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Ali Abunimah : la bataille pour la justice en Palestine

"On célèbre 10 ans de BDS, mais on ne veut pas célébrer 20 ans. Dans les 10 ans qui vont venir, on veut célébrer une Palestine libérée".

mardi 1er septembre 2015

Ali Abunimah, fondateur du site d’information "Electronic Intifada" était à Lyon le 10 juillet. Une rencontre à laquelle ont participé environ 120 personnes, dont une cinquantaine de la Loire, a eu lieu à la Maison des Passages...
Ali Abunimah y a longuement parlé de la campagne BDS/Boycott-Désinvestissement-Sanctions pour faire tomber l’apartheid israélien.

Ci-dessous des extraits de sa prise de parole et du débat... Ali Abunimah, palestinien vivant aux Etats-Unis, s’est exprimé en français.

Plus d’infos sur Ali Abunimah : rencontre avec Ali Abunimah

Il y a un an : le dernier massacre à Gaza...

(...) Alors, nous sommes là ce soir pour marquer et célébrer les 10 ans de la campagne de BDS - 10 ans de l’appel au BDS de la société civile palestinienne. Mais avant de parler de ça, il faut bien sûr se rappeler que c’est il y a un an qu’a commencé le dernier massacre israélien à Gaza : ça a commencé le 7 juillet 2014. Et je suis sûr que tout le monde connaît et se rappelle ce qui s’est passé à Gaza : 51 jours de bombardements, de destructions, de tueries. Israël a lancé sur Gaza l’équivalent de la bombe de Hisroshima si on mesure et si on compare. Et le résultat c’est destruction totale de plusieurs quartiers, il y a 2 251 personnes qui sont mortes et 551 parmi eux sont des enfants. Il y a plus de 11 000 personnes blessées, il reste aujourd’hui plus de 120 000 personnes sans abri. Leurs maisons, leurs habitations sont détruites.
Et on sait très bien ce qui se passe à Gaza, il y a par exemple ce rapport de Oxfam "Gaza après 1 an", et il y a beaucoup de détails, je ne vais pas entrer dans tous les détails... mais pour dire que après 1 an, toutes les promesses qu’ont fait la France, les pays européens, les Etats-Unis et les autres pour livrer 5 milliards de dollars en aides humanitaires, en aides de reconstruction, presque rien n’est arrivé. Avec le résultat que pas une seule des maisons qui ont été totalement détruites n’a été reconstruite pendant un an. Il y a des maisons qui étaient endommagées qui ont été réparées, mais des maisons - et c’est plus de 19 000 maisons détruites totalement - pas une est reconstruite.
Et il y a Oxfam qui dit : et avec tout ça il y a le blocus qui continue, et malgré la propagande israélienne qu’il y a des camions qui entrent à Gaza et tout ça, la réalité c’est que presque rien entre, ce qui entre c’est minuscule en comparaison avec les besoins à Gaza.
Et avec le résultat que selon Oxfam le chômage maintenant à Gaza est à 50%. Parmi les jeunes c’est à 60%. Et les exportations de Gaza - parce que Gaza produit des légumes, des fleurs, beaucoup de choses -, n’existent plus. Israël ne laisse presque pas... que quelques camions par mois, c’est insignifiant... Alors même le peuple palestinien à Gaza qui veut travailler, qui veut reconstruire, qui veut cultiver, ne peut pas...
Et en somme il y a une phrase dans ce rapport de Oxfam qui illustre la situation à Gaza : "au rythme actuel, il faudrait 67 ans pour reconstruire les maisons détruites à Gaza."

L’enquête de l’ONU est une nouvelle fois sans suite...

Et on sait très bien ce qui s’est passé à Gaza. Il y a d’abord les témoignages des palestiniens qui sont à Gaza, il y a les témoignages des journalistes qui étaient là sur le terrain, mais il y a aussi l’enquête qu’a menée l’ONU, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a mené une enquête indépendante, menée par un ancien juge de la Cour Suprême de l’Etat de New-York. Et c’est important de dire ça parce que on n’attend pas des responsables américains d’être très sympathiques aux Palestiniens, mais quand même, cette enquête indépendante a trouvé beaucoup de preuves sans doute qu’il y avait beaucoup de crimes de guerre à Gaza, beaucoup de violations du droit international. Et ce qui est important c’est que dans les 183 pages de cette enquête qui montre en détail ces crimes à Gaza qui incluent le ciblage délibéré des maisons des gens, l’élimination totale de plusieurs familles, la destruction d’infrastructures civiles... que ce n’était pas des actes commis simplement par des soldats sur le terrain : c’était des décisions politiques, comme dit l’enquête : "by décisions makes of the hights levels of the governement israelian". C’était la politique des plus grands responsables du gouvernement d’Israël.
Alors cette enquête devrait être la base d’une poursuite en justice de ces criminels, de ces suspects dans ces actes et ces crimes. Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Après la publication de l’enquête, il y avait un projet de résolution envoyé au Comité des droits de l’homme à Genève, pour voter, pour accepter cette enquête, et on a voté, et on a accepté. Il y a un seul pays qui a voté contre cette résolution, c’était les Etats-Unis. La France a voté pour cette résolution. Mais avant de féliciter la France, rappelons-nous ce qui s’est passé : ce projet de résolution, avant d’être voté, la France, les autres pays de l’Europe, ont travaillé avec l’Autorité palestinienne pour affaiblir le texte, pour que ce ne soit que des mots sur le papier : il n’y a aucune conséquence, rien ne va se passer, c’est seulement une résolution, et les israéliens n’ont rien à craindre de cette enquête. Et c’est grâce à la France, grâce à l’Allemagne, grâce à l’Autorité palestinienne, parmi d’autres.
Et ce n’est pas la première fois que ça se passe comme ça. On sait qu’en 2009 il y avait un massacre à gaza, et après il y avait l’enquête du juge Richard Goldstone, et on a fait la même chose.
Et revenons 11 ans, en 2004, les Palestiniens attendaient le jugement de la Cour Internationale de la Justice sur la question du mur en Cisjordanie. Et la Cour a condamné le Mur, elle a dit : le mur est illégal, ça doit être démoli, et les colonies sont illégales. A ce moment, les Palestiniens ont constaté que déjà en 2004-2005 il y avait des décennies d’expériences on sait que résolution après résolution est votée et rien ne se passe...

