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Universités Populaires - Laboratoires sociaux...

Le Manifeste de Fortaleza

vendredi 22 janvier 2010

 Une université populaire - laboratoire social est en cours de création dans la région stéphanoise avec la participation des philosophes Miguel Benasayag et Angélique Del Rey du collectif Malgré Tout.
Une réunion de travail aura lieu avec eux le samedi 13 février à St-Etienne. Les personnes intéressées par la création de cette université populaire - laboratoire social peuvent prendre contact au 04 77 34 28 51.
Nous publierons dans les prochaines semaines plusieurs documents pour présenter ce que sont les Universités populaires - Laboratoires sociaux.
Voici le "manifeste de l’Université Populaire de Fortaleza, au Brésil.
 
 

1) Nous proposons la création du réseau d’universités populaires et laboratoires sociaux à Fortaleza et dans la région du Ceara brésilien, en articulation avec le réseau de laboratoires sociaux et universités populaires qui travaillent avec le Collectif Malgré Tout en France et en Italie.

Les UP et LS ont comme vocation le développement d’expériences locales de production populaire de savoirs théoriques et pratiques sur nos vies, nos sociétés et notre monde, dans toutes les dimensions de ces questions présentées comme globales et lointaines, et qui dirigent nos vies et nos sociétés, nous laissant dans l’impuissance, la tristesse et la souffrance. Elles n’ont pas comme vocation une simple distribution de savoirs qui tenterait « d’éduquer le peuple ».

2. Les macro-pouvoirs, au niveau mondial, produisent la tristesse et l’ignorance, mère de l’impuissance. Nous souhaitons donner un traitement local et concret aux questions dites globales (territorialiser) ces questions et ces problématiques pour nous réapproprier nos vies et nos sociétés. Les UP et LS ne distribuent pas de savoirs, ne divulguent pas une ligne politique, mais produisent localement des savoirs issus de pratiques de recherche sérieuses et solidaires, qui visent à nous réapproprier nos vies.

3. La nouveauté permanente de la technique efface quotidiennement les traces des savoirs théoriques et pratiques historiques, et déracine les individus et les sociétés (déterritorialisation). On vit dans un monde possédé par des techniques : 90% de la population en ignore le fonctionnement. C’est pourquoi nous affirmons la nécessité de produire du savoir capable de dépasser cette séparation. Il s’agit aussi de dépasser la séparation entre théorie et pratique : nous affirmons que le gens possèdent des savoirs sur leurs vies, la vie et le monde, dont ils sont séparés et dont ils pâtissent.

4. Les savoirs et les techniques ne sont jamais tout à fait neutres, et en général ils fonctionnent au service des pouvoirs qui les produisent. Les structures sociales dans lesquelles on vit produisent aussi une réduction des capacités désirantes jusqu’à faire désirer de façon disciplinée et obéissante tout ce que le pouvoir économique oblige à produire et à consommer.

5. La production de nouvelles formes de désir et de vie ne peut pas se réaliser de façon centralisée depuis un pouvoir quelconque. C’est pourquoi les LS et UP sont les lieux aujourd’hui historiquement nécessaires d’expérimentation de nouvelles formes de sociabilité, de désir, et de pensée.

6. Chaque LS ou UP développe des axes de recherche et de pratique à partir du travail concret des personnes qui les composent, en suivant ce qui, dans leurs lieux, leur apparaît comme axes importants pour comprendre et agir sur le monde. L’échange et le travail en réseau a comme vocation d’enrichir nos expériences sur la base de la différence parfois très importante de singularité que nous traitons, tout en partageant la problématique centrale, le socle de notre unité de réseau. Elle se donne pour objectif de construire dans notre époque les outils de résistance à la séparation, à l’apartheid montant, qui sépare les hommes et les femmes de leur puissance d’agir.

7. Les axes de travail et recherche de chaque LS ou UP sont à concevoir comme de véritables recherches singulières. Dans le concret de l’axe abordé, nous trouvons une multiplicité de dimensions et de problématiques globales. Nous pensons que la globalité, c’est-à-dire le monde, n’est pas la somme abstraite des situations concrètes. La globalité, « le monde », est ce qui existe sous des modes et des formes différentes, dans chaque situation. On ne trouve pas les graves problèmes du monde en s’abstrayant des situations concrètes, mais en les approfondissant. Nous partons de la base que le monde s’exprime dans notre situation, et que le travail de l’UP ou LS consiste à déployer le monde depuis cette situation. Le travail autour d’une singularité est aussi ce qu’on appelle un devenir minoritaire. Une problématique « minoritaire » est ce qui ne parle pas de tout le monde, mais parle à tout le monde. Les sociétés ne sont pas construites par des majorités disciplinées et normalisées. La majorité c’est personne, la minorité c’est tout le monde : les hommes, les femmes et les écosystèmes sont toujours territorialisés sous une forme minoritaire.

