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Les ours roumains préfèrent le communisme

vendredi 5 janvier 2007, par Mohamed Chouieb

C’est ce que vient de révéler d’une manière implacable un sondage organisé par la " La société roumaine d’opinion de la vie sauvage " et qui a touché 5000 bêtes sauvages de première classe, celle qui trône au sommet de la chaîne alimentaire, celle des animaux qui nous ressemblent, les carnassiers, les prédateurs, ceux qui se nourrissent de la vie des autres, préalablement transformés en cadavres par leurs soins, bien sûr ! Et qui, en retour, reçoivent un peu d’estime et de respect de la part de leurs cousins humains.

Connaissant la Roumanie et les animaux comme je les connais, je vois déjà d’ici les difficultés que les sondeurs ont dû rencontrer, non pas pour communiquer avec ces bêtes car, en ma qualité de résident d’un pays fortement soumis à sondages, je suis bien placé pour savoir qu’un Q.I. de lézard suffit pour maîtriser la complexité des questions posées à cette occasion. Mais comment contacter les sondés lorsqu’on a affaire à des bêtes sauvages en liberté ?

Impossibilité d’utiliser le courrier car, comme chacun le sait, les prédateurs ont tendance à bouger au gré des exigences de leurs appétits et de leurs instincts et ne possèdent pas toujours de boîte postale, ni même de bureau de poste attitré. Et même si cela fut le cas, cette hypothèse ne peut être retenue, la poste roumaine privatisée depuis quelques mois, ayant décidé pour cause de rentabilité ou plutôt de profit, de ne distribuer le courrier que dans les grands centres urbains.
Pas question non plus de téléphone fixe pour les mêmes raisons que je viens de citer. Quant au portable, il n’est pas envisageable pour le moment, la nature agressive des Carpates a, non seulement, divisé pratiquement ce pays en deux, mais s’est aussi ingéniée à ériger une multitude de barrières naturelles qui font que sans un investissement lourd que seule une multinationale occidentale pourrait consentir, il ne peut avoir, du moins pour l’instant, de réseau GMS digne de ce nom dans les contrées où ces animaux résident.
N’empêche que les sondeurs ont réussi, malgré ces difficultés, à interroger 5000 représentants de la noblesse animale afin de se faire une idée sur l’opinion qu’ils avaient de l’Europe, critères d’adhésion obligent. Entamé il y a six ans, ce sondage vient de nous livrer ses résultats juste avant l’entrée de la Roumanie dans l’Union.
Et là, c’est la stupeur : alors que 76 % des humains étaient enthousiastes à l’idée de faire partie de l’Europe économique et, pourquoi pas ? politique, si cela pouvait un jour exister, 82,3 % de la gent animale y sont totalement opposés. Avec des pics ahurissants pour certaines espèces comme les ours qui y sont hostiles à 98,8% et 102 % se déclarant même encore très attachés au défunt système communiste.
Le choc a été tel qu’il se murmure en Roumanie que l’information aurait été illico communiquée à la C.I.A. qui mit aussitôt les ours roumains sous surveillance satellitaire renforcée avec imposition de passeport biométrique s’il leur venait à l’idée de se rendre aux U.S.A. !

Un autre sondage effectué cette fois-ci auprès des humains de Roumanie montrait que 99 % d’entre eux ( 76 % des pro-européens + 23 % des anti qui sont devenus pro, effrayés par des résultats du sondage animal ) n’arrivaient pas à comprendre les raisons de ce blocage d’un autre âge, ce refus anachronique de se laisser couler dans le fleuve mondial et ultra-libéral, de se vautrer dans le les douceurs de la concupiscence, d’entrer enfin dans l’ère de la consommation, ère sans cesse repoussée par l’ancien système politique heureusement, aujourd’hui honni et banni pour l’éternité.
D’autant plus qu’il y avait le risque, si par malheur cela venait à s’ébruiter, de voir l’Europe s’offusquer et renvoyer l’adhésion de la Roumanie aux calendes turques !