La campagne d’appel au boycott : pour casser l’impunité d’Israël

Alors c’est à ce moment qu’ils ont décidé de casser, d’essayer de casser ce cycle d’impunité et de lancer la campagne BDS. Alors ça fait exactement 10 ans et un jour qu’ils ont lancé l’appel au BDS, l’appel au boycott, désinvestissement et sanctions, le 9 juillet 2005. Et je sais que beaucoup parmi vous vous êtes très familiers avec ce texte, mais j’espère qu’il y a des gens ici qui sont venus par curiosité, pour voir ce que c’est que le BDS... et alors je vais lire une partie de cet appel, et c’est bien aussi pour les autres, pour nous rappeler ce que c’est que le BDS...
"A la lumière des violations persistantes du droit international par Israël,
étant donné que depuis 1948 des centaines de résolutions de l’ONU ont condamné les politiques coloniales et discriminatoires d’Israël en tant qu’illégales, et ont appelé à des remèdes immédiats proportionnés et efficaces,
étant donné que toutes les formes d’intervention internationales et de tentatives de paix n’ont pas jusqu’ici convaincu ou forcé Israël à se conformer à la loi humanitaire, à respecter les droits de l’homme fondamentaux et à mettre fin à son occupation et son oppression du peuple de la Palestine,
en raison du fait que les personnes de conscience parmi la communauté internationale ont historiquement endossé leur responsabilité morale de combattre l’injustice comme illustré dans la lutte pour abolir l’apartheid en Afrique du Sud par diverses formes de boycott, de retrait d’investissement et de sanctions,
inspirés par la lutte des Sud-Africains contre l’apartheid, et dans l’esprit de la solidarité internationale, de la cohérence morale et de la résistance à l’injustice et à l’oppression,
Nous, représentants de la société civile palestinienne, invitons les organisations des sociétés civiles internationales et les gens de conscience du monde entier à imposer des larges boycotts et à mettre en application des initiatives de retrait d’investissement contre Israël tels que ceux appliqués à l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid.
Nous faisons appel à vous pour faire pression sur vos Etats respectifs afin qu’ils appliquent des embargos et des sanctions contre Israël,
nous invitons également les israéliens honnêtes à soutenir cet appel dans l’intérêt de la justice et d’une véritable paix.
Ces mesures de sanctions non violentes devraient être maintenues jusqu’à ce qu’Israël honore son obligation de reconnaître le droit inaliénable des Palestiniens à l’autodétermination et respecte entièrement les préceptes du droit international en :

- 1 - mettant fin à son occupation et à sa colonisation de toutes les terres arabes et en démantelant le mur
- 2 - reconnaissant les droits fondamentaux des citoyens arabo-Palestiniens d’Israël à une égalité absolue,
- 3 - respectant, protégeant et favorisant les droits des réfugiés palestiniens à revenir dans leurs maisons et propriétés comme stipulé dans la résolution 194 de l’ONU"
.

... Et ça a été approuvé par les partis politiques, les syndicats, les associations, les coalitions et les organisations palestiniennes, c’est plus de 1170 organisations à l’époque qui ont signé.

La grande nouveauté de cet appel au BDS : il concerne tout le peuple palestinien

(...) Alors cet appel était révolutionnaire, parce que à l’époque on parlait toujours et il y a certains qui parlent encore d’un processus de paix, d’Oslo, des négociations qui vont mener à deux Etats un à côté de l’autre, en paix... et toute cette réthorique caduque pour utiliser le mot de Yasser Arafat... toute cette réthorique caduque du processus de paix... Mais ce qu’il est important de constater ici, c’est que les accords d’Oslo et le processus de paix officiel à l’époque, et toujours si on pense au projet de résolution que la France veut amener à l’ONU en septembre - je ne sais pas s’ils ont abandonné, mais on parlait de ça récemment - toute cette réthorique de paix parle seulement, exclusivement, des territoires occupés en 1967, comme si la Palestine ce n’est que la Cisjordanie et Gaza.

Ce qui est révolutionnaire dans cet appel c’est qu’on parle de tout le peuple Palestinien, ça réunit tout le peuple Palestinien : le peuple vivant dans les "Territoires occupés 67", les Palestiniens vivant en Israël et les réfugiés. Et ça c’était assez révolutionnaire...

(...) Moi je ne crois pas que j’étais tout à fait conscient, je ne dirai pas que j’étais tout à fait conscient, le 10 juillet 2005 que cet appel est sorti. Il n’y avait pas eu un grand bruit autour de ça. Mais très vite les militants, les personnes qui s’occupaient de la Palestine ont adopté, ont donné leur soutien à cet appel. Mais je me souviens qu’il y avait beaucoup de gens qui étaient septiques, même des militants, même et surtout beaucoup de Palestiniens aussi, qui disaient que le boycott ça ne va pas marcher comme en Afrique du Sud. Parce que "rappelons-nous que l’Afrique du Sud n’avait pas ce réseau international de soutien" : les gens disaient des choses comme ça, alors ce n’est pas vrai, il y avait beaucoup de soutien pour l’apartheid dans le monde, mais on disait qu’Israël est très fort, très important dans le monde, il a beaucoup de soutiens surtout des Etats-Unis, il y a un lobby pro-Israël aux Etats-Unis qui est très très puissant etc...
Et on disait ça il y a 5 ans, peut-être on disait ça il y a 3 ans, il y a deux ans, il y a un an on disait ça... et maintenant on ne peut pas nier que le BDS est un facteur très important dans le rapport des forces entre les Palestiniens et Israël...

Déjà beaucoup de victoires pour la campagne BDS

Il y a une organisation militante aux Etats-Unis, une coalition qui s’appelle The US campaign and the realy occupation..." qui est très active dans les campagnes de BDS... Ils ont publié aujourd’hui une liste de 100 victoires BDS en 10 ans... Et il y a peut-être plus de 100 victoires... mais on peut constater qu’il y a beaucoup de luttes, beaucoup de campagnes, beaucoup de batailles, il y a des victoires, il y a des échecs, mais même les échecs sont très très importants, parce qu’il y avait plus d’échecs il y a 10 ans, il y a plus de victoires maintenant. Mais il y a des progrès c’est l’important.
Et on voit que beaucoup de ces batailles ont été menées en France et en Europe, et on peut parler par exemple de Véolia, et la campagne de Véolia est une très grande réussite. C’est une société française, multinationale... les responsables même de la société admettent que les campagnes BDS lui ont coûté des milliards d’euros en contrats perdus, en Europe, en Angleterre, en Suède, en France, et dernièrement Véolia a retiré presque tous ses investissements d’Israël, grâce à ces campagnes.

