas demander une quelconque souveraineté dessus. C’est à partir de 1992 que toutes les nouvelles collectes se font avec des accords d’agrément sur l’accès et des discussions sur le partage des avantages._
C’est pour vous dire que les choses évoluent...

Et je vous avais doncraconté ça pour vous dire que quand les phytogénéticiens - les sélectionneurs - ont constaté l’érosion génétique dans les champs, ils se sont dit : on va tout mettre en banque.
Maisle problèmec’est que les banques ça ne marche pas. Ça ne marche pas parce que d’abord ça coûte cher : c’est beaucoupd’énergie,c’estbeaucoup d’organisation, etc...Etpuis, il suffit que vous ayez une panne d’électricité - ou que le système de froid ne fonctionne pas - et tout germe, et donc finalement tout est foutu. Et puis dans beaucoup de pays il y a eu des conflits armés. Regardez récemment en Syrie. A Alep il y avait l’ICARDA - un centre international de recherche sur les zones arides, avec une des plus grandes banque de semences sur les blés, les orges, enfin toutes les plantes du Croissant Fertile. Eh bien aujourd’hui ce centre est complètement abandonné, et la banque de gènes est partie à la sauvette dans des camionnettes en Turquie et en Jordanie. Regardez l’Irak : quand elle a été bombardée, sa banque de gènes a disparu. Mais on peut dire : regardez la Côte d’Ivoire : à Bouaké où il y avait une banque de gènes, c’est la même chose... Donc, finalement, est-ce que ce système de banque de gènes est cohérent, est consistant ? Comme il coûte cher, finalement, même dans les pays riches on est en train de peu à peu larguer ces centres de ressources génétiques.

Là, moi je suis de la région de Montpellier. On a le plus grand conservatoire international de la diversité des cépages de vigne. Des milliers et des milliers de variétés de cépages de vigne, à Vassal, c’est à une trentaine de kms de Montpellier. Et là, l’INRA, donc l’Institut de recherche agronomique public, ne peut plus payer correctement les loyers qui sont proposés, parce qu’ils ne sont pas sur leurs terres, et puis, comme ce conservatoire a été mis à côté de la mer et qu’il y a - probablement avec le réchauffement climatique - une remontée des eaux, ça ne peut pas être durable. Donc là ils sont en train d’évacuer, et de voir comment ils peuvent le faire à moindres frais, etc...

Et puis bon, on peut multiplier les exemples de l’incohérence de ce système. En plus, imaginez que - lorsque vous prenez un échantillon comme ça : je prends un échantillon de mil des falaises dogons que j’ai mis ici, j’en ai pris 1 kilo, je suis très content, je l’ai dans ma banque. Mais demain vous avez l’Université d’Arizona qui vous dit : je voudrais, pour faire ma sélection, un échantillon. Vous lui envoyez cet échantillon. Après-demain c’est une Université chinoise qui vous le demande. Après-demain, c’est Monsanto qui vous le demande... Donc à chaque fois la banque donne un petit échantillon pour que les gens fassent des croisements avec. Au bout de 4 ou 5 ans, j’en ai plus, de graines ! Comment je vais les multiplier ces graines ? Je n’ai plus l’argent pour aller collecter le mil des Dogons... Dans ma station d’expérimentation, là, à St-Etienne, j’ai fait semer mon mil. Ça marche bien le mil à St-Etienne ! Mais je vais le protéger, je vais le mettre sous serre, etc, et après je vais tout ramasser, je le remets dans mon petit bocal et je vais dire : ça c’est le mil de la variété des falaises Dogons ... Pour un généticien, ça le fait pas. Pour vous je pense aussi...

Vous voyez bien qu’en fait la variété va être complètement transformée, ne serait-ce que par le climat, par les prédateurs, etc... Elle va probablement être conduite à côté d’autres variétés qui vont aussi se polliniser avec elle, parce que vous êtes dans des endroits restreints et clos. Finalement, vous n’allez pas du tout conserver ce que vous êtes censés conserver. En plus, dans pas mal de banques de gènes, aujourd’hui il y a des variétés OGM. Donc vous avez la possibilité d’avoir aussi des contaminations à l’intérieur des banques de gènes. Il y a 4-5 ans en Allemagne on a fait des manifestations devant la grande banque de gènes sur les blés parce que la banque de gènes elle multiplie et distribue les blés, et elle a loué des terrains à des compagnies qui font des essais d’expérimentation des blés OGM ! Ça perd complètement la cohérence de la conservation, même si c’est la conservation qu’on appelle ex-situ.