En réaction à cette situation, la mise au pas de l’espèce animale fut décrétée cause nationale et toute la population fut appelée à user de tous les moyens de coercition pour obliger les animaux à se déjuger, mais rien n’y fit : après des mois d’efforts, le non dominait toujours d’une façon insolente.

De guerre lasse, on chercha à connaître les raisons de ce refus et là, quelle ne fut la surprise lorsqu’on appris que les animaux sauvages craignaient tout simplement de perdre massivement la vie car des cousins venus d’autres pays se réfugier dans leur sanctuaire, leur avaient décrit le sort qui leur était réservé au sein de cette Europe : une coalition d’éleveurs, de chasseurs et de financiers leur livre une bataille permanente et sans merci pour les exterminer et transformer leurs montagnes en ces tristes pâturages que seules fréquentent des bêtes à cornes ou à toison, vils éléments de la gent animale, sans aucun sens de l’honneur, ni instinct de révolte, esclaves au service des humains depuis la nuit des temps.
Les bêtes roumaines ont expliqué qu’elles avaient bien essayé de se rassurer en minimisant le risque et en disant à leurs congénères de l’Union que dans leur pays aussi il y a toujours eu des chasseurs, même si pour cela il fallait posséder la carte du Parti, être un apparatchik ou invité d’apparatchik.
Mais quand elles comprirent que ce seront des milliers, voire des dizaines, des centaines de milliers de chasseurs qui allaient déferler sur leurs montagnes armés jusqu’au dents avec des armes de la dernière génération, des bombes à fragmentation, des lunettes de visée à infrarouges capables de détecter dans la nuit la plus noire le moindre trottinement de la plus petite musaraigne, des balles en uranium appauvri pouvant transpercer le blindage de vingt rhinocéros placés côte à côte, sans oublier les tenues camouflées et les 4 X 4 à seize roues guidés par satellite, des quads fumants et pétaradants, ils prirent vraiment peur et devinrent définitivement hostiles à l’Europe.

Au bout de quelques semaines de négociations infructueuses, les humains finirent par perdre patience et, par la voix de leur président, informèrent leurs administrés que l’Europe a accepté que l’opposition animale ne soit pas prise en compte dans les critères d’adhésion car tout le monde savait qu’une bête, finalement, c’est bête et têtu, et qu’il était difficile de lui faire sortir une idée de la tête si jamais elle parvenait à y entrer. Et gâcher une telle fête pour une histoire de bêtes sauvages serait incongru et non conforme aux Intérêts Supérieurs de la Nation et du Capital.
Moi qui suis particulièrement attaché à cette chère Europe que les nouveaux marchands du temple et les adorateurs du veau d’or édifient au pas de charge et à coups de privations infligées aux populations, j’accepte très mal que quelqu’un, même serait-il bête sauvage, puisse émettre le moindre doute sur la justesse de notre voie et les bienfaits qu’elle épandra inexorablement sur l’humanité tout entière.
Même si j’ai une idée sur son origine, médisance probable de quelque ours venu de Russie et qui voit d’un mauvais œil sa zone d’influence se rétrécir d’année en année, c’est peu vous dire que je trouve de mauvais goût et largement exagérée, la crainte exprimée par les bêtes sauvages de Roumanie .
Et les faits me donnent raison lorsque je lis sur le journal " Libération " du 30/31 décembre 2006 consacré à ce sujet :

 La Roumanie s’ouvre aux chasseurs de l’UE 
A compter du 1er janvier, date de son entrée dans l’UE, la Roumanie pourrait voir affluer les chasseurs d’Europe de l’Ouest, attirés par l’abondance d’animaux sauvages. Selon les quotas provisoires d’abattage, 300 ours, 500 loups, 500 chats sauvages et 120 lynx pourront être chassés durant cette saison 2006/2007.

Même si je sais que le journal ne cite que les espèces dignes d’intérêt et que sangliers, chevreuils, belettes, fouines, renards et autres mammifères feront forcément partie de dommages collatéraux massifs. Mais ça, maintenant, on en a l’habitude, en Occident. Notre cousin d’Amérique nous a bien éduqués.

Mohamed Chouieb
1 janvier 2007