Mais ça n’en reste pas là (...) ça a même marché aux Etats-Unis et il y avait des victoires très importantes contre Véolia, par exemple à Boston, et à St-Louis, Missouri, un des Etats les plus conservateurs des Etats-Unis, ou Véolia a été viré de St-Louis, Véolia devait prendre un contrat pour gérer l’eau de la ville de St-Louis et l’important ce n’était pas seulement le Palestine Solidarity Comitee de St-Louis qui a travaillé sur ça, c’était une coalition entre plusieurs organisations, parmi eux les écologistes et les syndicalistes, parce que ce n’était pas seulement les Palestiniens qui s’opposaient à Véolia, ça aurait fait des dégâts à l’environnement et à l’emploi public. Alors c’était parce qu’il y avait ce travail de base qu’on a réussi à virer Véolia de St-Louis.

Et en somme, parce qu’on ne peut pas entrer dans toutes les différentes campagnes, mais on peut constater qu’il y a des dégâts importants que subit Israël grâce au BDS. Le mois dernier, l’organisation de l’ONU UNCTAD qui s’occupe du commerce international a publié son rapport annuel sur le - ça s’appelle The World Investissement Report - sur l’investissement global, et ils ont relevé qu’en 2014 le montant des investissements étrangers en Israël a chuté de 50%. Et il y a l’économiste israélien Rony Manoski qui est d’ailleurs un des auteurs de ce rapport de l’ONU a dit au journal Yediot Aharonot en Israël : nous croyons que ce qui a mené à cette chute dans les investissements en Israël c’est l’attaque sur Gaza (qu’ils appellent Operation protected...) et le boycott. Alors c’est très important.
On voit aussi ... on sait que quand il y a des évènements, des guerres, des conflits, des attentats terroristes dans un endroit, que le tourisme chute. Et ça s’est passé l’été dernier en Israël, surtout quand la résistance palestinienne a réussi à fermer l’aéroport de Lod pendant quelques jours, presque une semaine. Il y avait les compagnies de voyage qui ont annulé des milliers de voyages touristiques en Israël. Mais normalement il y a une chute et puis il y a un rebond. Mais l’intéressant c’est quand Israël, il n’y a pas de rebond. Et c’est ça qu’a révélé aussi Ynet le journal israélien au mois de mai : que, je vais lire cette phrase de Ynet : "malgré les espoirs de reprise depuis 3 mois après l’opération de l’été dernier, il semble que la crise ne fait qu’empirer... le nombre de touristes baisse, le nombre de séjours dans les hôtels décline et le nombre de tours organisé a vraiment été de manière significative en baisse".

Il y a d’autres indications aussi : par exemple il y avait un rapport du gouvernement d’Israël, un rapport interne qui a été publié dans la presse il y a une semaine, qui dit qu’un boycott total coûtera à Israël plus de 12 milliards d’euros par an si les consommateurs en Europe arrêtent d’acheter les produits israéliens. Alors, c’est facile de comprendre pourquoi Israël dit que le BDS est une menace stratégique, au même niveau que l’Iran. Et c’est des responsables israéliens qui disent ça presque tous les jours... et on peut voir qu’Israël essaie de lutter contre le BDS par plusieurs moyens, et que dernièrement ils ont fait des allocations budgétaires de 30 millions de dollars pour lutter contre le BDS, ils ont nommé un ministre pour combattre le BDS : Gilad Adam, mais tout ça ce n’est pas nouveau, ils ont commencé à faire ça en 2010, et on voit le résultat aussi - on va parler de la poursuite des militants en France et aux Etats-Unis - ça fait partie de cette contre-attaque israélienne...

L’aide du gouvernement israélien lui-même...

Mais il faut dire que je suis très très heureux, très très satisfait du gouvernement israélien qui existe maintenant après les élections. Parce que les ministres israéliens comme Ayelet Shaked, ministre de la justice, qui a l’été dernier appelé au génocide des Palestiniens - et c’est Electronic Intifada qui a révélé ça, elle a écrit en hébreu sur son facebook qu’Israël devait tuer les mères, les mamans, pour qu’elles ne donnent pas naissance à des serpents, ce n’était pas seulement sur Electronic Intifada c’était sur les médias du monde qu’une député israélienne appelait à tuer les mamans palestiniennes... - Il y a Miri Regev, qui est ministre de la Culture, qui a comparé les réfugiés et les immigrés de l’Afrique, a dit qu’ils étaient comme le cancer en Israël, et quand on lui a reproché ça, elle s’est excusée aux malades du cancer : elle a dit je m’excuse que je vous ai comparé aux africains... elle est maintenant ministre de la Culture.
Il y a Tsipi Hotovely qui est ministre député des affaires étrangères qui a dit quelque chose d’aussi horrible... Mais l’important c’est que ce gouvernement va annuler tous les efforts de propagande seulement en ouvrant sa bouche...
Il y a bien sût Naftali Bennett qui est ministre de l’Education nationale, qui a dit l’année passée, vous vous souvenez, quand Israël a tué les 4 garçons de la famille Bakr qui jouaient au football sur la plage à Gaza, il était sur CNN, on lui a posé une question sur ça, il a dit : bien sûr, ce n’est pas la faute d’Israël, c’est la faute du Hamas qui utilise les enfants comme bouclier et les palestiniens sont en train de mener un auto-génocide. C’est ça qu’a dit Naftali Bennet, le ministre de l’Education. C’est le même ministre qui a aussi dit il y a deux ans qu’il a lui même, quand il était à l’armée, tué beaucoup d’arabes, il n’y a pas de problème avec ça, il est très très fier...
Alors, c’est la qualité des ministres qu’on embrasse et qu’on aime recevoir à l’Elysée, et à Ten downing street, et à la Maison blanche à Washington. Mais je crois vraiment qu’ils nous aident, parce que vraiment ça ne sera pas (moins) pire pour les Palestiniens si la soi-disant gauche israélienne était élue, parce qu’ils continuent - rappelons-nous que c’était la gauche qui a commis le massacre à Gaza en 2009, et qui a imposé le blocus sur Gaza.

