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Ça se passe aussi comme ça, une expulsion de demandeurs d’asile...
A St-Jean-Bonnefonds, la solidarité des voisins et la résistance de la mère de famille n’avaient pas été prévues...
Les expulsions continuent. Les “5 jours d’hôtels” sont le couloir de la rue, un sas vers le vide. Que devient le “travail social” dans ces conditions ?
mercredi 12 juin 2013
St-Jean Bonnefonds - mardi 11 juin 9h - la famille Begani doit être expulsée de son logement ce matin.
Les parents, 3 enfants 10, 8 et 4 ans,
Une grand mère,
Issene, 4 ans, a un problème cardiaque qui nécessite une opération
Ils viennent du Kosovo et sont ici depuis au moins 3 ans et 2 années à st-jean-bonnefonds.
Rdv sur place ce matin à 9h
Une douzaine de personnes sont là, dont certaines de l’immeuble de 32 logements au milieu des lotissements.
Les 3 enfants vont à l’école. Mais ce matin leurs copains ne les retrouveront pas : expulsés, à quelques semaines de la fin de l’année scolaire.
La famille Begani a été déboutée de sa demande d’asile, comme 85% des familles qui demandent l’asile.
Dans les jours précédents, Thierry Honvault a organisé une réunion d’information à St-Jean.
Et un goûter solidaire va avoir lieu vendredi 14 juin.
Et contact a été pris avec le maire - facile : Thierry est conseiller municipal. Le maire a demandé un courrier écrit. Ce qui a été fait. Puis il a refusé de recevoir en disant que ce n’était plus de son ressort et qu’il ne pouvait plus rien pour cette famille...
Deux autres conseillères municipales ont bougé. L’une a mis une pétition à la boulangerie.
Hier, Thierry et d’autres ont beaucoup discuté avec la famille Begani, et déménagé et mis à l’abri ses maigres biens. Ce matin, à 9h il ne reste à "déménager" que la cuisinière. A 9h30, c’était fait, mise dans le coffre d’une voiture.
La famille est catastrophée de son expulsion. 5 jours d’hôtel au centre de st-étienne. Puis la rue. Avec les 3 enfants.
Mais les parents ne souhaitent pas "résister" à l’expulsion, et l’ont dit aux militants. Ils ont peur des suites possibles. Et tout le monde entend respecter cette décision. Ce matin on est donc là pour assister la famille, et montrer - en étant là et avec des pancartes - qu’on n’est pas d’accord avec ce qui se passe.
En plus, un référé a été déposé pour faire condamner la préfète, pour non respect du droit à l’hébergement. Le résultat est attendu pour les prochains jours.
Cet appartement de l’immeuble de la Ronze est géré par l’Entraide sociale Pierre Valdo (un "opérateur", associatif, qui gère des CADA (comme celui d’andrézieux) et aussi des appartements faisant partie du “Dispositif d’hébergement d’urgence - DHU”, comme ce logement de St-Jean, ou un autre logement deux allées plus loin, dans lequel est hébergée depuis deux ans une famille russe tchétchène, à st-étienne depuis 6 ans, avec 3 enfants, qui vont à l’école. Le père est là. Cette famille va être expulsée vendredi prochain. Elle n’a rien où aller. Dommage, parce que la préfecture vient de délivrer au père un récépissé de demande de titre de séjour, et l’autorise à travailler. Depuis le 7 juin, il court donc les agences d’intérim. Et Il cherche un logement. Mais comme il n’a pas d’emploi, on lui dit non.
Ce matin une assistante sociale de Pierre Valdo doit venir à 9h pour faire sortir la famille, fermer l’appartement et la conduire à l’hôtel des 5 jours.
Le temps passe, personne. Plusieurs mères de famille, et aussi quelques jeunes, viennent aux nouvelles. Certaines avaient entendu parler de quelque chose, mais rien de très précis.
Alors tout le monde découvre ce qui se passe, et reste là. Parce que c’est une façon de dire qu’on n’est pas d’accord. Et que c’est mieux que de rentrer chez soi en faisant semblant de ne rien voir.
Viendront, viendront pas ? Il est environ 10h quand un minibus arrive, avec l’AS. Et aussi une camionnette. 4 personnes de Valdo, donc, tous travailleurs sociaux.
L’AS dit bonjour à quelques personnes au bas de l’immeuble puis entre dans l’allée.
Là, ce qui se passe n’est pas du tout prévu : Mme Begani a fermé la porte de son appartement et refuse de partir.
Surprise, l’AS sort de l’allée et vient prendre à partie les personnes présentes. C’est de leur faute si Mme Begani refuse d’obéir et de sortir. Sans leur présence tout se serait passé calmement, sans problème - pour elle, s’entend.
Elle menace : si c’est comme ça, ça va être le centre de rétention. C’est tout ce que cette famille a à y gagner et ce sera de votre faute.
Un journaliste présent dira qu’il pensait avoir affaire à une assistante sociale, mais que là, dans ces conditions, il a plutôt affaire à un travail d’huissier.
Tout ça n’impressionne pas les présents, et les discussions continuent.
Pourquoi vous faites ça ?
Vous les mettez à la rue, 5 jours d’hôtel et puis la rue ?