Et vous savez, cette conservation ex-situ, on la croit encore jouable dans le milieu scientifique : la preuve c’est qu’on a fait une banque de gènes de l’apocalypse, de la fin du monde, la banque de gènes de la fin du monde. Elle est installée en Norvège, dans le nord-nord de la Norvège, à côté du pôle nord, un endroit qui s’appelle Svalbard, et là on met une “sauvegarde” de ce qu’il y a dans les autres banques de gènes... En disant voilà, comment va le monde... ben au moins on aura ici un endroit où ça ne va pas bouger parce que c’est à -18°...
Moi je ne sais pas...
Le problème vient aussi du fait que : qui contrôle le système de banques de gènes internationales aujourd’hui ? Qui contrôle Svalbard ? qui contrôle la recherche agricole internationale, qui paie ? Vous avez encore cette banque mondiale, vous avez quelques pays, comme les Etats Unis, qui mettent des sous dedans, ou même l’Union Européenne, et puis vous avez aussi des fondations comme la Fondation Bill Gates, vous avez des privés qui mettent aussi des sous : Syngenta... des entreprises multinationales de la chimie qui mettent aussi des sous là-dedans : c’est à dire que le contrôle n’est pas du tout un contrôle public et démocratique. C’est un contrôle par des acteurs privés qui vont avoir le monopole sur la ressource génétique qui reste, puisqu’on la fait disparaître des champs des paysans. Et donc, c’est là où l’on va pouvoir avoir la ressource pour les plantes de demain. Et les plantes de demain ce sont des plantes qui sont forcément brevetées.
ça ça pose quand même un problème, ces plantes de demain brevetées ; ça nous a posé tellement un problème qu’on s’est mobilisé pour lancer et consolider tout ce qui pouvait faire repartir les agricultures paysannes autonomes en semences.

La vraie chance de survie : faire le choix des semences paysannes aujourd’hui

Parce que là il y a une vraie chance de survie : de faire le choix des semences paysannes aujourd’hui.
A la fois parce que, d’abord pour les agricultures vivrières, elles ne peuvent être souveraines pour leurs communautés que si elles ont le contrôle de leurs semences. Si elles doivent dépendre de semences extérieures qui arriveront quand on voudra bien leur fournir, qui seront achetées, donc payées, qui seront non reproductibles, qui seront dépendantes des intrants de l’agro-chimie qui contrôle aujourd’hui l’ensemble du secteur semencier, ils ne peuvent pas s’en sortir. Déjà rien que pour eux-mêmes ils ne peuvent pas s’en sortir.

En plus, le climat change... C’est pas petit, c’est énorme ce qui est en train de se passer ! Et on ne peut pas l’arrêter. Donc ce qui est en train de bouleverser les agricultures... : il n’y a de chances de s’adapter qu’avec une large diversité que l’on observe dans son champ et que l’on essaie de faire co-évoluer pour répondre aux aléas du climat. On ne peut pas le faire avec une seule variété. il faut plusieurs variétés, il faut que ces plusieurs variétés soient des variétés populations, ne soient pas des variétés clones. Il faut pouvoir être capable de regarder et de sélectionner régulièrement dessus. ça c’est l’enjeu pour demain.
Et cet enjeu là il est compris par tous les agriculteurs que nous fréquentons dans les réseaux de producteurs de semences paysannes. Que ce soit les africains, les indiens (il y avait une forte délégation au Sénégal, à Djimini, parce qu’eux, ils lancent une grande campagne sur les mils pour pouvoir défendre cette céréale qui est la céréale des zones arides, et qui est une céréale très nutritive et qui est trop souvent remplacée par le blé ou le riz d’importation, en particulier en Afrique, et ils voulaient qu’on crée un lien entre les deux réseaux : les réseaux africains et les réseaux indiens sur le mil...
Donc, c’est entendu par tous ceux qui sont dans une agriculture paysanne et dans une agroécologie, c’est à dire celle qui n’utilise pas les intrants chimiques que nous vend l’agrobusiness, et qui sont aussi dans une perspective de souveraineté alimentaire : ne pas dépendre de l’extérieur pour pouvoir se nourrir, produire ce que l’on consomme et consommer ce que l’on produit.

Cette démarche là elle est partagée, et elle est de plus en plus partagée. Elle est partagée par des petits, éparpillés, mais qui se mettent en réseau. Et ce que vous faites, ici, avec cette Maison de la semence, vous faites exactement, vous reproduisez, cette forme de résistance à travers ces échanges d’expériences, ces échanges de la diversité, pour pouvoir résister à ce “no futur” des plantes proposées aujourd’hui par l’industrie. Donc là je m’arrête pour qu’il y ait un débat...”