La campagne BDS est une campagne anti-raciste

Alors cette lutte d’Israël contre le BDS comprend aussi comme on a dit les accusations d’antisémitisme. Et quelque chose d’autre qui est... l’effort de faire l’amalgame entre l’antisémitisme et l’activisme pour les droits des Palestiniens, et encore plus sérieux faire l’amalgame entre Israël et le sionisme d’un côté, et les Juifs de l’autre.
Il y a l’exemple très clair de ça, ça date du 18 juin, et c’est un article de BHL - on dit aux Etats-Unis qu’il est le plus grand philosophe français... (rires)... mais le titre de l’article c’est : "une étoile jaune pour l’Etat juif" ... alors moi je trouve ça dégoûtant la tentative d’utiliser la Shoa comme bouclier pour Israël... Mais il ne donne aucun exemple d’antisémitisme dans cet article, il parle des campagnes "le débat sur l’étiquetage de certains produits"... il ne dit pas que c’est des produits de colonies illégales. Il parle seulement des campagnes très éthiques et morales de BDS.
Bien sûr cette accusation d’antisémitisme est très très grave, et c’est toujours nous qui... nous sommes toujours dans la position de nous défendre contre ces accusations. C’est très très clair que l’appel de BDS, les militants palestiniens, la direction palestinienne de cette campagne sont très très clairs qu’ils sont contre toute forme de racisme. Et il faut être clair que le BDS est une campagne antiraciste. Il faut être clair aussi que, en France, comme aux Etats-Unis, et je vais parler un peu de ça aussi, nos camarades de confession juive sont une partie très très importante de ce mouvement.
Alors c’est très très clair que nous devons lutter nous-mêmes contre toute forme de racisme. On ne prend pas de leçons des agitateurs sectaires et communautaristes comme BHL. Mais c’est vrai que cet effort prend différentes formes dans les différents pays. On a vu qu’en France il y a poursuite en justice des militants de BDS dans plusieurs villes. Aux Etats-Unis on ne peut pas faire ça parce qu’il y a des protections constitutionnelles pour l’expression libre qui n’existent pas en France malgré que c’est l’Etat de Charlie (rires )... Aux Etats-Unis on ne peut pas... Moi je ne suis pas Charlie parce que je ne suis pas français, mais peut-être... Mais on ne peut pas prendre des militants en justice aux Etats-Unis pour incitation à la haine, toutes ces histoires, ça n’existe pas. Mais on trouve d’autres moyens pour essayer de supprimer ou d’interdire la militance BDS. Et il y a des différences entre la France et les Etats-Unis...

Les progrès de BDS et de la solidarité avec la Palestine aux Etats-Unis...

Je constate que la plupart des campagnes de BDS aux Etats-Unis sont dans les Universités et dans les Eglises. Mais surtout dans les Universités, et je vais expliquer pourquoi... C’est parce qu’aux Etats-Unis les Universités - il y a des milliers d’Universités, plus de 3000 ou 4000 Universités aux Etats-Unis - la plupart sont privées mais beaucoup sont publiques aussi, et beaucoup des plus importantes comme l’Université de Californie sont publiques, et presque toutes les Universités ont de très grands fonds d’investissement. Pour la retraite et pour générer des revenus pour leur fonctionnement, pour leurs opérations.
Alors traditionnellement les étudiants et les autres mettent des pressions sur l’Université pour que ces fonds d’investissements soient investis de manière éthique. Alors historiquement il y avait de grandes campagnes pour que les Universités retirent leurs investissements des sociétés qui travaillaient en Afrique du Sud. Il y a d’autres exemples comme le Soudan et aussi dans les sociétés privées qui profitent des prisons, parce qu’il y a beaucoup de prisons privées aux Etats-Unis. C’est des exemples, il y a une grande tradition de faire pression sur les Universités. Alors c’est pour ça qu’on voit que les Universités sont des centres de BDS aux Etats-Unis, et les Eglises aussi, parce que les Eglises aux Etats-Unis sont très riches, les Eglises en France sont propriété de l’Etat, aux Etats-Unis ça n’existe pas, les Eglises sont privées, sont des organisations sans but lucratif mais privées, et beaucoup ont de très grands fonds d’investissement et de retraite. Alors c’est la même chose qu’avec les Universités...
Alors les organisations sionistes essaient d’utiliser les systèmes disciplinaires des Universités pour poursuivre les étudiants, pour les virer, pour les faire punir, parfois on essaie de les amener en justice par des "poursuites privées" et tout ça n’empêche pas le mouvement BDS de croître aux Etats-Unis.

Des changements en profondeur sont en cours aux USA

(...) Dire quelques mots aussi sur ce qui se passe aux Etats-Unis au niveau politique. Parce que vous savez que l’année prochaine il y a les élections aux Etats-Unis, et je suis très heureux et très fier que dernièrement, Hilary Clinton a déclaré qu’elle va, si elle est élue présidente, lutter contre le BDS. Elle est déjà amie d’Israël, mais maintenant elle va être meilleure amie... Et elle a annoncé qu’elle va lutter contre BDS. C’est important pour moi, très très positif que le BDS soit maintenant à ce niveau qu’on va parler de ça aux élections présidentielles. Au plus haut niveau, et vous allez entendre ça...
Mais en même temps, on peut constater qu’il y a des changements en cours aux Etats-Unis, des tendances très importantes qui font vraiment peur à Israël et aux organisations pro-Israël aux Etats-Unis. C’est un changement social et démographique plus large - je vais vous donner un exemple...
Il y avait un sondage il y a un an pendant la guerre contre Gaza, un sondage de Gallup, qui a trouvé que, de manière générale, les américains qui trouvaient que les actions d’Israël contre Gaza étaient justifiées, étaient 42%. C’est beaucoup, mais c’est bas dans le contexte des Etats-Unis. Et ceux qui croyaient que ce n’était pas justifié étaient 39% - presque égal...
Et si vous connaissez les Etats-Unis, normalement c’est 60 ou 90% qui sont avec Israël et 5% qui sont avec les Palestiniens. Alors ça c’est une chose... Mais si on approfondit et qu’on regarde, il y a des différences importantes : la majorité des hommes soutenait les actions d’Israël, la majorité des femmes s’opposait... c’est toujours comme ça.
Parmi ceux qu’on appelle les blancs - the white americans... - dans ce sondage, 50% soutenaient l’action d’Israël, et 34% s’opposaient. Et parmi les "non white", ceux qu’on appelle les "non white" dans ce sondage - alors tout le monde qui n’est pas blanc - c’était l’inverse : seulement 25% ont justifié les actions d’Israël, et la moitié s’opposait. C’est sans précédent aux Etats-Unis, c’est un grand changement. Et si on regarde les différences entre les générations : entre 18 ans et 29 ans, c’était la même chose que pour les non-white : seulement 25% justifiaient l’attaque, et 51% s’opposaient... mais pour les plus âgés, les âgés de 50 ans et plus, c’est l’inverse encore. Alors, ça ce n’est pas un sondage seulement, il y en a d’autres qui montrent qu’il y a des tendances consistantes. Il ne faut pas les exagérer, croire que du jour au lendemain ça va changer aux Etats-Unis, mais c’est des tendances consistantes et importantes, durables. Et qui montrent que - et ça reflète des tendances qu’aux Etats-Unis les jeunes et les non-whites sont plus progressistes que les plus âgés et les white... Et c’est comme ça qu’on explique aussi les changements comme l’introduction du "same sexe mariage", le mariage des homosexuels.
En 10 ans il y a un changement total, et on dit que c’est grâce aux jeunes, grâce à des changements démographiques. Et ça montre que - on a une expression aux Etats-Unis : "progressive except Palestine", PEP : si on dit que quelqu’un plutôt gauchiste est "progressive except Palestine", ça veut dire qu’il est "bon pensant" sur toutes les causes de gauche sauf la Palestine. ça existe peut-être en France... Mais historiquement, aux Etats-Unis on a constaté que les mouvements de gauche, par exemple dans les années 80, même les mouvements contre l’apartheid en Afrique du Sud, ils étaient contre l’apartheid, avec le Tibet, avec les peuples indigènes en Amérique centrale... tout ça ils luttaient, sauf la Palestine. La Palestine toujours était marginalisée. Ce qu’on constate maintenant, c’est que dans les mouvements des étudiants - et comme j’ai dit c’est le plus important forum de BDS aux Etats-Unis, dans les mouvements comme "Students for Justice in Palestine"... - , on trouve que la Palestine est maintenant au sein des mouvements progressistes aux Etats-Unis. C’est un changement, ça fait peur à Israël.
Et je vais dire que c’est lié à autre chose : c’est que maintenant aux Etats-Unis, on commence à avoir - ça a toujours existé mais il y a une augmentation de la militance de base surtout contre le racisme et la violence de la police aux Etats-Unis, que vous avez bien vue, cette tuerie systématique des citoyens noirs, et ce qu’on appelle "mass incorporation" : l’incarcération de masse : il y a en France à peu près 65 000 personnes en prison. Aux Etats-Unis c’est plus de 2 millions de personnes, et la plupart sont des non-whites. Alors on voit l’augmentation des mouvements de base.

