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Etat de siège dans la ville et saccage du siège du PS.

Que s’est-il passé à St-Etienne samedi 22 octobre ?

mardi 25 octobre 2016, par Roger Dubien

Depuis des semaines était annoncée un WE sur le thème "désarmons la police, démilitarisons les conflits".
C’est vrai que là-dessus, il y a beaucoup à dire et à agir. Parce que la façon dont est utilisée la police dans des quartiers, et aussi contre les mouvements sociaux, crée problèmes et drames. Et concernant les ventes d’armes, la France est dans le monde en tête du commerce et alimente les foyers de guerre et les dictatures. Le gouvernement est main dans la main avec les firmes de l’armement pour aller chercher les contrats. Après, on pourra toujours déplorer les centaines de milliers de réfugiés et migrants qui fuient la mort...
Mais à l’approche des 22-23 octobre, il est apparu de plus en plus clairement que des forces avaient décidé d’utiliser ce rendez-vous pour tout autre chose que parler du désarmement. Et on avait déjà remarqué que depuis plus de 6 mois, tout au long du grand mouvement social contre la "loi travail", les tentatives n’ont pas cessé, du côté du pouvoir notamment, pour faire dérailler le mouvement, le pousser dans l’impasse de la violence pour le décrédibiliser et l’affaiblir.
Bref, au fil des jours, cette affaire sentait de plus en plus mauvais. Et le FN, déjà très actif dans certaines manifestations de policiers, faisait monter la mayonnaise sur internet.

Samedi, la ville de St-Etienne a été en état de siège. Aucun tram. Consigne aux commerçants de fermer et de tout rentrer. La place de l’Hôtel de ville bouclée même pour les piétons qui voulaient la traverser. Des centaines de policiers, avec des dizaines de cars placés à divers endroits de la ville. Et un hélicoptère qui a tourné pendant plusieurs heures au-dessus (et évidemment tout filmé).
Et tout ça pourquoi ? Pour 200 à 300 manifestants selon le Progrès, car il y a eu peu de monde, en réalité. C’est dire qu’il y avait au moins deux fois plus de policiers en tenue de combat que de manifestants ! En notant en plus qu’apparemment une bonne moitié des présents venait d’autres départements.
Certains participants sont venus à ce rassemblement pour parler sincèrement du rôle de la police et du commerce des armes, évidemment. Mais d’autres pour tout autre chose.

Au bilan de cette journée, quoi ? Une ville en état de siège. Des tags dans plusieurs rues de la ville. Mais surtout le saccage du siège du PS.

Je suis allé samedi au départ de la manifestation, interdite la veille seulement par la Préfecture. Pour discuter, faire savoir que la manifestation était interdite, et alerter des connaissances qui pourraient s’y trouver sur ce qui risquait de se passer. Je n’étais pas seul à faire ça.
Vers la Bourse du Travail, on a pu entendre quelques témoignages, certains très justes, sur l’utilisation faite de la police. Et puis un cortège est parti, que tout le monde n’a pas suivi et qui s’est réduit au fil des premières rues.
Evidemment, la plupart des présents ne se doutait pas que la destination était le siège du PS. Mais les autorités policières et politiques, avec leurs renseignements et leur hélicoptère qui suivait et filmait le cortège n’ont pas pu ignorer longtemps, elles, vers où se dirigeait le cortège.
Or il a pu aller sans aucun problème jusqu’au siège du PS, rue du Midi. Aucun policier dans les parages. Et là, une équipe apparemment très bien organisée est rentrée dans la permanence. Et elle a tout fracassé.

Ayant appris samedi soir ce qui s’était passé, je suis allé dimanche matin au siège du PS. Quelques personnes commençaient à déblayer les dégâts. Je me suis dit : il y en a pour 20 à 30 000 euros. Le PS dit maintenant 35 à 40 000. Plausible. Tout a été dévasté, méthodiquement : vitres, cloisons, tables, chaises, bureaux, matériel informatique... Du travail de pros, forcément venus pour ça, avec du matériel : il ne peut pas s’agir d’une colère qui aurait un peu débordé.
Et sur la façade, deux inscriptions : "coucou, c’est re-nous !", et "loi travail : on n’oublie pas !!". Ces deux slogans n’ont pas été inscrits à l’inspiration du moment, ce sont des slogans pensés, "travaillés" politiquement. Ils visent à faire croire à un lien, une filiation, entre les casseurs qui ont fait ça et les jeunes mobilisés contre la loi travail, à faire croire que ce sont les mêmes qui sont revenus, pour détruire. Gros mensonge.
Car le 19 mai, à la fin d’une manifestation de 6000 personnes contre la loi travail, 300 à 400 jeunes étaient effectivement venus au siège du PS. Mais pas pour casser. Pour demander le retrait de cette loi du MEDEF. Leur service d’ordre avait fait en sorte que tout se passe bien, d’autant plus facilement que personne n’était là pour casser.
De plus, le 19 mai, l’accès au siège était barré par 2 cordons de policiers, un à chaque bout de cette toute petite rue très étroite. 2 estafettes sur les trottoirs et 6 à 7 policiers entre, et personne n’a pu y entrer.
Samedi 22 octobre, aucun des centaines de policiers et des dizaines de véhicules équipés anti-émeute n’était rue du Midi. Les casseurs ont pu faire ce qu’ils voulaient. Selon le Progrès, la justification du côté de la police est "si on les empêchait de passer, c’était pire". Mais à qui faire croire ça ? 500 policiers ne peuvent pas barrer une rue qui ne demande pour cela que 4 estafettes et 15 hommes, face à un cortège de 200-250 personnes au maximum, et qui n’étaient pas toutes là pour casser, d’ailleurs ?
A qui faire croire ça ? La réalité est que des casseurs ont eu carte blanche pour saccager le siège du PS ; ça fait penser au coup de l’hôpital Necker à Paris...
Depuis, les médias donnent complaisamment des tribunes à l’extrême droite et à la droite, et cette sale histoire dédouane aussi opportunément le PS de sa politique désastreuse.