8. Résister, c’est créer. Résister aujourd’hui à la destruction de la vie, des sociétés, de l’écosystème, ne peut pas passer simplement par l’affrontement avec les forces économiques ou autres de destruction. Nous devons créer les nouveaux possibles, car dans la tristesse de nos contemporains, le dépassement de notre réalité est pour le moment inenvisageable.

9. Résister c’est aussi ne pas désirer le pouvoir, mais déployer la puissance multiple de la vie. L’illusion d’après laquelle ce n’est que depuis des lieux centraux de pouvoir qu’on peut s’émanciper laisse dans l’obéissance et l’attente. Développer la puissance multiple, conflictuelle et contradictoire, permet au contraire d’être, dans chaque situation, producteurs d’émancipation.

10. Les sociétés contemporaines, désabusées, ayant perdu l’espoir en un paradis sur terre à venir, ne savent plus comment agir envers les tendances et réalités négatives et destructrices. Nous assumons le fait que le négatif est structurel et non accidentel dans le phénomène de la vie sous toutes ses formes. Nous devons apprendre à faire avec le « négatif », sans procéder de façon lâche et égoïste, en identifiant le négatif avec des personnes et des groupes, des cultures ou des religions. Une société qui ne tolère pas le négatif démultiplie la violence et la barbarie, au nom de sauver la civilisation.

11. La solidarité implique la création de pratiques sociales capables de tourner le dos à la séparation, à la crainte, qui en favorisant l’idéologie de l’insécurité, finissent par détruire les liens sociaux, voire la capacité même de penser et d’agir. Les problèmes sociaux ne peuvent pas, de notre point de vue, se résoudre par l’exclusion, par des murs et par des gardes armés. Pas plus que les problèmes individuels ne peuvent être traités par des molécules chimiques et par le dressage comportemental des personnes. Nous affirmons que la société est tout le monde, et que chaque problème doit être assumé de façon non personnalisée mais comme des problèmes qui se présentent en notre situation, à notre société. Nous nous opposons à l’idée qu’il faille protéger la société de membres considérés comme potentiellement dangereux pour elle : il s’agit plutôt de construire des mécanismes de contention face à ce qui sera toujours le négatif.

12. A Fortaleza et au Nordeste du Brésil, les UP ou LS émergent d’un groupe de travailleurs de la santé mentale et de travailleurs sociaux qui, constatant que la crise sociale et historique a produit une véritable nouvelle souffrance psychique contemporaine, en déduisent qu’il n’est pas possible de vouloir répondre à cette nouvelle souffrance due au nouveau « malaise dans la civilisation », depuis la seule l’institution psychiatrique. Il s’avère dès lors nécessaire de créer des lieux mixtes au-delà de la psychiatrie, pour pouvoir assumer cette nouvelle souffrance sans la pathologiser et sans faire croire à personne que le malaise actuel pourrait être résolu par des techniques et des techniciens.

13. Les universités populaires et laboratoires sociaux, centrés sur la question de la santé, doit aussi devenir un lieu de résistance au mode de domination aujourd’hui hégémonique, qui existent sous la forme d’un biopouvoir et d’une biopolitique. Celui-ci consiste dans le contrôle des populations par le contrôle direct des modes de vie, de circulation, consommation, rapport avec son propre corps, et se sert des savoirs politique et médical pour agir au nom du bien. Développer des pratiques d’émancipation centrées sur la santé est essentiel pour s’opposer à cette nouvelle forme de pouvoir.

14. On est généralement convaincus que pour agir, il faut un modèle qui nous dise vers où aller et comment y aller. Nous pensons, au contraire, que c’est justement grâce à l’absence d’un modèle et d’une finalité préétablie que de multiples projets ouverts ainsi que de multiples pratiques peuvent, de façon contradictoire et conflictuelle, développer différentes façons d’aborder et de dépasser les problèmes de notre époque. Les UP et les LS sont des lieux qui, en résistant à la discipline de l’étiquetage social, permettent que la multiplicité et la multidimensionalité des personnes se déploient à travers un travail de construction de nouveaux possibles théoriques et pratiques. Chaque UP ou LS, au Brésil, en France, en Italie et en Argentine, développe en toute liberté les axes qu’ils considèrent nécessaires, tout en faisant partager aux autres lieux d’expériences leur production.

15. Aux macro-pouvoirs mondialisés, nouveaux, tristes, séparés, déterritorialisés, nous opposons la solidarité, l’action et la joie.