La mise en cause de la collaboration Etats-Unis/Israël pour l’occupation et l’industrie sécuritaire et d’armement

Et ce que je constate dans le livre c’est que ce n’est pas par hasard que ce sont les mêmes hommes et femmes politiques qui soutiennent Israël qui soutiennent aussi les politiques racistes aux Etats-Unis. Monsieur Obama parle des "share values" avec Israël, les "valeurs partagées", quand il parle des valeurs partagées, il veut dire la démocratie, les droits humains, qu’Israël et les Etats-Unis sont les lumières pour le monde et tout ça... Mais les vraies valeurs partagées d’Israël c’est cet état d’esprit qui voit les Palestiniens d’un côté et les non-whites d’un autre côté comme un ennemi interne, comme une population de "surplus" qui doit être contrôlée par des moyens très agressifs et violents. Et on voit une exportation des technologies qu’Israël développe en utilisant les Palestiniens comme moyens de recherche, moyen d’expérimentation. Exporter ça aux forces de police aux Etats-Unis, et aussi pour la militarisation de la frontière Sud des Etats-Unis : on voit par exemple qu’Obama a donné un grand contrat à la société israélienne Elbit System, c’est une société qui fabrique les armes qui tuent les Palestiniens, qui a construit le Mur... Ils ont maintenant un contrat pour faire ce qu’on appelle "le mur invisible", un mur électronique sur la frontière des Etats-Unis. _ Et on voit aussi, j’ai détaillé ça dans le livre, des voyages organisés systématiques des commandants des forces de police de toutes les grandes villes des Etats-Unis en Israël pour faire de l’entraînement, ils reviennent aux Etats-Unis pour dire oh les Israéliens ce sont les experts du monde pour combattre le terrorisme, la drogue, les gangs etc etc...
Alors on voit dans les Universités... c’est un début, c’est pas assez, mais c’est la tendance très prononcée, une convergence entre les luttes des Palestiniens et les autres luttes comme celles dont j’ai parlé. Et ce n’est pas seulement parce que c’est éthique et moral qu’il faut faire ça, mais c’est par nécessité, parce qu’on voit que c’est les mêmes hommes politiques, les mêmes sociétés, qui profitent de l’occupation, qui profitent du "mass incorporation" aux Etats-Unis, qui profitent de la violence des Polices. Et on ne peut pas gagner sauf quand on mène une lutte conjointe.

Alors pour terminer, je veux vous remercier encore une fois pour votre militance. C’est très très important, c’est très très inspirant, pas seulement pour le peuple palestinien, mais aussi pour les autres militants du monde qui regardent la France, qui regardent vos efforts, même face à cette oppression et ces efforts de supprimer et de criminaliser vos campagnes. Alors continuez à être courageux, et à nous montrer comment lutter pour les droits des Palestiniens.
Et je veux dire qu’on peut avoir confiance qu’on peut gagner les droits, tous les droits de tous les Palestiniens. On est ici ce soir pour célébrer, pour marquer 10 ans de BDS. Mais on ne veut pas célébrer ou marquer 20 ans de BDS. Dans les 10 ans qui vont venir on veut célébrer une Palestine libre et libérée.

La discussion...

Question d’Atmane sur "l’Autorité Palestinienne, et la démocratie, la représentativité de cette instance qui est censée représenter politiquement la Palestine et le peuple Palestinien"... Question posée suite à la récente assemblée de la FIFA (football) à Zurich en Autriche, et à la mobilisation pour l’exclusion et le boycott d’Israël au niveau de la FIFA, surtout que les sportifs palestiniens ont eu beaucoup de victimes... Mais au dernier moment, les responsables palestiniens ont retiré de l’ordre du jour cette demande et il n’y a même pas eu de vote...