Comment vous voulez qu’ils fassent ? Avec 3 enfants dont un de 4 ans qui a une maladie cardiaque, et vous allez les mettre à la rue, et vous n’attendez même pas la fin de l’année scolaire ?!
Sur les 4 travailleurs sociaux de Valdo, deux se taisent. Un autre argumente. Il est là pour “accompagner” la famille, pour que tout se passe bien. Et si personne ne pose de problème, ça se passera bien, il en a déjà fait des expulsions, depuis que ça a commencé début mai.
Il va s’occuper d’emmener des affaires, de faire les changements d’adresse de la famille, de prévenir les écoles des enfants...
Protestations :
Oui mais après 5 jours d’hôtel, cette famille sera à la rue ?!
En plus, il y a une loi qui dit que l’hébergement est un droit, qu’on soit ou pas débouté d’une demande d’asile. Et puis il y a les droits des enfants...
Il ne faut pas mélanger les problèmes, les associations et les dispositifs. Valdo s’occupe des demandeurs d’asile. Une fois la famille à la rue, elle relèvera de l’association Renaître pour son hébergement.
Mais alors, pourquoi ne vous mettez vous pas d’accord avec Renaître pour emmener cette famille dans un autre logement ?
C’est plus son problème. Il ne faut pas mélanger, sinon on ne s’en sortira pas. Et d’ailleurs :
ça servirait à rien : Renaître n’a pas de place pour loger cette famille...
Mais alors elle couchera dehors ! Et vous vous appelez “travailleurs sociaux” ??!! Et Entraide sociale Pierre Valdo ??!! Changez de nom, ni entraide, si social !! Il n’existe donc pas une éthique, une déontologie pour le travail social ?
“C’est pas ça la France”, dit une jeune femme, ““bien française””, et elle ajoute qu’heureusement que son mari n’est pas là, parce qu’il aurait du mal a assister à ça calmement...
Vous n’avez qu’à en trouver, vous, des solutions ! Vous n’avez qu’à les loger chez vous !
Et voilà, on y est. C’est pas original, mais on retombe souvent à ce niveau là...
Il ne sait pas que ça a déjà été fait, en avril 2010, à St-Etienne, par des militant-e-s de RESF et “Personne à la rue”, quand cette famille Begani et ces enfants couchaient dehors.
Une maman maghrébine, qui ira ensuite chercher du café pour tout le monde, lui pose une question difficile : tu as des enfants mon fils ?... Et tu fais ça ?
Silence.
Alors le minibus repart pour aller chercher deux directeurs de service de Pierre Valdo.
Au bout d’un moment ils arrivent. Ils commencent par dire que la situation est difficile pour tout le monde, qu’on doit bien comprendre que la situation n’est pas sans leur poser de problèmes, à eux aussi. Ce n’est pas de gaîté de coeur, et d’ailleurs si l’assistante sociale s’est énervée, a dit qu’elle avait été insultée (ce qui est faux) et a parlé de centre de rétention, c’est qu’elle même est sous pression et vit mal cette situation...
Mais ils sont quand même là pour le faire... Et l’un dit qu’il faut séparer deux choses : ce que leur travail les oblige à faire, et ce qu’ils en pensent, eux personnellement, en tant que citoyens - et ils en pensent pas moins - mais ils font ce qu’on leur a dit de faire.
Au fond, on a le droit d’être citoyens en dehors des heures ouvrables et les jours fériés.
Et le petit morceau qu’ils font n’est à leurs yeux pas trop scandaleux : ils veulent emmener cette famille hors du logement, jusqu’à l’hôtel. Ensuite ils auront d’autres choses à faire. Il y a d’autres familles à s’occuper...
En résumé : si chacun fait un petit bout, c’est pas trop lourd à porter.
Mais au final ça fait quand même de grands malheurs.
La banalité du mal. L’obéissance. Ces temps-ci on devrait faire des projections publiques du film Hannah Arendt de Margarethe von Trotta.
Pas fiers-fiers, quand même, les travailleurs sociaux chargés de faire ce boulot ce matin à St-Jean-Bonnefonds
à 12h30, on en était toujours là.
Dans l’appartement, l’assistante sociale avec un directeur de Pierre Valdo, et Mme Begani sa famille et ses enfants qui refusait de sortir.
Et dehors quinze à vingt personnes, qui continuaient à discuter. Une réaction des voisins que personne n’avait prévue ni même espéré. Mais qui est bien là.
La famille est partie vers 13h30. Thierry dit que
“Ils sont sortis de l’appartement à 13h37 sous les applaudissements, les pleurs et les embrassades des voisins toujours aussi nombreux.
Dehors, ils le leur ont dit : "vous pouvez sortir la tête haute, vous avez été été plus forts que ceux qui voulaient vous faire sortir, Bravo".
Entre temps, la maman magrébine a apporté à manger à la famille Begani et à tout le monde dans la rue.
On s’est organisé pour que les enfants finissent leur année scolaire sans trop de perturbations.
Malgré la gravité du moment, nous avons vécu ensemble un moment exceptionnel de rencontres, de solidarité, de dignité, de construction humaine pour tous ceux et celles qui ont vécu cet évènement, une expérience dure comme la vie l’est aujourd’hui. mais formidable comme les hommes savent la rendre quand ils s’unissent...”