D’autres éléments confortent cette impression d’un coup arrangé :
- Aucune interpellation. Comment ça se fait ? Le 12 mai devant la permanence Gagnaire, la police a chargé une manifestation pacifique pour une banderole au balcon. Depuis, convocations, interpellations, gardes à vue et poursuites judiciaires se sont multipliées contre des jeunes qui n’ont rien cassé, et là, une équipe de casseurs saccage le siège du PS et repart sans problème...
- Depuis la manifestation du 31 mars, des policiers déguisés en manifestants, certains cagoulés, ont été régulièrement infiltrés dans le cortège jeune en tête des manifestations. Le 12 mai juste avant la permanence Gagnaire, deux ont d’ailleurs été sortis - sans violence - du cortège. La question est donc posée (et c’est une façon de parler...) de la présence ou pas de policiers déguisés et cagoulés dans le cortège du 22 octobre. Pour faire quoi au juste ? En tous cas pas pour empêcher la casse (qui a eu lieu) ni repérer et interpeller des casseurs.
- Concernant la demande d’autorisation de cette manifestation, il s’est passé quelque chose de pas net. Pour organiser une manifestation, il faut donner 3 noms en Préfecture, qui sont ensuite responsables du déroulement des évènements. D’abord, des organisations très engagées dans le mouvement contre la loi travail ont été approchées pour qu’elles déposent, elles, la demande d’autorisation en Préfecture. Evidemment, elles ont refusé. La ficelle était grosse. Ce sont alors des jeunes qui ont été sollicités pour signer la demande de manifestation. Les organisateurs véritables n’ont pas donné leur nom, eux, ils se sont mis à l’abri - lâcheté - parce qu’ils devaient savoir ce qui allait se passer. Ensuite, une fois la demande d’autorisation signée, peu leur importait que la manifestation soit interdite : quand les choses sont lancées, il y a toujours des gens qui ne sont pas au courant ou ne comprennent pas tout de suite.
Et maintenant, on apprend que c’est contre les jeunes qui ont signé la demande de manifestation que le PS va porter plainte...

La question qu’on est conduit à se poser est : pourquoi tout ça à St-Etienne ?

Là, il faut revenir un peu au contexte stéphanois.
Depuis début mars, St-Etienne a connu de très fortes mobilisations contre la loi travail. Au total, des milliers de jeunes y ont participé, au premier rang des manifestations. Il n’y a eu aucune violence physique. Au pire, lors de certaines manifestations, quelques tags (pas tous intelligents ni bien situés) et quelques oeufs de peinture. Mais aucun affrontement avec les policiers - malgré la présence de certains déguisés en manifestants, parfois cagoulés, tentant d’infiltrer le cortège des jeunes - , et aucune casse matérielle.
A St-Etienne a grandi quelque chose de très important pour l’avenir : la rencontre des milliers de salariés des entreprises et de la fonction publique - et de leurs syndicats - et de milliers de jeunes lycéens, étudiants et travailleurs précaires qui refusent la destruction du code du travail et l’ubérisation de la société.

C’était trop beau, il fallait y mettre un coup d’arrêt. Voilà qui est fait avec la journée de samedi.

A St-Etienne, 21 militants - jeunes pour la plupart - font l’objet de poursuites judiciaires (c’est 10% du nombre total des poursuites en France !). Depuis des mois les convocations policières se succèdent, alors même qu’il n’y a pas eu de violences dans le mouvement contre la loi travail, mais au contraire des actions pleines de sens.
(voir http://www.reseauxcitoyens-st-etienne.org/article.php3?id_article=3356).
Deux procès vont avoir lieu en appel, alors même que l’accusation est inconsistante, car le seul crime est d’avoir, lors de la manifestation du 12 mai, installé une banderole sur le balcon du député Gagnaire, fervent partisan de la loi travail et du 49-3, ceci sans froisser une seule feuille de papier de sa permanence.
Avec ce qui a eu lieu samedi, le gouvernement, la droite et l’extrême droite ont marqué des points contre les jeunes qui résistent, et contre l’ensemble du mouvement social. Ils peuvent les dénigrer aux yeux et aux oreilles de centaines de milliers de personnes qui avec raison condamnent le saccage qui a eu lieu mais voient les choses de loin et ne sauront peut-être jamais vraiment qui a fait ça et comment cela s’est passé.
Il y a du calcul et de la manipulation politique dans ce qui a été fait et laissé faire samedi 22 octobre à St-Etienne, et la question de la responsabilité des autorités est posée.

Roger Dubien
Réseaux citoyens de St-Etienne