Ali abunimah : Ce qu’a fait l’Autorité Palestinienne à la FIFA, c’est le moins grave de ses actes de trahison contre les droits du peuple Palestinien. Parce que ce qu’on a vu - c’était à Zurich - s’est reproduit avant avec les résolutions sur les enquêtes sur les massacres de Gaza. Plusieurs fois. L’Autorité Palestinienne, qui est dépendante des financements de l’Europe et des régimes arabes et des Etats-Unis et des autres, est très vulnérable à des pressions comme vous l’avez vu.
La chose importante c’est qu’un mouvement comme le BDS ne peut pas être soumis aux pressions comme ça, parce que c’est des militants indépendants qui ne sont pas liés à des gouvernements, qui n’ont pas des agendas gouvernementaux, et ça nous donne la résistance contre toute pression.
Il faut constater que l’Autorité Palestinienne a essayé à plusieurs reprises de "coopter" le BDS, de soutenir mais de manière partielle pour le limiter et le contrôler. Par exemple, il y a quelques années, ils ont lancé la campagne contre les produits des colonies. Ils ont dit aux Palestiniens, même en Cisjordanie : il ne faut pas acheter les produits israéliens. En même temps ils disaient aux Israéliens : nous Palestiniens nous ne boycottons pas Israël, nous sommes contre le boycott d’Israël. Mahmoud Abbas lui-même l’a dit en Afrique du Sud, vous vous souvenez peut-être de ses propos... Les Palestiniens étaient furieux... Mais il l’a dit en Afrique du Sud, des responsables Palestiniens l’ont dit à plusieurs reprises dans la presse israélienne. C’était un effort de coopter le boycott et de le limiter...
Il faut revenir toujours à l’appel de BDS, qui ne parle pas seulement des Territoires occupés de 67 mais de tous les droits de tous les Palestiniens, qui sont indivisibles et inaliénables. Alors c’est pour ça que moi je savais qu’il y avait de grands efforts très sincères de militants, surtout de France, beaucoup qui sont allés à Zurich et qui ont mobilisé avant, mais j’avais un sentiment dans mon coeur que quelque chose comme ça allait se passer parce que quand c’est dans les mains de l’Autorité Palestinienne, on ne peut pas avoir confiance. Il faut être clair. J’ai utilisé des mots très très durs à Bordeaux : quelqu’un ma demandé : qu’est-ce que vous pensez de l’Autorité Palestinienne ? Et j’ai dit que, pour faire simple en France, l’Autorité Palestinienne, c’est Vichy, tout simplement.

Question : quelle est votre position sur le boycott des Universités israéliennes et des structures culturelles ?

Ali Abunimah : Le boycott académique et culturel, je soutiens tout à fait, parce que c’est un boycott qui est très éthique, très moral, très précis, il y a des lignes directives publiées par les Palestiniens, par les campagnes de boycott académique et culturel, qu’on trouve sur le web, qui délimitent le boycott, parce qu’il y a beaucoup de propagande qui vient d’Israël qui dit que c’est un boycott d’individus parce qu’ils sont de nationalité israélienne, ou qui dit que le boycott académique va faire des dégâts à la liberté d’expression, la liberté académique ou tout ça.
Ce n’est pas vrai, c’est un boycott d’institutions qui sont complices dans les crimes d’Israël, et on voit que toutes les Universités en Israël ont soutenu ouvertement la guerre, les massacres à Gaza, ont donné des bourses et des privilèges aux étudiants soldats qui ont participé aux massacres à Gaza. Et il y a une longue histoire des Universités en Israël qui travaillent pour l’armée et qui développent les armes ou les politiques d’expulsion qu’Israël utilise. Alors, pour moi, c’est très éthique et très moral de boycotter de telles institutions.
Et de l’autre côté, surtout aux Etats-Unis - je ne sais pas en France, mais surtout aux Etats-Unis - les gens qui sont contre le boycott académique sont très très inquiets pour les académiciens israéliens qui peut-être ne pourront pas venir dans une conférence aux Etats-Unis. Le boycott n’empêche pas les israéliens de venir aux Etats-Unis ou d’être reçus dans les Universités. ça empêche les liens officiels entre les institutions. Mais même si ça empêchait quelques israéliens de venir, comment peser ça contre les dégâts que fait Israël au droit des étudiants et des instructeurs palestiniens ? Il y a des Universités bombardées et détruites à Gaza, il y a plus de 200 écoles détruites ou endommagées par les bombardements israéliens... hier à Montpellier il y avait sur la tribune avec moi un étudiant qui s’appelle Zacharia, un étudiant de Gaza, qui a parlé des tortures que les étudiants à Gaza doivent éprouver pour sortir de Gaza, pour rejoindre leurs études en France ou aux Etats-Unis ou n’importe où. Alors on ne parle pas de ça aux Etats-Unis, on s’inquiète seulement des israéliens. Alors, le boycott académique, je crois que ça réussit à mettre tous ces problèmes aussi sur la table.
Avec la Culture, on a cette idée que la culture c’est là au-dessus de tout... Mais la culture n’a jamais été au-dessus de la politique. La culture et la politique sont liées totalement. Et on voit qu’Israël annonce - il ne faut pas penser à des complots secrets, c’est le ministère des affaires étrangères d’Israël qui annonce que : nous allons envoyer les artistes et les danseurs et les chanteurs en Europe et aux Etats-Unis pour montrer la belle figure... C’est de la propagande. Alors c’est tout à fait éthique de boycotter de tels usages de la culture.

Question de Mickaël sur l’étiquetage des produits israéliens je voudrais savoir quels sont les autres pays qui étiquettent déjà - je sais qu’en Afrique du Sud depuis quelques années déjà ils étiquettent les produits qui viennent des Territoires palestiniens occupés, et je voudrais savoir s’il y en a d’autres qui sont dans cette démarche, je crois qu’il y a la Belgique qui en avait un peu parlé...

Ali Abunimah : l’étiquetage... Honnêtement, je ne sais pas où on en est avec l’étiquetage. Et honnêtement moi je ne m’intéresse pas vraiment à l’étiquetage, pas parce que... si on peut gagner ça, très bien, il faut le faire, mais il faut parler d’interdiction des produits des colonies. Et ce qui me frustre, comme beaucoup, c’est que l’Union Européenne parle depuis des années de l’étiquetage. Combien de massacres vont passer à Gaza avant que les européens aient le courage de mettre des étiquettes sur les produits israéliens ? Combien d’enfants tués ? Alors moi je crois qu’il ne faut pas parler de l’étiquetage. Le moment est passé pour l’étiquetage. On doit parler et demander l’interdiction totale de ces produits.
Mais je ne veux pas minimiser les efforts que des gens ont mené pour des raisons tactiques, parce que ça gêne Israël l’étiquetage, ça peut aider... mais il faut toujours élever le niveau des demandes...

Question sur le Hamas : "j’aimerais bien avoir votre analyse politique sur le Hamas"...
Et, en complément : est-ce qu’il existe à votre avis un risque Daesh (Etat islamique) à Gaza ?

Ali Abunimah : Alors mon analyse de Hamas... Hamas c’est une partie de la société palestinienne, de la vie politique de la Palestine. Il y a beaucoup de gens qui soutiennent Hamas, il y a beaucoup de gens qui s’opposent à Hamas, pour des raisons idéologiques, ou politiques... mais il ne faut pas faire l’amalgame entre Hamas en tant que mouvement politique et Hamas en tant que résistance. Parce que là, la majorité des Palestiniens, sauf peut-être ceux qui sont autour de l’Autorité palestinienne, soutient la résistance, et le droit de résister, et le droit de résister avec les armes. Et, on croit que les Palestiniens à Gaza n’ont pas le choix, ils doivent résister avec les armes. C’est comme ça qu’on le voit en Palestine. Et on voit Hamas comme le plus grand parti de cette résistance. Mais il y a bien sûr les autres factions armées qui participent et leurs combattants ont donné leur vie pour résister contre Israël.
Alors moi je ne m’intéresse pas tellement aux débats Hamas-Fatah et tout ça, parce que je ne vois pas qu’il y ait une situation normale en Palestine, où on peut dire : il y a des partis, il y a des choix, vous choisissez les Verts, ou les républicains ou les démocrates... Ce n’est pas ça en Palestine, il y a une occupation...
Mais je dis aussi que Hamas comme les autres factions politiques, n’offrent pas une vision aux Palestiniens à ce moment. La résistance, oui, la résistance armée comme moyen légitime de combattre Israël, oui. Mais même Hamas... je ne crois pas qu’il y a des responsables politiques de Hamas qui croient que la résistance militaire exclusivement peut vaincre Israël... Mais il y a un manque d’horizon politique, et de vision politique. Et moi personnellement je vois que le BDS commence à offrir cet horizon parce que c’est très simple, c’est très clair, ça réunit toutes les demandes et tous les droits du peuple Palestinien. Et on commence à voir que même les factions politiques commencent à comprendre l’importance de la solidarité internationale.
Est-ce qu’il y a un danger de Daesch à Gaza ? Il paraît qu’il y a des groupements à Gaza qui disent qu’ils sont Daesch et qui ont déclaré qu’ils veulent virer Hamas de Gaza... Alors on peut se demander pour qu’il ils travaillent vraiment, certainement pas pour les Palestiniens... Mais je crois que Hamas fait de très grands efforts pour empêcher Daesch d’avoir une position à Gaza...

Question sur le boycott de Véolia et d’Orange...

Ali Abunimah : (...) Il y avait 3 éléments importants qui ont mené au point que Orange a annoncé qu’il veut quitter Israël :
- il y avait des mobilisations et du travail de base pendant quelques années en France, il y avait des recherches qui ont été faites en France pour éclairer le rôle d’Orange dans les colonies israéliennes, et tout ça était là, et c’était très important.
- Electronic Intifada a révélé que Orange a sponsorisé pendant des années des unités qui ont participé directement dans les plus graves massacres à Gaza, à Shuza et à Rafah ; c’est l’unité qui s’appelle "Ezuz", c’est des blindés. Et que depuis des années Orange les sponsorise, donne des cadeaux aux soldats, il fait des fêtes et des barbecues pour les soldats, il permet à cette unité d’utiliser les propriétés d’Orange pour les réunions, pour les jours sportifs et des choses comme ça, et ils ont fourni à toutes les unités, à tous les soldats qui ont participé dans le massacre à Gaza des services d’Orange gratuits. Et c’est nous qui avons publié ça, ça a été traduit en français, mais les gens étaient ... parce que les colonies on sait, c’était très très systématique l’analyse, mais on ne savait pas à quel point orange était impliqué dans la tuerie directe à Gaza. Et je crois que ça a fait un très grand impact.
- et troisièmement, c’était le rôle de l’Egypte et des égyptiens... parce qu’il y avait le travail de base, en France, il y avait l’enquête d’Electronic Intifada en avril... et au mois de mai, c’est BDS Egypte qui a annoncé le boycott de Mobinil, filiale d’Orange en Egypte. Et il faut savoir qu’Orange a 20 millions d’abonnés en France, et 33 millions d’abonnés en Egypte. Et Mobinil c’est 99% propriété d’Orange, il y a seulement 1% qui est dans les mains d’un actionnaire égyptien. Alors, c’est après une semaine ou deux semaines que Stéphane Richard, le PDG de Orange s’est rendu au Caire et il a annoncé là que s’il pouvait quitter Israël il le ferait demain. On sait qu’il y a eu cette réaction d’Israël : Israël a demandé au gouvernement français de dénoncer les propos d’Orange, M. Richard s’est rendu à Jérusalem pour s’humilier devant Netanyahu, et c’était un spectacle très honteux, mais l’important c’est que ni Orange ni le gouvernement français, même ce gouvernement qui est très très pro-Israël, ne sont revenus sur la décision de quitter. Stéphane Richard n’a jamais dit "je m’excuse, on va rester en Israël, on va garder notre accord avec la société israélienne Partner"... Alors il y a deux semaines, ils ont changé l’accord entre Orange et Partner pour que Orange puisse partir - c’est pas certain - dans un an et demi. Je crois qu’ils vont le faire mais les seules garanties c’est de continuer les mobilisations. Sans pression...
Alors, le gouvernement français aussi a dit : nous sommes contre le boycott d’Israël, tout à fait contre le boycott d’Israël, mais Orange peut faire ce qu’il veut. Et d’ailleurs, nous sommes contre les colonies. Mais Orange n’a rien dit sur les colonies, c’est le gouvernement français qui a introduit les colonies dans la question...

Question sur Israël : Quelles suites à l’élection de députés arabes israéliens à la Knesseth (la liste unique des partis arabes a obtenu 10%...). Est-ce qu’ils ont marqué des points ?

Ali Abunimah  : Les partis arabes en Israël... Après les élections, c’est Ilan Pappé, l’historien israélien, qui a écrit un article pour Electronic Intifada... il a dit que ce fait que les partis soient réunis c’est important pour les palestiniens en Israël, c’est une bonne expérience pour eux, ils vont voir si ça peut mener à quelque chose. Mais au niveau politique en Israël, ça ne va faire aucune différence. Et on voit ça déjà : que ce gouvernement est plus raciste, que les appels des autres députés, juifs israéliens, disent presque tous les jours aux députés arabes : on va vous virer un jour vous allez voir, pas aujourd’hui, mais un jour bientôt on va vous virer d’ici, votre place n’est pas ici... Alors ils ne vont pas réussir à changer l’atmosphère politique en Israël.

Question sur le sionisme : comment le définir aujourd’hui ?

Ali Abunimah : quand je dis "les sionistes", je parle spécifiquement d’organisations qui soutiennent Israël et qui soutiennent l’idée d’un Etat sur base de religion ou de groupe ethno-religieux en Palestine. C’est ça le sionisme : c’est la colonisation de la Palestine par un mouvement qui s’identifie comme juif, mais moi je ne le reconnais pas bien sûr comme représentant de tous les juifs, je résiste à cette définition, ce sont les sionistes qui insistent qu’ils sont les représentants des Juifs, mais faites attention, ici en France, aux Etats-Unis, il y a d’importantes voix juives qui insistent : nous ne sommes pas sionistes. Ici l’UJFP... c’est des gauchistes, peut-être laïques je ne sais pas... Mais il faut aussi dire qu’il y a des religieux juifs qui ont un grande tradition à s’opposer au sionisme. Et il faut dire qu’il y a beaucoup d’organisations sionistes qui disent : nous sommes des organisations juives, mais il faut dire qu’il y a beaucoup d’organisations sionistes qui ne sont pas juives. Aux Etats-Unis par exemple, il y a d’importantes organisations sionistes chrétiennes. Alors il faut résister toujours, et insister, contre l’amalgame entre les Juifs et les sionistes. Ce sont les antisémites qui insistent que les Juifs et les sionistes sont la même chose, et c’est les sionistes qui insistent.
Alors je dis ça pour être très clair qu’il faut toujours toujours résister à cet amalgame.

Question de Mabrouk sur le refus de la "normalisation" des relations avec Israël. Des pays (Vénézuela, Bolivie...) se sont prononcés contre cette "normalisation"...

Ali Abunimah Ali Abunimah : la normalisation en somme c’est l’idée qu’après Oslo on parlait de paix, on voulait faire des chansons et des matches de foot entre les palestiniens et les israéliens pour montrer qu’il y a la paix, et tout le monde est très très heureux maintenant. Les Palestiniens appellent ça "normalisation". Ou d’avoir des Palestiniens - par exemple les médecins - aller pour faire des entraînements en Israël - on dit qu’Israël est très avancé - aider les pauvres palestiniens...
Les Palestiniens rejettent cette politique de normalisation parce que ça cache l’oppression, ça aide Israël à faire croire que tout va bien... Et il y a un aspect colonial : les Palestiniens ne sont pas les pauvres palestiniens qui ont besoin de l’aide d’Israël. Ils ont besoin d’être libérés par Israël. Alors il faut voir que le mouvement BDS palestinien agit fortement contre la normalisation. Vous voyez dans les directives publiées sur le boycott académique et culturel des définitions de la normalisation et comment voir si un évènement est de la normalisation, pour décider si c’est boycottable ou pas...
Le Vénézuela, la Bolivie et les autres pays ... : je crois qu’il y a - je ne suis jamais allé en Amérique du Sud, alors je ne peux pas parler d’expérience, mais ce que je comprends, c’est qu’il y a beaucoup de solidarité avec les Palestiniens, mais au niveau des gouvernements, ça reste de la solidarité avec l’Autorité Palestinienne. Il reconnaissent... Avec le peuple Palestinien, quand ils voient ce qui se passe à Gaza, on vire l’ambassadeur israélien, ça c’est admirable, mais il reste une forte reconnaissance diplomatique de l’autorité palestinienne, et je crois qu’on doit travailler pour ça, pour essayer de canaliser ce sentiment dans la direction du BDS, en Amérique du Sud, il y a des efforts, mais c’est encore un combat...

Question de Georges sur l’Etat commun, sur la perspective politique en Palestine : le sionisme c’est la séparation, c’est : les juifs ne peuvent pas vivre au milieu des autres, il faut qu’ils aient un Etat à eux qui soit juif, pas laïque, et qui soit pour les juifs et pas pour les autres. Donc c’est une idéologie qui est effectivement une idéologie raciste.
Alors qu’est-ce que vous pendez justement de la perspective politique de se battre pour un Etat commun sur toute la Palestine ?
Et de Roger : c’est quoi votre vision de la Palestine de demain ? En France, le gouvernement va prendre une nouvelle initiative pour la création d’un Etat palestinien qui serait un bantoustan en fait, qui abandonnerait définitivement les droits des réfugiés, qui affaiblirait les droits des palestiniens d’Israël, et il y a un grand consensus en France des forces politiques pour faire croire que la solution au problème israélo-palestinien c’est la création d’un Etat palestinien sur 10, 12 , 15% de la Palestine. (Mais) on est nombreux, à St-é en tous cas, à travailler pour cette idée que la seule solution à tout ça c’est une solution à l’africaine du Sud, pour l’égalité des droits dans un pays sur toute la Palestine. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Ali Abunimah : Alors je suis tout à fait pour un Etat, j’ai écrit maintenant deux livres qui parlent d’un Etat commun, je crois que c’est possible, dans ce livre j’ai développé l’idée...
Pour dire que vraiment il ne faut pas rester sur le débat sur un Etat ou deux Etats, parce que ce n’est pas à la fin le nombre d’Etats qui compte, c’est le contenu, parce que je peux vous dessiner un futur dans un Etat commun qui est très très injuste, où le système reste comme il est.
Et deux Etats, on peut voir que ce sera la même chose, parce qu’Israël, comme il dit maintenant : Gaza ce n’est pas chez nous. Alors on se lave les mains de Gaza... ils feraient la même chose en Cisjordanie... Alors deux Etats ça ne donne pas la justice, on parle de bantoustan, ce sera un Etat palestinien bantoustan comme en Afrique du Sud.
Alors il faut comprendre que c’est la décolonisation, on doit lutter pour la décolonisation. Et les droits, les revendications dans l’appel de BDS, on peut vraiment interpréter comme appel à la décolonisation. Et dans ce cadre on peut penser à différentes formes politiques, différents systèmes. Mais l’essentiel est qu’il faut démanteler les structures racistes et coloniales qu’a construit le sionisme en Palestine. Je dis le sionisme parce que ça a commencé bien avant l’établissement de l’Etat d’Israël.
Et je donne, je discute des exemples de l’Afrique du Sud, de l’Irlande du Nord et d’autres, par pour dire qu’en Afrique du Sud il y a l’utopie, parce qu’on sait que ce n’est pas ça, mais pour dire qu’il y a des moyens, pour dire que des changements politiques très importants c’est possible dans une très courte durée. Mais il faut aussi se concentrer sur les questions économiques, ce qu’on n’a pas fait en Afrique du Sud, pour qu’on n’aie pas la situation où les Palestiniens restent dans une situation d’inégalité.
Alors c’est ça la Palestine de demain que j’essaie d’imaginer dans ce livre.


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